Double

damian

Par une brumeuse nuit de nébuleuse mémoire
Alors qu'appesanti par une longue veille
Lassé de ne pouvoir esquisser mes merveilles
Soudain je m'assoupis sur mon vieil écritoire

Une clarté lunaire venue d'on ne sait où
M'extrait de ma torpeur, attirant mon regard
Vers un mur délavé et le pâle miroir
Où flottait le reflet de mon propre dégoût.

L'évanescent panneau tout de verre fumé
Brillait tel un soleil dans cette pièce ténébreuse.
L'image rayonnait sur l'âme fuligineuse
De ce triste accessoire emprunt de vanité.

Ah, l'étrange tableau qui se dessinait là!
Au milieu du néant, une table dressée.
Un être mystérieux à chaque extrémité
Étudiant le plateau d'un échiquier de bois.

D'un geste négligeant chacun déplace une pièce
Qui donne en s'animant une fugace vision,
Un écho surgissant de mon être profond
Ranimant avec lui désire, douleur ou liesse.

Devant mon corps transi, ces deux être s'affrontent
L'un de pure lumière, l'autre d'obscurité.
Mais entre ces deux anges, nul mot échangé
Juste cette tension, plus rien d'autre ne compte.

"Mais quel est donc l'enjeu de cette partie funeste?
Pourquoi donner à voir à un homme brisé
L'horrible pantomime que joue la Destinée
Et le sinistre jeu que disputent les Célestes?"

Ainsi, dans ce silence, éclata mon mépris
Pour cet éloge des dupes qui se voient dirigés.
La réponse vint bien vite, cruelle, méritée
Comme une gifle infligée à mon orgueil meurtri.

De l'ombre environnante surgit une voyageuse,
Une entité ancienne sur laquelle rien n'a prise.
Dans un soupir, elle dit, sans une once de surprise:
"C'est ton âme qu'ils jouent, petite flamme ombrageuse."

Sur la surface lisse, deux anges se faisaient face,
Dévidant devant moi le fil de l'existence.
Lors d'un ultime instant, prêts à rendre sentence
Le temps les emporta sans laisser une trace.

Alors la réflexion de mon regard changea:
Un œil devint blanc, l'autre de noir s'orna.
Les paroles de l'oracle me saisirent d'effroi
Et le sens secret de cette scène me frappa.


"Deux loup sommeillent en nous, l'un lumineux, l'autre sombre. Qui l'emporte sur l'autre? Celui que l'on nourrit."
Sagesse amérindienne.

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