Du clone de l'homme

Olivier Parent

Les techniques de clonage et les questions que ce sujet suscite dans la société civile ont pour origine la brebis Dolly, la première réussite largement diffusée auprès du public. Dolly a eu le mérite de faire connaître au plus grand nombre ce qu’était effectivement le clonage reproductif.

Il maintenant s'arrêter sur les coups médiatiques que firent, en leurs temps, Raël et le professeur Antinori. Le premier, gourou messianique extraterrestre, ne voit dans le clonage qu’un accomplissement de ses enseignements ; le second, après avoir permis à des femmes ménopausées d’être enceintes suite à un traitement hormonal, un nouveau moyen de procréation.

Dernier rebondissement en date : le scandale, en Corée, autour des travaux du professeur Hwang, accusé d’avoir trafiqué les résultats de ses expériences sur les cellules souches et le clonage thérapeutique.

Parallèlement à ces évènements, tous les pays du monde tentent de border le champ de ce genre de recherches afin d’éviter certains débordements... le tout, sous diverses pressions morales, sociales ou religieuses.

Que ressort-il de l’analyse de ces trois évènements parmi, sûrement, tant d’autres ?

Tout d’abord, une frénésie. Beaucoup de monde cherche, publie, déclame sur le clonage. Tous les intéressés parlent du bien que l’homme pourra en tirer, principalement, expliquent-ils, avec la compréhension et la maîtrise du fonctionnement des cellules souches ; en cas de besoin d’un greffon, on pourra faire se développer des organes 100 % compatibles avec le malade. Ces organes auront été « cultivés » à partir du potentiel "universel" des cellules souches. En effet, chacune de ces cellules a la capacité de se développer en tout ou parties du donneur/malade. Le malade devient son propre donneur. Au médecin de décider en temps voulu et selon telle ou telle stimulation hormonale la direction à faire prendre à l’organisme en voie de développement : peau, foie, rein, coeur... L’intérêt éthique des recherches sur les cellules souches et leur potentiel universel est d’éviter de passer par le clonage d’un individu entier, même à l’état embryonnaire, pour créer un organe de rechange.

Et pourtant, peu de ceux qui s’expriment sur le sujet du clonage thérapeutique parlent des enjeux financiers qui se cachent derrière ces grands élans de l’âme. Que l’on parle de brevets... et l’on en parlera, dès qu’il sera question de l’application au plus grand nombre de telle ou telle technique de clonage thérapeutique ou non.

Que l’on parle de retour sur investissement... et l’on en parlera, car combien de chercheurs ont ou auront un jour une clinique où ils appliqueront les techniques mises au point dans leurs laboratoires. Leurs recherches n’ayant pas bénéficié seulement de fonds publics ou philanthropiques, leurs cliniques deviendront un moyen de rétribution des investisseurs privés.

Que l’on parle de causes justes, universelles et bienfaitrices... Monsieur Claude Vorilhon, alias Raël, a besoin de la participation bénévole et financière de ses membres pour financer, lui aussi, ses recherches qui doivent aboutir, selon ses espérances au retour de l’humanité auprès des Elohims. Or, c’est grâce à Raël et sa secte que l’on discerne le mieux les risques non encore appréhendés ou non dits, que ce soit par inadvertance ou omission maladroite ou calculée.

L’avantage qu'offre Raël est que son illumination lui fait dire des choses que personne d’autre n’oserait dire. Ainsi, en 2002, avec la complicité et par l’intermédiaire de la biologiste Brigitte Boisselier, présidente de Clonaid, entreprise de recherche appartenant à la secte de Raël, il a annoncé que ses chercheurs avaient réussi à créer un embryon issu d’un clonage. Cet embryon avait été implanté dans une mère porteuse. La grossesse s’était bien déroulée. Le monde extérieur a plus qu’à attendre le faire-part officialisant l’heureux évènement auquel la secte ne manquerait d'inviter le plus grand nombre. Ce faire-part prenant la forme d’une analyse génétique prouvant la conception par voie de clonage d’Ève, ainsi ayant été prénommée la première clone raëlienne de l’Humanité ! On l’attend toujours, ce faire-part. (Depuis cette date, Clonaid et la secte revendique une douzaine de bébés clonés.).

À cette époque, on a beaucoup glosé sur la véracité de ces déclarations fracassantes... Quelles étaient les capacités des laboratoires raëliens ? Où en était-on vraiment dans les laboratoires indépendants ou gouvernementaux ? Est-ce que tout ceci ne serait pas qu’un coup de publicité ? Quels étaient les profits que Raël pouvait tirer de l’affaire ?

Mais personne, ou peu de gens, ont réagi aux propos tenus par le dit Raël.
Au plus fort de l’éclairage médiatique dont il a bénéficié, il avoua que tout cela n’avait été mis en œuvre qu’à des fins d’immortalité. En effet, il envisageait de se faire cloner pour, en définitive, transférer son esprit dans son clone, le jour où son corps ne pourrait plus vivre. L’opération réussie une fois, pourrait être répété à l’infini... Cette éternité retrouvée prouvant la naissance de l’humanité des mains de Elohims, extraterrestres et cloneurs originels de l’homme. Comble du cynisme, l’opération Clonaid 2002 a été évaluée, par Raël lui-même, à l’équivalent d’une campagne publicitaire de près de deux millions de dollars...

Toute abracadabrante que soit cette déclaration, elle a le mérite d’amener quelques réflexions, elles, sensées :

Les médias de grande écoute se sont permis, à l’époque, de diffuser n’importe quel propos sans discernement ni la moindre réserve. Personne n’a réagi en tout cas à l’époque. Et ce n’est pas l’intervention d’un éventuel médiateur, quelques jours plus tard, qui changera quelque chose à l’impact provoqué dans le public.

Ces paroles passent ainsi de l’état de élucubration à celui d’information. Et ces idées s’insinuent dans l’esprit des gens... Quand on tient une fois de tels propos sans provoquer de réactions, on les dira deux puis trois fois... et un jour, d’autres reprendront vos paroles.

De fil en aiguille, on en vient à se demander pourquoi le législateur passe autant de temps sur un tel sujet, et pourquoi dépense-t-il autant d’énergie...

Le plus troublant, c’est d’assister à tout cet enchaînement d’évènements, en ayant omis de poser la seule question qui importe : Qu’est-ce qu’un clone ? Qui est-il ?

Car, il ne faut pas se leurrer, que ce soit en Occident ou ailleurs sur la planète, on a cloné, on clone et l’on clonera des individus entiers en dépit des lois interdisant cette pratique ! Les recherches sur les cellules souches sont un beau miroir aux alouettes destiné à rassurer l’opinion publique.
On en parle beaucoup de ces cellules souches. Les recherches, et ce qui pourra en découler, semblent fort prometteuses pour le futur de la santé publique et individuelle. Mais qu’est-ce qui empêchera un patient ou client de demander un clone d’un proche ou de lui-même, à l’image de ce que l’on commence à proposer pour les animaux domestiques. Quelle clinique privée, quel médecin refusera les ponts en or qu’on leur fera ?

Divers arguments vont dans le sens du passage à l’acte, à échéance plus ou moins brève. D’une part, il y a les sommes dépensées par ces riches voyageurs pour un ou deux tours de la Terre, en apesanteur. De l’ordre de 200 000 dollars pour un billet aller-retour. il est annoncé que, bientôt, les prix baisseront, mais ces mêmes prix resteront tout de même de l’ordre de 30 à 50 000 dollars. Imaginez le "bizness" ! Surtout quand des magazines internationaux comme Forbes ou Fortune, avec leurs palmarès annuels des fortunes mondiales, ne font que montrer l’augmentation du nombre de ces milliardaires et autres multi-millionnaires et ce à l’échelle planétaire.

D’autre part, il faut prendre en compte les tabous brisés par les oeuvres d’un docteur Antinori et ses parturientes sexagénaires ou les travaux du professeur Thomas H. Shaffer, de l’école de médecine de la Temple University, sur l'utérus artificiel et qui a déjà développé un liquide amniotique synthétique. Ainsi, la nature peut être pliée selon la volonté de l’homme. Celui-ci s’affranchit, enfin, de cette nature !

En dernier lieu, on peut citer le cas des enfants médicaments.

Ces dernières années ont vu la naissance d’un certain nombre de bébés conçus pour devenir donneurs compatibles avec un frère ou une soeur aînés, atteints d’une maladie incurable. Le principe est simple. On prélève plusieurs ovules sur la maman du malade que l’on féconde avec le sperme du papa. On attend quelques jours pour avoir un œuf suffisamment gros (un nombre de cellules minimums est requis pour permettre les analyses fiables), et l’on vérifie la compatibilité génétique de ces oeufs avec le receveur. On implantera dans l’utérus de la maman les deux ou trois œufs offrants le plus de chance de donner un individu apte être accepté comme donneur d’organe par le malade condamné à mort si rien n’est tenté (à ce jour, cette procédure concerne principalement des cas de greffes de moelle osseuse)...
Drame de famille. Douleur. Injustice face à la maladie et la mort de l’enfant. Deuil...

Mais l’enfant conçu dans ces conditions, que doit-on lui dire de sa conception intime ? Que doit-on lui dire du désir qu’avaient ses parents de l’accueillir dans leur foyer, au moment de cette conception ? Et, que doit-il penser de l’instrumentalisation dont il a fait l’objet, comme banque d’organes ? Mille réponses bien pensantes peuvent êtres apportées à ces questions. Mais combleront-elles les vides laissés dans le cœur des individus concernés ?

Ces mêmes questions éclairent d’un jour nouveau le cas possible d'un clone humain.

Autant, il ne viendrait à l’idée de personne de faire sortir du champ d’influence des droits de l’homme l’enfant médicament... Autant Raël avec ses propos et l’absence de réactions des milieux officiels, les sommes prêtes à être dépensées par certains pour une passion particulière et les enfants médicaments... Tous ces évènements cités et cette instrumentalisation rampante du corps de l’homme tendent à semer le doute quant à la pleine humanité du clone.

Le clonage thérapeutique et les travaux sur les cellules souches sont un fabuleux espoir pour l’avenir de l’humanité. Mais il n’en reste pas moins que sous des devants acceptables, les découvertes et les protocoles mis au point sont autant de marches prêtes à être parcourues par celui qui décidera de procéder au clonage d’un individu.

Dans la procréation hétérozygote, l’apport des patrimoines génétiques des deux parents intervient également comme garde-fou à une appropriation excessive d’un des deux parents dudit enfant. Et malgré cela, les exemples de ces parents développant des sentiments de possession très fort à l’égard de leur enfant ne manquent pas. Ces travers allant jusqu’à des comportements que l’on attendrait dirigés seulement vers des objets.

Imaginez celui qui, par facilité financière et contre la loi établie, imaginez ce qu’il pourrait développer comme sentiment à l’égard de son clone...
Imaginez l’horreur de celui qui n’envisagerait son clone que comme une banque d’organes, dans laquelle on pourrait puiser à volonté ? Et ce n’est pas Raël qui me contredira, puisque lui le dit clairement : il veut se cloner à des fins d’immortalité. Il ne s’embête pas avec la liberté du clone. Le clone appartient à l’original !

Alors, en préambule de tout travail législatif qui pourrait être proposé à telle ou telle assemblée, ne faut-il pas tout simplement, avant même d’interdire le clonage reproductif, reconnaître la pleine humanité d’un individu conçu par voix de clonage, donc par conception « unizygote ».

Mieux encore, pourquoi ne pas inclure dans la Déclaration universelle des droits de l’homme la protection pour tout individu humain, sans regard sur les moyens et technique ayant présidés à sa conception ?

Signaler ce texte