Doll en Velours
Lesaigne Paracelsia
Ce ruban de velours que je serre autour de votre cou, cette sensation que je ressens lorsque j'effleure votre corps, et que je parcours, frémissant, cette carte veineuse sous votre peau translucide.
Je vous vois vous relever avec lenteur, porter votre tiare de diamant dans vos beaux cheveux de jais, avec cette grâce toute particulière, je me plais à lorgner cette raideur qui entoure la rondeur de votre visage. Ce corset rouge orné de dentelle de rose et de soie dont je loue les finesses de la couture, j'admire votre droiture dans votre démarche de fée, votre serre taille achève de vous donner l'air d'une fine branche, vous êtes si menue que je pourrais vous briser entre mes doigts de rustre. À chaque vision mon bel ange, je frise la catharsis, vous êtes l'indécence même, toute innocente et, malgré tout, pleine de cruauté.
J'avais envie de vous louer jours et nuits, de vous avoir pour moi seul, je l'avoue, je vous rêvais en jolie poupée immobile, mon poli petit jouet que j'admire si douce. Pourtant je n'aime guère ces minauderies que vous manifestez en présence de vos prétendants, voulez-vous m'enrager ? Cette manière disgracieuse de rire à gorge déployée aux blagues insidieuses, entourée de galants plus pitoyables les uns que les autres. Je voudrais vous tirer à jamais de cette cour de prétentieux et vous emmener si loin de ces vautours mon adorable chérie.
J'aime ces moments de silence lorsque, vous tenant la main, vous me regardez avec tristesse, me dévoilant votre âme plus qu'il ne devrait l'être. Que vous redressez votre jupon de mousselines crémeuses pour me dévoiler vos bottines salies par l'herbe du dehors. Ces jeux-là, mon dangereux abîme, n'appartiennent qu'à nous. Votre regard boudeur et vos yeux brillants comme deux petites billes, la satisfaction sur votre beau visage blanc comme la neige, vos lèvres rouges comme le carmin de vos ongles, je les sens s'enfoncer dans ma chair lorsque vous m'attachez sans complaisance, mais j'accepte ces souffrances pour vous, mon adorée.
Cette douleur au ventre lorsque vous enfoncez vos talons de bottines dans ma peau, j'ai souvent le nez en sang, marque de vos coups de fouet répétés, ainsi je subis l'horreur pour vous entendre me dire « je vous aime » et avoir le privilège d'entrer en vous afin de jouir contre votre peau de princesse. Il n'y a qu'avec moi que vous vous découvrez ainsi, sauvage et fillette, cette dualité qui engendre la folie, entre vos mains, je deviens un jouet brisé, sous vos exigences, je sens craquer les os de ma mâchoire, et je vous vois heureuse d'entendre la mélodie de ce déchirement atroce.
Ce ruban de velours à votre cou où trône en son milieu un camée des plus délicat. Vous souvenez-vous de ce cadeau précieux ? J'ai gravé votre nom sur mon épiderme avec la petite épingle qui la complète et vous m'avez aimé dès ce jour. Vous avez accepté de me montrer vos cicatrices sur votre corps de petite fille fragile, je m'étais pâmé d'admiration devant cette œuvre si frêle qui avait eu le courage de supporter tant de tourments. Ce bijou est la preuve de cet amour inhumain, oui, nous sommes bien au-dessus de tous ces amants historiques, nous sommes chair et sang, douleur et souffrance, lorsque je serre ce ruban autour de votre cou et que vous émettez ces râles de contentement, que votre petite langue se tend hors de votre bouche parfaite, j'ai envie de vous embrasser et de vous chérir jusqu'à la fin de notre combat. J'aime sentir vos dents sur le bout de mon vit, tout autour de mon être, j'ai l'impression d'être englouti au fond de vous et c'est là ma plus grande joie. Mademoiselle de mes rêves qui tient son ombrelle de dentelle blanche afin de se protéger du soleil, pour accentuer sa pâleur chétive, assise dans l'herbe verte sous un arbre fourni, elle lit entre ses cuisses un roman d'aventure parsemé de ces passages indélicats qui la font rougir délicieusement. Et mon cœur se serre de vous voir si heureuse loin de moi, près d'autres personnes. Mon amour, je suis la jalousie même, c'est inscrit dans mon écorce, votre âme est indélébile dans ma peau. Vos larmes, vos cris, vos griffes, tout me rappelle à vous, et je supporterais toutes les offenses et toutes les humiliations pour vous ma poupée jolie, ma chérie parfaite. J'aime sentir vos baisers cruels lorsque vous percez ma chair de crochets pour me suspendre audessus de votre lit glacial, vos manœuvres pour me torturer n'ont plus de limites, aussi, je vous regarde somnoler tandis que s'écoulent de mon dos des perles de sang. Sur votre visage endormi, la pluie rubiconde glisse sur vos yeux, sur vos jouets, à l'intérieur de votre bouche, et j'ai envie de vous aimer plus fort, avec toute mon ardeur de jeune homme.
Vos perles, vos larmes ce matin ont un goût amer et différent lorsque vous m'annoncez vos épousailles avec un inconnu. Et mon cœur semble ne plus battre en son endroit, je voudrais mourir à vos pieds à ce moment précis, je préfère vous tuer plutôt que de vous perdre, de vous partager avec un malotru servile qui n'en veut qu'à votre si belle jeunesse. Vous me souriez par convenance, votre bonnet de soie rouge vous confère une lumière sans pareil lorsque vous prenez cette décision grave de ne pas vous séparer de moi, de votre humble précepteur.
— Me suivrez-vous ? demande la sainte.
Et je l'accompagne à travers les pièces de son palais secret, à travers de vieux bois tapis de feuilles moisies. La petite beauté se défait de son serre taille émeraude et de sa capeline finement brodée pour me dévoiler un cache-corset des plus raffiné, dont la finesse des détails me dépasse. Mais ce qui me fait plier les genoux, ce sont les formes de cet enfant qui est l'amour le plus pur qu'il m'ait été donné de goûter. Je pourrais mourir heureux dans ses bras. Ma petite enchanteresse me dit des mots doux en me baisant le visage avec tendresse, elle tremble de tout son être et se colle à moi en larmes.
— Je veux mourir heureuse, c'est là mon seul souhait, dit-elle.
En la couchant avec précaution sur le sol froid, j'ai regretté de n'avoir plus somptueux sanctuaire pour y sceller notre amour. En la pénétrant de mon désir, je souhaitais disparaître en elle, n'être que douleur en elle, je serre alors le ruban de velours, mais l'épingle du camée s'affole et vient se planter dans son cou merveilleux, elle sursaute un instant, puis me dit « je t'aime » dans un gargouillis sanglant. Et je hurle de voir tout ce sang sur son beau visage de porcelaine, j'essaye de l'essuyer avec ma veste, mais rien n'y fait. Étouffant de larmes, je la porte, vêtue de ses apparats près d'une rivière, pour nettoyer sa beauté souillée. Tout est calme et silencieux autour de nous, ce lieu devient magique auprès de vous mon adorée, ma poupée merveilleuse. Et très calmement je n'ai aucun mal à m'enfoncer ce couteau que vous rêviez tant de me voir vous offrir. Ce couteau assez petit pour tenir dans ma bottine, serti de petits rubis rouges. Vous aimiez y voir se refléter votre image de petite fille sage. Et je vous ai aimé dans votre rôle d'élève et de princesse de ma vie. J'aspire à vous rejoindre de l'autre côté, ma si jolie Mademoiselle.