Du sang sur les Notes
Kévin Ribout
Nouvelle imaginée et rédigée Mardi 16 Avril 201"
De sa poche tombait au sol la photo de Gwen, emportée par le vent, Léa l’attrapa au vol…
Mais commençons par le début…
Cela avait fait la une des journaux et le sujet préféré des actualités « people ». Faut dire que ce groupe de musique était devenu en un album ce qui se faisait de mieux dans l’industrie musicale, autant par son niveau créatif que par les chiffres de vente. Malgré la crise du disque, et les multiples piratages, c’était un raz-de-marée.
Ils étaient devenus les « Beatles modernes », les « Stones des platines »…Tout le monde voulait les voir jouer, s’éclater sur leur musique, le concert donné au « Privilège », le plus grand club d’Ibiza et du monde, devant plus de 10 000 personnes en furie, a été du jamais vu. La tournée mondiale a été un franc succès. Les places se sont arrachées en moins de cinq minutes.
Pourtant, derrière tout ça, se cachait quelque chose de sombre, quelque chose de malsain….
Benoît dit « DJ Ben » avait imaginé cette idée en regardant un documentaire sur les tueurs en série. Il comprit que les gens avaient en eux une fascination pour les meurtres, pour le morbide, pour les massacres. Partout à la télévision, le mal attirait de plus en plus. Les séries télévisuelles font l’objet de crimes, de sang, d’horreur, et cela ne gêne personne, au contraire. L’impression qu’il n’y existait plus de limites.
Le monde était en train de devenir fou pensa Benoît, alors pourquoi s’en priver. Pourquoi ne pas en profiter. Trouver l’idée est ce qui lui avait toujours manqué. Pas cette fois…
Il avait toujours eu en lui ce désir de faire de la musique. Cette soif de création. Il voulait être le meilleur, le « Mozart des temps modernes ». Autodidacte, le casque soudé sur ses oreilles, il avait commencé très tôt à mixer et à fréquenter assidûment les clubs de la capitale. Chez ses parents, déjà, il avait transformé la cave en salle d’expérimentation musicale. Un endroit dédié pour lui et ses amis à la création, à la découverte des sons et du rythme.
Au fond de lui, dans cette petite cave, les yeux fermés, il se rêvait derrière les platines, à faire vibrer le monde entier…Il en avait passé des heures à chercher, à tenter de trouver le « son » qui révolutionnerait le monde de la musique, le concept qui serait la clé de son succès. Toutes ces années d’adolescence à s’isoler pour finalement le trouver grâce à un simple documentaire. Cela le faisait sourire. Un de ces rictus qui ne laissait rien présager de bon…
Le portable de Thomas se mit à retentir dans le café. Il savait que Benoît était fort, une sorte de génie caché dans une lampe merveilleuse qui attendait patiemment qu’on vienne le libérer. Mais à ce point-là, il n’y avait que lui pour penser à ça. Thomas avait la même passion pour la musique que lui. Il était le premier à avoir eu le droit d’accéder à la cave
Des heures et des heures en compagnie de Benoît à mélanger des sons, à partager leurs dernières trouvailles. Il écouta avec attention et comprit que cette idée bien que folle pouvait fonctionner.
A son tour, il informa Nicolas, troisième roue du carrosse. Au début réticent, sa passion pour la musique prit le dessus et accepta de les rejoindre.
Nicolas et Thomas se dirigèrent chez Benoît afin de prendre acte du projet.
Assis au bout de la table, il les pria de s’asseoir. Son visage était à la fois sérieux et excité. Il avait l’idée, il fallait maintenant la réaliser. C’était un pacte, un engagement qui pouvait les mener très loin. Il en était plus que convaincu.
Ca se fera chez lui et dès demain, il ne fallait pas perdre de temps. Le monde avance vite et il ne voulait surtout pas louper la marche. Il indiqua que la première serait son amie Gwen. Autant commencer par quelqu’un de proche, cela sera beaucoup plus facile après pour les autres. Et c’est lui qui agira…
Le lendemain après-midi, il demanda à Gwen de le rejoindre chez lui prétextant un besoin urgent de lui parler. Elle était très amoureuse de Ben. Elle adorait son charisme, ce qu’il dégageait comme confiance en lui. Son premier rendez-vous, se souvient-elle, était dans la cave. C’était impressionnant de voir tout ce matériel, se rappelait-elle. Il lui avait fait découvrir la musique. C’était la seule qui avait le droit de toucher à son casque et à sa platine. Elle était tombée sous son charme très rapidement. « Ben » comme elle aimait le surnommer était souvent tendre avec elle mais au fil du temps elle comprit vite qu’au fond il ne pouvait aimer personne autant que sa musique. Il n’y avait que sa passion dévorante, plus de place pour autre chose. Cela la rendait souvent malheureuse mais savait qu’elle n’avait pas vraiment le choix. Il était comme ca, fallait l’accepter ou partir. Elle le connaissait par cœur et avait trouvé bizarre la façon dont il lui avait demandé de venir. La voix n’était pas comme d’habitude .Un pressentiment, sans-doute…
La porte d’entrée était entrouverte, elle ne vit personne. Elle se douta que « Ben », comme d’habitude, devait se trouver dans la pièce de musique. Là où tout son matériel de DJ était stocké ainsi que celui de Thomas et Nicolas. Il y avait aussi des armoires de disques vinyles et de cd. Un appartement qu’il louait depuis peu et qui était son nouveau repaire pour s’adonner à sa passion. Elle poussa la porte doucement, pensant voir son chéri, casque sur les oreilles, en train de mixer sur sa platine.
Derrière elle, Benoît, batte de baseball à la main, se prépara à l’assommer. Le choc fut violent. Un cri résonna dans la pièce. Gwen s’écroula sur le sol, inerte. Il la souleva et la posa sur une chaise et à l’aide d’une corde, lui attacha les pieds et les mains. Dans quelques heures, il allait enfin concrétiser son projet. Son outil de travail était là devant lui. Thomas et Nicolas sortirent de la chambre où ils s’étaient cachés pour rejoindre Benoît dans la pièce.
Elle rouvrit les yeux doucement, les cligna, pour bien réaliser ce qu’il venait de se passer. Un mal de tête affreux résonnait en elle. Elle ne pouvait pas bouger. La corde lui faisait si mal.
Pas encore consciente qu’il venait de la frapper, elle l’appela pour qu’il lui porte secours et savoir ce qu’il venait de se passer. Mais ce ne fut pas le Benoît qu’elle connaissait qui rentra dans la pièce. Elle ne l’avait jamais vu avec ce visage. Un visage de psychopathe. Non ne c’était pas possible… Pas lui… Pourquoi…
L’effroi supplanta la douleur…
Benoît s’approcha en souriant. Il lui fixa un petit micro au niveau de la bouche et prit place juste en face d’elle. Il lui expliqua en détail ce qu’il attendait d’elle, en lui disant qu’elle allait être la première et qu’elle devait en être fière. Cela allait être une expérience fantastique, un chef -d’œuvre, il voulait qu’elle prenne conscience que c’était le début d’une grande aventure.
Gwen claquait des dents de nervosité... Elle ne comprenait pas. Pourquoi ce micro, pourquoi l’avoir attachée, cela n’avait pas de sens. Elle était d’ailleurs incapable d’ouvrir la bouche, tétanisée par la peur.
Il se leva et dit à Thomas et Nicolas de s’installer devant le poste d’enregistrement. Il alla dans la cuisine, chercher une fourchette, un couteau, des glaçons, des ciseaux, et un briquet. Rien ne pouvait plus l’arrêter. Il fallait aller au bout. Au bout de sa folie… Ne pas reculer…
Il reprit place devant elle. Avec les ciseaux, il se mit à découper avec attention son jean et son t-shirt. Il fallait que Gwen soit nue pour que cela soit encore plus parfait. Elle tremblait, c’était bon signe.
Il saisit le couteau, et le glissa tel un pinceau sur la toile du corps dévêtu. Il tourna la tête et fit signe aux deux autres de commencer l’enregistrement. Le tableau était prêt.
La fourchette… Il la passa quelques instants devant les yeux de Gwen. Elle essaya de le supplier, de lui dire d’arrêter, qu’elle l’aimait… Lui, voulait des cris, et commença à piquer de partout ce pauvre corps sans défense. Au début, doucement, puis de plus en plus fort. A chaque fois que sa peau était touchée par le métal, Gwen poussa des cris de douleurs. Il continua en prenant un malin plaisir. Il voulait le cri parfait.
Il baissa sa petite culotte, et saisit le briquet. Quasi-inconsciente, Gwen ne réagissait presque plus, encore sous le choc. Il l’approcha comme s’il voulait y mettre le feu. Il laissa la flamme se consumer. Elle ne pouvait rien faire. Elle avait de plus en plus de mal à respirer. Ca la brûlait intensément.
Des larmes coulaient sur son visage. Tenant le briquet d’une main, Ben lui essuya d’un geste lent, presque touchant, vu la situation. Elle ne le quitta pas du regard. Malgré la douleur, elle voulait lui montrer qu’elle pouvait résister, le défier une dernière fois. C’était sa façon de croire qu’elle pouvait encore en sortir vivante.
Il posa au sol le briquet, et, prit les glaçons. Lui demanda d’ouvrir la bouche, et lui glissa un par un avec force. Gwen se mit à déglutir. Il l’encourageait à continuer, à avaler sans attendre que ca fonde. C’est bien ma chérie, dit-il. Fait du bruit, on t’enregistre. Continue de gémir comme ça. Tu vas nous rendre célèbres
Son heure était venue. Il fallait en finir, la douleur était trop forte. La chaleur entre ses cuisses était encore vive. Elle n’osait regarder. Sa peau était couleur rouge vif. Elle avait des petits trous partout sur le ventre et sur les seins. Le sang dégoulinait de partout. Sa gorge lui faisait mal. Elle était recouverte de vomi.
Benoît ramena une bouteille de champagne, avec trois coupes. Il fit un semblant de discours en la remerciant de sa coopération et qu’après elle, d’autres y passeront aussi. Il servit les deux coupes à ses partenaires et une pour lui. En dégustant son moment de gloire, il regarda Gwen d’une façon dédaigneuse. Regarde dans quel état tu es, tu aurais pu t’habiller pour poser devant trois beaux mecs… Tom et Nico étaient pliés en deux, ça rigolait de plus belle… Il avança la bouteille à moitié pleine vers Gwen et lui versa le champagne dessus en ayant pris soin d’enlever le micro. Benoît était un perfectionniste. Elle était trempée. Il lui dit bien en face si elle réalisait qu’elle venait de prendre une douche de champagne. Pour la seule fois et la dernière fois de sa vie.
Il lui dit qu’il allait la relâcher, qu’il regrettait, que cela avait été trop loin. Bien sûr, Gwen savait que ce n’était qu’un jeu… Il prenait soin de la faire souffrir. Elle trouva après un violent effort la force de lui cracher au visage.
Il lui donna deux grosses claques qui résonnèrent dans toute la pièce. Il remit le micro en place et lui posa un casque sur la tête. Gwen devait choisir un morceau. Celui qu’elle voulait. Ca sera son dernier … Tom alla chercher le disque et le glissa dans le lecteur. Benoît approcha de la table de mixage pour mieux la contempler et mit progressivement le son au maximum… Le son sortait du casque. Elle avait mal aux tympans, c’était affreux. Elle hurlait, la douleur était insupportable. Benoît laissa le morceau se finir comme pour savourer ce moment.
Il s’approcha, lui enleva le casque et lui souleva la tête. Elle était déjà un cadavre. Inerte, blafarde, il lui retira le micro. La détacha, l’allongea sur le sol et demanda aux deux autres de le laisser seul.
Il fallait en finir maintenant…
Quelques larmes coulaient sur ses joues comme s’il réalisait ce qu’il venait de faire. Mais c’était mal le connaître, il en pleurait de joie car son projet venait de prendre forme. Une joie qui chassait la douleur d’avoir tué son amie. Il ne réalisait même pas, il était en état de transe. C’était pour lui une concrétisation. Il se sentait puissant et fier. Il prit alors le couteau et lui planta dans le cœur à plusieurs reprises. Il lui donna plusieurs coups violents au niveau du visage pour être sur qu’elle ne respirait plus. Puis la porta à bouts de bras, et la jeta dans la baignoire vide de la salle de bains…
Le cauchemar portait maintenant un nom et ce n’était pas fini, ce n’était que le début. Fallait maintenant renouveler l’expérience avec d’autres femmes. Il fallait des cris, de l’horreur, de la peur, ne cessait t’il de répéter.
Nicolas, qui travaillait à l’époque comme garçon de café, allait trouver les futures victimes. Puis les emmener à l’appartement. On renouvellera le même plan. Thomas tu t’occuperas du son, moi je tue et ça sera beaucoup plus facile sachant que je ne les connais pas. Je veux de la brune, de la rousse, de la grosse, de la maigre… On va tout casser, les gars, ça va déchirer…
Les semaines passèrent. La vie était paisible dehors, personne ne pouvait imaginer l’horreur qui se déroulait à côté de chez eux. A la vingtième victime, il décida d’arrêter le massacre. Cela faisait assez de cris en stock pour faire du bon boulot.
La salle de bains débordait de corps sans vie entassés comme du bétail desséché. Ca sentait la mort, la décomposition. Une vraie chambre mortuaire. Il fallait s’en débarrasser car l’odeur pourrait alerter le voisinage.
Le père de Thomas était boucher. Benoît décida de mettre les corps dans sa voiture et de tous les mettre dans la chambre froide de la boucherie. Bien empilés au fond, recouverts d’une bâche, cela passerait sans problème. Thomas avait pris les clés le temps d’une nuit.
Une fois chose faite, il passa à la phase création. Avec Thomas et Nico, ils retournèrent dans la pièce de l’horreur pour allier cris et musique comme si de rien n’était. Il précisa qu’il voulait que chacun des morceaux devait emmener celui qui les écoutait dans un autre monde, grâce aux sons des hurlements, faire ressentir une forme de peur, et surtout faire danser.
Ils s’enfermèrent pendant des semaines afin de faire naître douze compositions électroniques.
Faisant jouer ses contacts dans le milieu musical, Benoît réussit à convaincre un producteur de sortir le disque. Le mixage était tellement bien réalisé que les critiques furent sous le charme tout de suite. Le disque se vendait comme des petits pains, les morceaux tournaient en boucle sur les radios. Le succès était au rendez-vous et les trois DJ étaient au sommet. Son idée avait fonctionnée. Il n’oublia pas de préciser que le son des cris était une création informatique pour se rapprocher le plus possible de la réalité.
Certes il avait fallu tuer Gwen et les autres, mais si c’était pour connaître ça, il avait eu raison. La peur fait vendre. La peur attire… Benoît était enfin heureux. Thomas et Nicolas aussi. Ils avaient activement participés à son projet, à son idée.
Maintenant, nous sommes connus, riches, et nous faisons ce que nous aimons le plus au monde, de la musique. Qu’importe comment nous l’avons faite, la voix est un instrument, le cri en est un dérivé. Notre album est le plus acheté, le plus écouté, c’est tout ce qui compte. Les morceaux sont enregistrés, en soirée, nous avons juste à les passer, rajouter de temps à autres quelques extraits de cris, les gens exultent et en redemandent. Benoît jubilait.
Les corps étaient en conserver dans une chambre froide d’une banale boucherie parisienne et eux en train de mixer dans les plus grands clubs du monde entier. Tous les cris de ces femmes qui ont soufferts le martyre passaient en boucle dans les boîtes de nuit.
En un album, le trio avait réussi à regrouper les fans de musique gothique et les fans de musique techno. Leur look de jeunes premiers attirait aussi bien les jeunes adolescentes que leurs mamans. Tout le monde adorait cette musique venue d’ailleurs, pour ne pas dire d’outre-tombe. C’était nouveau et tellement bon…
Nous sommes devenus des « Dieux », osa penser Benoît. Pas un jour, pourtant, il ne cessait de penser à Gwen, à ce qu’il avait sacrifié pour en être là. Il avait vendu son âme au diable. Il fallait vivre avec ça. C’est lui qui avait tué. Pas les deux autres. Ils ont juste assistés aux tortures et aux meurtres. Les fantômes de ces femmes le hantaient à chaque soirée. Il était maintenant un artiste, un génie de la musique reconnu par tous. Il vivait avec ses démons, c’était la règle du jeu.
Le commandant Rivière, Jacques de son prénom, inspecta avec soin le fond de la chambre froide. Il souleva la bâche et fût immédiatement, malgré sa grande expérience, prît de nausées. Une vingtaine de corps féminins reposaient ici visiblement depuis longtemps. C’était Patrick, le père de Thomas, qui l’avait appelé, alerté par l’odeur plus que suspecte. Bien sûr il n’était au courant de rien et ne comprenait pas. Jacques le plaça en garde à vue malgré le fait qu’il croyait en sa bonne foi. Patrick passa la nuit entre le bureau du commandant et une cellule et fut relâché le lendemain matin.
Jacques se prit la tête entre les mains. Il essayait de comprendre quel homme pouvait accomplir un tel acte. Il fallait vraiment ne pas avoir de cœur pour faire souffrir de si jolies femmes, pensa- t-’il. Devant lui, sur son bureau, les vingt portraits étalés et à part le sexe, il ne voyait aucun liens entre elles. Rien ne se recoupait. C’était ce qui pouvait arriver de pire. Il prit du temps pour appeler toutes les familles. Il détestait ce moment. Annoncer la mort d’un être cher, surtout dans ces conditions, n’est jamais chose agréable.
Il fallait faire le point… Il possédait les noms des victimes, les photos, il savait que les corps avaient été transportés et entreposés dans une chambre froide d’une boucherie dont le propriétaire était le seul à avoir les clés. Le médecin légiste venait de faxer le compte-rendu des autopsies. C’était toujours ça… Il s’alluma un gros cigare cubain, se versa un verre de son whisky préféré et arracha la feuille du fax, et une nouvelle fois fût pris de nausées.
Ce n’était pas humain de faire ça. Les corps avaient tous été mutilés, frappés, des traces de brûlures avaient été relevées… Pourquoi faire ca et dans quel but…Jacques comprit que l’affaire était plus qu’inquiétante et qu’il fallait absolument la tirer vite au clair même si cela partait bien mal. En effet, Benoit avait pris soin de mettre des gants afin de ne pas laisser de traces. Ce qui était sûr par contre, c’est que les meurtres n’ont pas été faits en même temps, mais sur un étalement de plusieurs semaines.
Jacques saisit alors la photo de Gwen, c’était la première à avoir été torturée au vu du rapport. D’après ses parents, c’était une jeune femme sans histoire, avec de bonnes fréquentations. Rien ne pouvait laisser penser qu’une chose aussi terrible pouvait lui arriver. Elle sortait peu, préférait rester chez elle à lire et écouter de la musique. Depuis quelques temps elle fréquentait Benoit, l’actuel leader d’un groupe à succès mais elle était incapable de se rappeler du nom. Ils ne s’étaient pas inquiétés car Gwen n’habitait plus chez eux et que ca lui arrivait bien souvent de ne pas donner de ses nouvelles. C’était son côté rebelle…
Il décida d’aller visiter son appartement voir si des indices pouvait l’aider. Elle vivait depuis peu dans une petite chambre de bonne du XIXème arrondissement de Paris. Jacques ne trouva rien d’important qui aurait pu l’aiguiller. Les murs étaient recouverts de cartes postales, elle aimait voyager visiblement. Non cela ne l’aidera vraiment pas…Un peu désabusé, de retour dans son bureau, il demanda le relevé téléphonique de Gwen pour voir les derniers appels reçus et composés le jour du drame.
Il pensa soudain à Léa, sa fille. Elle avait l’âge de Gwen. Et lui ressemblait un peu d’ailleurs physiquement. Depuis que sa femme était morte d’un accident de voiture, il n’avait plus qu’elle dans sa vie. C’était son trésor, son amour, son ange. Il l’appela pour lui demander si tout allait bien à la maison, il ne voulait pas lui parler de son affaire, elle avait déjà tellement souffert à la mort brutale de sa mère. Il allait rester au bureau cette nuit. Léa en avait l’habitude. Son père était un de ces commandants qu’on voit souvent dans les films policiers. Quelqu’un qui ne lâche jamais, qui préfère rester au bureau à dénouer les enquêtes plutôt que rentrer, elle était fière de lui.
On était samedi soir, elle l’informa que ce soir, c’était « la nuit des DJ « au Stade de France et qu’elle s’y rendait avec son amie Patricia.
Jacques avait encore oublié. Il savait que sa fille était une grande fêtarde et amatrice d’un style de musique qui le dépassait, lui rockeur dans l’âme. Il tapota alors sur son clavier d’ordinateur pour voir le programme du concert. Un des musiciens annoncés ressemblait curieusement à une photo qu’il avait déjà aperçue dans la chambre de sa fille.
C’est à ce moment-là que Jennifer, sa secrétaire, lui apporta la liste des relevés téléphoniques. Visiblement, le dernier appel était celui justement de Benoit, son petit ami. Rien d’anormal dans tout ca sauf qu’elle a été assassinée peu de temps après. Il fallait qu’il rencontre ce Benoît absolument. C’était la première et seule piste qu’il possédait actuellement et son intuition le trompait rarement.
Il rappela sa fille pour savoir si le nom de Benoît Lénau lui disait quelque chose. Léa éclata alors de rire. Un de ces rires moqueurs que Jacques détestait. Une façon de lui montrer qu’il n’était pas du tout à la page. Bien sûr qu’elle le connaissait, tout le monde le connaissait. C’est « DJ Ben ».Il est si mignon derrière ses platines, trop chou. Sa musique est tout simplement magique. Plus effrayante qu’un train fantôme. Pire que tous les films d’horreur. Ca le fait tout simplement. Avec ses deux partenaires, il vient de faire le tour du monde, c’est le groupe avec un grand G. Ce soir ce sont eux les rois. Tout le monde vient pour eux. Papa tu n’es vraiment pas à jour, il va falloir reprendre tout ça… Mais pourquoi t’intéresses-tu à lui ? Tu ne devais pas être au bureau ce soir et bosser sur ton enquête ?
' - C’est bien ce que je fais ma chérie, fais attention à toi, lui répondit-t-’il avant de raccrocher.
Jacques essaya de rassembler les évènements. Gwen reçoit l’appel de Benoit. Quelques heures plus tard, elle meurt assassinée et est retrouvée un an après gisante dans une chambre froide avec dix-neuf autres victimes.
Il décida d’appeler Patrick pour savoir s’il ne connaissait pas par hasard un certain Benoît. Il lui déclara que c’était le meilleur ami de son fils Thomas, et son partenaire musical dans le groupe « BenThoNic » avec leur ami Nicolas. D’ailleurs ce soir, ils sont au …
- - Oui je sais merci, au Stade de France, grommela Jacques d’un ton agacé.
Il sauta alors dans sa voiture. Alluma le gyrophare. Ce soir, c’est soirée techno…
En arrivant aux abords du stade qu’il connaissait bien, car il avait été voir Johnny il n’y a pas si longtemps que ça, au grand désespoir de Léa qui n’aimait pas trop ce genre de rock mais qui l’avait accompagnée pour ne pas le froisser, il regarda une dernière fois la photo de Gwen posée sur le siège avant à côté de lui. Il repensa à l’état du corps, bien qu’en décomposition, il pouvait sentir la souffrance qui lui avait été affligée. Il se faisait la promesse de retrouver le ou les coupables.
Il sortit sa plaque de commandant pour accéder au stade, tout en jetant un coup d’œil pour voir s’il apercevait Léa. Le concert avait commencé, la vue sur cette marée humaine était impressionnante. Ca bougeait de partout telle une fourmilière. Visiblement sur scène, d’après ce qu’il pouvait distinguer, c’était juste un DJ qui mixait… Donc les « BenThoNic » n’étaient pas encore en action. Direction les coulisses…
Jacques tentait d’avancer à travers la foule. Pour les rejoindre, le chemin le plus court était d’aller tout droit. Mais pas le plus rapide vu le monde, pensa-t-’il… Jacques, rappelle-toi, Johnny au Parc des Princes en 1993… Quand il fit son entrée en traversant le stade, se frayant tant bien que mal un chemin vers la scène. Et encore, lui, c’est Johnny. Alors, te plains pas, et avance, tu y es presque.
Arrivant aux loges, il essaya de trouver un artiste afin de savoir où trouver Benoît et ses partenaires. Manque de chance, ils ne sont pas encore arrivés. Vous savez, ils arrivent toujours au dernier moment, c’est ça la célébrité. Ici, il y a juste leur matériel de scène, tout est prêt pour eux, qu’est -ce-que vous croyez, si vous voulez les écouter, faudra attendre, ils passent en dernier, dans environ quatre heure, lui déclara le DJ, cheveux gélifiés, look fluorescent.
Quoi, il fallait rester encore quatre heures ici… A écouter cette musique qui me casse les oreilles. Jacques prit son mal en patience malgré tout et décida d’aller boire une bière à la buvette et manger un hot-dog. Il appela sur son portable sa fille pour savoir où elle se trouvait. Léa le rejoignit avec Patricia. Elle était toute excitée de voir son rocker de père ici. C’était top. Jacques lui expliqua vaguement qu’il voulait rencontrer « DJ Ben » au sujet du meurtre de sa petite amie Gwen. Léa, en lui hurlant dans les oreilles, se réjouissait qu’il soit célibataire. Jacques la regarda et compris vite que sa fille n’avait pas avalée que de l’eau ce soir et fumée de la cigarette… Il pria Patricia de surveiller sa fille et de la ramener entière à la maison après la soirée. Il s’inquiétait pour elle mais ne lui en portait pas rigueur, elle a bien le droit de s’amuser, la pauvre petite, c’est de son âge…
Le temps passait, la musique résonnait de plus belle. Le public était de plus en plus en mouvement. Jacques se laissait bercer de temps à autre par le rythme mais le son était vraiment trop fort pour lui. Il ressentait lui aussi un drôle de pressentiment. Le même qu’il avait eu lors de l’accident de sa femme et le même que Gwen… Cela ne laissait présager rien de bon. Il venait de décider de laisser le groupe faire son show et d’interpeller Benoît à sa sortie de scène discrètement afin de l’interroger au poste. Il ne voulait pas gâcher le plaisir de sa fille. Elle avait l’air tellement heureuse d’être là. Et puis empêcher les « BenThomNic » de monter sur scène serait d’après ce qu’il avait cru comprendre un pugilat à prévoir avec la foule.
Il était quatre heures du matin. Le public se mit à hurler. Jacques qui commençait à somnoler debout, ouvrit les yeux et les oreilles avec attention. Le speaker venait d’annoncer l’arrivée du groupe. Enfin, se dit-il… L’enceinte se mit à vibrer à l’annonce de leur nom. Des projecteurs géants éclairèrent soudain la scène. On pouvait entendre crier les femmes du public, les hommes hurler. Jacques se demandait où il était tombé…
Thomas, Nicolas, et Benoît, dans cet ordre, rentrèrent sur scène. Tout le monde attendait les premières notes du tube de l’année. Ils se mirent chacun derrière leur platine. Benoit fit un mouvement de la main vers la foule pour lancer la musique.
Bien abrité derrière ses lunettes noires aux verres opaques, il semblait intouchable. Il était le leader des « BenThomNic » et le public le lui rendait bien. C’était la dernière date de la tournée ce soir. Le clou final. Après il faudra penser au second album mais Benoit voulait en profiter ce soir, prendre son pied encore une fois.
Tandis que la musique tournait à plein régime, il procéda à la tradition. Faire monter sur la scène une fille du public et lui permettre quelques minutes de danser aux yeux de tout le stade. Il souleva délicatement ses lunettes, esquissa un de ses sourires ravageurs dont il avait le secret, et avança vers le rebord de la scène. Il pointa son index vers la foule et demanda à un vigile d’aller chercher celle qu’il indiquait.
Jacques n’en croyait pas ses yeux, c’était Léa, sa fille, qui avait été désignée. Il était trop tard pour empêcher ca, impuissant mais heureux sur l’instant pour elle, il la contempla se trémousser sur la scène.
Benoit n’avait d’yeux que pour elle. Il lui trouvait une ressemblance avec Gwen. Il ne savait pas quoi, mais il y avait un truc. Elle sentait si bon. A ce moment-là, il se retourna vers ses deux partenaires, fit un geste non prévu de la main, empoigna Léa, approcha ses lèvres et l’embrassa passionnément. Il en profita pour lui murmurer dans l’oreille ces mots qu’elle comprendra plus tard :
- Gwen je m’excuse, à toi, aux autres, je n’aurais pas du, la musique était ma vie, elle sera ma fin…
Léa encore sous le choc du baiser ne savait comment réagir. Benoît monta en haut de la rampe d’où était suspendu le plus haut projecteur. La foule encore en délire ne réalisait pas ce qui se passait et continuait à danser et crier, pensant que cela faisait partie du show. Thomas et Nicolas, eux, venaient de comprendre que c’était fini. Il fallait laisser Benoît terminer son œuvre seul… Ils ne pouvaient rien faire à part continuer à jouer.
A des mètres de hauteur, au-dessus de la scène, Benoît regarda le ciel une dernière fois, il laissa tomber ses lunettes, son t-shirt, et ses chaussures…
Puis dans un cri intense qui restera dans la mémoire des gens qui étaient présents ce soir-là, il fit le saut de l’ange, pour s’étaler ,comme une crêpe, violement au sol. C’était l’effroi. La musique venait de s’éteindre.
L’espace d’un instant, le commandant Jacques cru apercevoir dix-neuf visages de femmes apparaître dans le ciel et recevoir sur son visage une larme de pluie.
De sa poche tombait au sol la photo de Gwen, emportée par le vent, Léa l’attrapa au vol…
FIN
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