Donner un peu de son temps

Laura

Expérience vécue il y a quelques jours de cela. Une rencontre. Un peu de temps accordé. Ce texte est venu de lui-même :)

« Regardez tous … Ils sont là avec leurs fringues à jouer les boss avec leur petite démarches. Tu vois, on m'a dit que ça serait normal, que quand je sortirais, je serais un peu... Genre tout le monde sait tu vois ? Tout le monde sait d'ou je viens, ce que j'ai fais... »

-Un peu paranoiaque c'est ça ?

- Ouais voilà, exactement. J'ai l'impression qu'ils savent tous. Qu'ils savent tous que j'ai fait de la taule, d'ou je sors et tout. Le premier qui me regarde dans les yeux, j'ai envie de le tuer, tu vois. Mais je le ferais pas. Tu sais pourquoi ? Tu sais pourquoi ? Parce que je veux changer. Je veux pas retourner là bas. Tu sais quoi ? Je vais prendre deux semaines, juste deux semaines. Je vais rester avec ma femme, tranquille, et après je trouverais un boulot. C'est fini tu vois ? Je veux changer.

Je le regardais. Et la vérité c'est que je n'y voyais rien de dangereux. Certes il avait fait de la prison . Il me l'a dit. Et alors ? Putain vous avez vu ce gars ? Il est complètement détruit, il connait pas les trois quart de cette ville, il connait personne. Il a l'air complètement hagard, du gars qui est complètement perdu. Il lui juste donné un ticket de métro pour aller jusqu'à Lyon et c'est tout. Démmerde toi. Et c'est ce genre de choses qui me dégoute. J'ai toujours dit qu'un jour je voudrais avoir une discussion avec un mec qui sortait de prison. Parce que je sais que beaucoup de choses s'y passent, je m'y suis intéressée, beaucoup a une période et quelle a été ma réaction quand je l'ai vu arriver ? Oh merde ca y est. Un pervers de plus. Un. Mais non. Je me suis trompé. Je ne sais pas pourquoi il est venu me parler, pourquoi MOI, pourquoi pas quelqu'un d'autre ? Après tout il y a tout un tas de monde devant cette gare. Tout un tas de filles plantées devant la gare, tout un tas de mec avec leur chiens qui trainent autour aussi, a te demander des clopes dés que tu sors un paquet avec des « Hé ! Mademoisellle ! T'aurais pas une cigarette stp ? » Eh ben lui non. Il est juste venu s'asseoir a coté de moi. Sans rien dire.

Et moi ? Moi j'étais assise par terre, un goblelet de plastique a la main. Il est juste venu s'asseoir à côté de moi. La majeure partie des gens qui sont ici seraient venus me demander quelque chose. Une clope. De l'argent. Ou « discuter » avec moi pour savoir si j'avais un copain, quel âge j'avais. Mais non. Pas lui. Lui, il a juste fini par prononcer quelque mots au bout de quelques minutes. Je me souviens plus exactement lesquels. Mais il n'empêche que j'ai commencé a me sentir plus a l'aise, moins «bloquée » comme je le suis généralement quand un mec m'approche. Il parlait plus que moi. C'est a ce moment la que j'ai appris qu'il sortait de la prison, proche de Lyon. « J'ai pris 7 ans. Et tu vois, on te traite vraiment comme de la merde. 'Ya des gars qui ont juste fait un petit braquage tu vois, mais ça ILS s'en foutent. C'est tout le monde pareil. Tu vois, tu bouffes la même chose tous les jours : raviolis. Tous les jours. Ils en ont rien a foutre eux. Mais tu vois, tu peux t'acheter des trucs en dehors. Moi j'y allais jamais, pour bosser leur raviolis là ? On n'est pas des chiens putain ! Les clopes, pareil. T'as juste ce qu'ils te donne. Ca fait 7 ans que j'ai pas fumé de vraie clope tu vois.

De plus en plus je m'en fous de tout ce qui nous entoure. Je m'en fous du mec derrière lui qui me regarde, non, qui NOUS regarde avec ce genre de regard que je déteste du genre : Pff, regarde-moi ce mec, là. Et la fille là bas. Et ben tout ca je m'en foutais parce que ce mec là, il m'a vraiment fait de la peine. Il avait un bras pété, des brulures de cigarettes sur les bras, des cicatrices de partout. Et là je me disais : Mon Dieu... J'ai passé près d'une heure a discuter avec lui, a répondre par quelques mots, a le laisser parler au final. Mais pas du genre a le laisser parler pour rien parce que chaque mot qu'il prononcait m'intéressait. Je ne faisais pas semblant. Je l'écoutais faire des commentaires sur les gens. Sur les mecs qui passaient, sur les filles qui passaient. Et puis il m'a juste demandé quelque chose : J'aime pas demandé, mais t'aurais pas un truc a manger ? N'importe quoi mais... Et la je me suis sentie presque coupable de rien avoir. Putain. Je venais juste de finir le cookies que j'avais acheté. J'ai regardé dans mon sac, au cas ou. Il m'a arrêté tout de suite en me prenant par le bras « Non, non t'inquiète pas c'est pas grave. C'est genti quand même ». Et puis cette phrase auquelle je repense aujourd'hui.

« Tu vois, je suis juste venue m'asseoir, pour être tranquille tu vois. Et 'pis là ca fait une heure qu'on discute. C'est rare, de pas être jugé tu vois, de pouvoir juste parler. Franchement, t'es une fille super, l'oublies pas, okay ? Promets le moi ».

Et après ? Il est juste parti, il m'a fait la bise et hop il est partie prendre son train. Et là je me suis sentie étrange. De tout le temps ou j'ai attendue mon train. De tout le temps ou j'ai pris le train parce que des expériences comme ça, ça vous arrive pas tous les jours. Et ça fait du bien. Parce que ça m'a beaucoup fait réfléchir. On se base toujours sur les apparences, mais on a tort. Ce mec là, j'aurai pu continuer a lui parler pendant des heures. Et je me suis dit que ça m'apprendrait a juger. Alors bien sur, au moins je suis pas partie quand il est arrivé. Ce que j'aurais pu faire aussi. Sans doute parce qu'inconsciemment je voulais pas risquer de me prendre un commentaire si je partais ou qu'il me poursuive comme certains pour avoir une clope ou autre. Il n'empêche que je suis très contente d'être restée.

Tout comme j'ai été contente d'avoir aider ce SDF, a Rouen, ou il a voulu que « je surveille son chien le temps qu'il aille aux toilettes » Cette expérience a été étrange aussi. Parce que c'était la première fois que j'étais assise par terre, dans la rue, un chien couché a mes pieds, avec des canettes de bières par terre, quelques pièces devant moi. Alors bien sur, ca n'était pas MOI, mais l'expérience est particulière parce que les quelques personnes que j'avais croisé, ou plutot qui m'avait croisé ce jour me regardait avec ce même air que le mec plus haut du genre : putain, regardez moi ça... Et CA c'est insupportable.

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