Discours d'un tyran qui vous veut du bien.
zoeylou
Sex’version.
Mesdames et Messieurs,
Merci de votre présence. Votre nombre me ravit. Puisse ma garde rapprochée ne pas vous avoir rudoyé de façon excessive, et le trajet vous avoir été agréable. Je tiens en premier lieu à vous présenter mes plus plates excuses : en effet, je suis profondément désolé de vous avoir tirés si tôt du lit un dimanche matin. Je comprends vos doléances, ainsi que votre sacro-saint besoin de sommeil après la longue et harassante semaine de labeur que vous venez de vivre, perdue dans le nombre de ces effroyables semaines qui se suivent et se ressemblent toutes, vous épuisant tant et plus. J’ai conscience de vos difficultés et je connais l’horreur de vos horaires, puisque ma rigueur en est à l’origine.
Voyez-vous, en faisant de moi votre chef, vous m’avez confié des droits et des devoirs. Cessez donc de geindre, il est de mon droit d’exiger votre présence dans cette salle. Croyez-le ou non, mais remplir mon office de la sorte ne me comble pas de joie. Comme vous, je préfèrerais être ailleurs. Ce sont vos actes qui nous ont tous menés ici, en cet instant. Je ne pouvais décemment attendre que surviennent d’autres incidents avant de réagir, et de prendre des mesures drastiques. Tous, vous avez remarqué la succession de terribles évènements qui ont mis à mal la quiétude de notre douce cité. Permettez-moi toutefois de vous rafraîchir la mémoire.
Pas un jour ne passe sans qu’un corps féminin ne soit découvert, sans vie ou sans conscience, dans l’un de nos parcs publics. Bien souvent, le sang de la victime sature la terre, qui ne parvient pas à le boire dans sa totalité et le dégorge jusqu’à en inonder les trottoirs proches. Le sol reste rougi longtemps, comme un furieux rappel à nos mémoires oublieuses. Pas une semaine sans que des organes génitaux de jeunes filles ne soient aperçus, débordant d’une poubelle, jetés dans vos jardinets privés, ceux-là même que j’ai eu tant de mal vous obtenir, quand ils ne sont pas négligemment abandonnés en pleine rue. Cela fait désordre, surtout à un mois du concours « Parcs & Jardins » que j’ai instauré pour vous distraire de vos corvées, et ravir mon vieux regard fatigué. Quelle ingratitude ! Salir les sols, abîmer les plantations de vos saletés, de vos répugnantes petites affaires, de la bassesse de vos délits sexuels.
Nous nous entendrons sans mal sur les raisons de tels débordements. Oh, je vous vois venir. Taisez-vous, je peux parler pour vous ! Ces femmes étaient si belles. Séduisantes. Séductrices, aussi. Quand elles n’étaient pas de petites allumeuses, ou bien pire encore. Elles vous ont troublé, vos sens en émoi s’en sont trouvés choqués, perturbés, ahuris de désir, et voilà envolé votre sens moral et vos réserves. Vous ne supportez pas cette interdiction de vous parler les uns aux autres, de vous toucher, ou de seulement vous effleurer. Cela vous a rendu dingue, vous a transformé en bêtes le temps d’un instant d’égarement. Que vos comportements aient été favorisés par ma politique n’est pas un point dont nous débattrons.
Du reste, je me fiche des motifs, je me fiche des circonstances atténuantes, la pendaison exemplaire de coupables pris sur le fait ne vous calme pas, et personnellement, je suis lassé de tels spectacles. Petit peuple, vos pitreries me fatiguent. Et pour ne rien vous cacher, elles m’attristent également. Comme vous le savez, je tiens particulièrement à cet évènement annuel, qui vous met en compétition dans la joie et la bonne humeur. Le propriétaire du plus joli jardin se voit exempté de travail pour une semaine entière, ne suis-je pas diablement généreux ? Je ne peux donc comprendre que vous vous mettiez en travers de cette occasion de vous détendre.
Il est donc essentiel que je reprenne les rennes de vos vies, que je fasse mon travail, sans rechigner à la tâche, même si cela signifie sortir de mon lit à l’aube un dimanche. Et mon travail, quel est-il, je vous le demande ? Je suis votre représentant, et le porte-parole de la santé de notre cité. Oh, je sais, certains argueront que je n’ai pas été élu. Qu’ils n’ont pas voté pour cela, que tout ceci n’a aucun sens, qu’il s’agit d’une cruelle dictature, que je jouis de prérogatives que je ne mérite pas. Certes. Mais ne croyez-vous pas que grâce à cette reprise en main ferme et sans sensiblerie, nous ayons évité le pire ? Si je n’avais pas agi, qui sait combien d’entre nous seraient aujourd’hui vivants. Je frissonne en y songeant. Ne perdez pas de vue que lors de la mise en quarantaine de notre ville, j’ai permis votre survie en vous accueillant dans mes souterrains. Ah, c’est certain, posséder les égouts condamnés d’une ville n’a rien de glamour en temps normal. Mais ce n’est pas dans vos hôtels de luxe, à la surface, à la merci de ce terrible virus, que vous auriez survécu. N’ayez pas la mémoire trop courte. Pardonnez donc cet élan lyrique, que vos esprits étriqués trouveront sans doute bien pédant, mais… si je n’ai pas été élu, je suis l’élu.
Trêve d’atermoiements ridicules, venons-en au fait, voulez-vous ? Nous avons un problème : ce déferlement de violence sauvage à l’encontre des femmes. Vous êtes à la source de ce problème. Quant à moi, je dispose d’une solution pour éradiquer ce mal, sans m’encombrer d’interminables débats d’idées, de discussions sans fin pour en venir à des solutions inapplicables, irréalistes et fumeuses. Il est important pour moi que vous compreniez bien cela : je me fiche des raisons qui vous motivent à rudoyer ces femmes, à les blesser, les violenter, les violer, les mutiler et parfois les tuer. Cela ne m’intéresse pas. En revanche, ce qui m’intéresse énormément, c’est ce concours de décoration florale qui tombe dans un mois, et que vous êtes en train de saboter, tels des enfants particulièrement mal élevés. Si seulement vous aviez eu la décence de suspendre vos activités dégoûtantes à l’approche de cet évènement qui me tient tant à cœur. Mais vous n’en avez fait qu’à votre tête, et tout ceci me place dans l’obligation de sévir.
Je pense avoir une approche qui aura le mérite d’être originale. Plutôt que sensibiliser une population entière au mal qui la ronge de l’intérieur, en la gavant de cours, d’ateliers, de conférences et de films à valeur éducative, je propose une solution certes radicale, mais qui aura le mérite d’être expéditive, en plus d’être percutante. Je vais – littéralement – vous placer dans la peau de l’autre sexe.
Calmez-vous ! Taisez-vous ! Silence !
Comme je le prévoyais, vous semblez terrifiés. Qu’ais-je encore été inventer là ? Que vous réserve mon esprit de vieillard tordu et belliqueux ? Ne vous inquiétez de rien, relaxez vous, enfoncez-vous dans vos sièges, et laissez-vous bercer par le son de ma voix.
Ce n’est pas pour rien que vous êtes aujourd’hui sanglés à vos sièges, à la manière des manèges de fête foraine. Comprenez-moi, et ne vous vexez pas trop vite. Je craignais qu’en vous laissant toute liberté de mouvement, certains d’entre vous nous faussent compagnie en cours de route. Cela serait bien désagréable, car comme en temps de guerre, je serais contraint de traquer et d’éliminer les déserteurs. Alors, j’ai décidé qu’un ensemble de sangles maintiendrait votre intérêt en éveil.
Dès demain, les choses sérieuses pourront débuter. Le premier groupe à être traité, en vue d’un changement de sexe, sont les personnes dont la première lettre du nom de famille se situe entre la lettre A et la lettre N. D’ici trois petites semaines, ce sont les personnes dotées d’un nom de famille débutant par la lettre O, et ce, jusqu’à la lettre Z qui subiront le même sort.
Je ne vais pas vous assommer de détails techniques. Ils sont par ailleurs inintéressants et rébarbatifs. Sachez seulement que le programme permettant d’atteindre une transformation complète s’étalera sur plusieurs années, bien que le processus soit en tout point accéléré et que le déroulement habituel ne soit pas respecté. Plutôt qu’une transformation en douceur se clôturant par une opération des organes génitaux, nous allons inverser le processus, et entamer l’opération par cet aspect.
Ne vous effrayez pas ! Je suis partisan d’une approche nouvelle, inattendue, qui sans nul doute permettra de faire avancer la médecine. Vous participez au progrès médical, et ainsi, vous êtes le progrès. Merci à vous. J’ose espérer que cette charmante petite leçon vous remettra les idées en place. Ne pleurez pas, ne tempêtez pas, n’essayez pas de vous débattre, le processus est lancé et son issue est inéluctable. Vous étiez pourtant prévenus : tous autant que vous êtes, vous saviez l’importance que ce concours revêt pour votre chef. Et vous seuls avez décidé de ne pas en tenir compte et de répandre le sang, encore et encore, dans de si jolis jardins. Si vous ressentez le besoin de blâmer quelqu’un, blâmez l’inconnu du miroir.
Dans quelques jours, il aura cédé le pas à une toute autre personne.