Du coq à l'âme

Assise  devant une pinte de bière fraiche, la vie passerait   en jacassant.Le cœur n'y est pas avec tous ces bouleversements du planisphère . Le seul  accroc dans la routine ? Une nouvelle à la radio qui a dû retenir mon attention. Il y en a de très farfelues, de moins drôles. A heure plus ou moins fixe, j'allume le poste et je capte les faits. D'abord analyser l'événement demande quelque temps. Comprendre en quoi il influence ma démarche ou mes sourires peut légitimer toutes sortes de compromis. C'est un peu comme l'iceberg qui fiche la frousse au capitaine de paquebot flambant neuf même s'il ne mesure que 9 mètres devant la Rochelle . Titanic oblige. Vous êtes là, gentiment, occupé à peindre la demoiselle que votre famille a élue. Vos pensées , palette en main,  vagabondent entre  le vert Véronèse et la terre d'ombre, achetées chez Sennelier, de surcroît.Et plouf, au plus vite dans les affres d'un naufrage nocturne qui fera date …Pas le pied marin en ce moment !Sur mon terrain vague, il faut appliquer la méthode des sages bonzes. On isole le cerveau dans une nébulosité bienheureuse. Prévenons tout de suite les candidats à la béatitude que ce stratagème demande des efforts nourris et de la patience. Rien n'empêche le conquérant d'une immensité intérieure de s'octroyer des petits moments d'hilarité .Contenue, pour ne pas gâcher l'énergie. Les calembours apportent toujours un surplus de qualité comme l'orchidée sur une toile cirée. Un exemple ?Je me suis retrouvé   en fat majeur, ce matin devant la baignoire. A condition d'en avoir une.Pas convaincu ?Essayez le bicarnonate de soude.Cela donne des airs de Perrier soft  à n'importe quelle eau du terroir. Je me lave avec un baquet comme du temps de Bécassine. La modestie se porte bien peu sous nos latitudes, d'où la nécessité d'élaguer dans les vantardises auxquelles tout un chacun peut trouver du charme si son chemin est aride.Sans compter  que  récurrente devient  la soupe à la grimace avec un miroir pour convive .Ce n'est pas le rythme de mes vocalises qui effraie les rares voisins. Mais la soudaine irruption d'un  fracas  matinal dans l'espace. D'habitude,  pas loin de  la caravane, sur ce terrain vague où ne poussent que des coquelicots, un coq esseulé chante pour acclamer l'aurore.  Pas bien vaillant le Chanteclerc, mais honnête  et appliqué.  Son association de syllabes aigües et invariables  peut donner le tournis à la longue. On a les apothéoses qu'on peut lorsqu'on n'est pas autre chose qu'un homme qui rêve d' ailleurs. Coq épargné lors d'une révolte  en période d'insomnie. A dire vrai, le plomb avait effleuré sa patte. Je ne saurai jamais si la carabine a trahi mon intention ou si l'animal a perçu le reflet du canon strié  au dernier moment. Voilà le genre de geste  bienvenu qui effondre la solitude. Reconnaissant, comme dans un conte de Grimm, le volatile maigrelet approche toujours de mon refuge à l'heure du déjeuner.  A la recherche de quelques miettes de pain ou d'un bout de gâteau au miel. Saumâtre, me voilà contraint de faire le généreux. On ne sait jamais. Ma nurse, au temps des vertes années, quand j'étais ingambe et goûtai aux confitures défendues dans son corsage ,  m'a fait apprendre par cœur une fable. La poule aux œufs d'or. Superstitieux donc, je préfère rester hâve et mal en point plutôt que de sacrifier mon compagnon emplumé à ma colère. Certes les mâles de son espèce pondent peu. Mais on raconte des choses dans le village. Au moment de l'avancée allemande en 1943 un vieil aristocrate polonais a caché dans le parc de son château une valise.A l'intérieur des objets en argent. Une fortune ! Le manoir a été rasé pour construire des barres d'immeuble.  Le terrain vague, d'après mes recherches au cadastre, est ce qui reste du parc d'antan. Quelque chose me dit que  ,une fois ce coq laissé en vie, la Providence   finira bien par me payer de mes sacrifices. Voilà dix ans que je creuse en cachette, la nuit, à la recherche la valise. J'ai dressé  un plan de l'endroit et chaque carré fouillé est coché scrupuleusement. Ma carabine ne sera pas que pour les lapins, si un curieux s'égare par ici…