Douter

Je n'écris pas mes pensées ; elles s'écrivent elles-mêmes, au prix de ma haine. Je déverse ma peine à nouveau, et je crois encore une fois que le bonheur n'existe pas. Car si l'on nous retire tout ce dont nous jouissons, que nous reste-t-il ? Je ne suis même pas certain de me retrouver avec moi-même. Je me suis perdu, et seules les illusions demeurent concrètes à mes yeux. Je me sens noyé dans l'impossibilité d'être. Et cela est effrayant ; tout ce qui nous parait essentiel est probablement vain. Matière, richesse, futilités, tout ce qui hante le monde, qu'il soit votre ou mien ; car je péris tout autant que vous, mais j'espère que nous n'en mourrons pas. L'emprise du temps social est inexorable. Pourrais-je sourire un jour sans me lamenter ? Plus sûrs de rien ; la confiance disparaît. La gloire tend ses bras aux vices humains, et la raison est utilisée, je crois, à très mauvais escient. Et puis l'espoir de ne pas nous voir disparaître s'amoindrit. Et la pensée de voir chaque précieuse subjectivité s'annihiler me domine et me tourmente. Je me perds dans les atrocités du monde et de mes actes. Dans l'effroi de n'être plus mais de paraître. Alors, il n'y a plus qu'à se fuir et se noyer dans le superflu. Car, comment agir dans ce néant des âmes ? Comment vivre dans une réalité qui n'est plus le réel ? Ou qui s'est emparé fondamentalement des structures de nos perceptions ? Je m'abandonne à la vie qui s'altère. On se livre réellement à la vanité totale des choses ; et, dans un monde ou rien n'est plus rien, ou tout est autre chose que les beautés d'antan, les mirages sont les rois de nos terres. Le regret est intimement lié à notre mémoire, à notre souvenir nonchalant ; comme un constat des merveilles évanouies derrière nous. Car qu'y a-t-il de beau à venir ? Si l'aurore et le crépuscule fondent mes sources d'inspiration, je ne suis plus du tout certain du monde dans lequel nous vivons. L'image domine le réel. Les fantasmes que nous prions d'exaucer semblent pourtant si fictifs et si détachés de notre présent. Tout mon être est mort ; car le paraître et son contraire, ici, ne peuvent pas coexister. Alors, tandis que je crois tendre vers un idéal et une élégance, je crois que je ne fais que creuser la terre qui me porte ; je me retrouve bien plus bas que la bêtise. Je suis le vaincu, l'idiot, l'ahuri.