Duel Rédempteur

rorodator

Réponse à la question : "en moins de 6000 signes, plongez-nous dans l'univers de Lucky Luke"...

Coyote Gulch. Presque midi. La rue Principale est bondée. Derrière les rideaux, aux portes du saloon, dans les abreuvoirs, sur les toits, partout s'entassent des curieux captivés par la scène qui se trame. Lucky Luke et Billy-le-Kid, les deux plus redoutables gâchettes de l'Ouest face à face ! Un spectacle à ne pas manquer !

Droit dans ses tiags, mèche jaillissant sous le Stetson vissé sur le crâne, clope au bec, Luke attend paisiblement le douzième coup de cloche de l'horloge, qui fera parler la poudre. Le vaniteux gamin l'a défié pour prouver au monde sa valeur. Acoquiné aux Dalton, toujours aussi bêtes et méchants, il a enlevé Calimity Jane et menaçait de la dessouder si Luke ne participait pas. « Pauvre cow-boy solitaire, je suis un pauvre cow-boy solitaire… Et mes rares amis ne sont même pas à l'abri ! »

— Mais satané @ !# de Lucky Luke de malheur, tu vas me laisser moisir longtemps avec ces @% !# de Dalton à la  @ !&# ?!?

— Mais faites-moi taire cette mégère ! Je la hais, je la hais, je la hais !

— Calme-toi, Joe

— Calme-toi, Joe

— Quand est-ce qu'on mange ?

Luke sourit à ces échanges distants, un peu nostalgique. Tenir un saloon de thé a ramolli son amie – fut un temps où les indélicats seraient repartis penauds avec leur comptant de coups, bosses et bleus –, mais elle n'a rien perdu de sa verve fleurie.

— Fais tes prières, foie jaune, et numérote tes abatis ! S'tu veux pas mourir, t'as intérêt à fuir plus vite qu' ton ombre !

Le gamin tremble de trouille et lance ses bravades pour se donner du courage. C'est presque touchant. Et puis, l'ombre de Luke ne se montre pas sous ce soleil au zénith. Certaine qu'elle est de ne pas égaler l'agilité surhumaine du cow-boy.

Le ventre de l'horloge crache quelques gargouillis métalliques annonçant l'imminence des douze coups de midi. Luke tire une dernière taffe et jette le mégot au loin.

Tandis que la cloche s'active, Luke ouvre ses sens à ce qui l'entoure. Au-dessus de sa tête, le fil qui chante grésille sans discontinuer, animé par les virtuoses du télégraphe qui transcrivent l'affrontement en direct et morse-o-vision à tous les contés. Dans le ciel, quelques charognards au col décharné, œil morne et langue pendante, planent dans l'attente du dénouement fatal. Au loin, sifflements joyeux et volutes de fumée révèlent la présence de Talula Belle, qui dévore le chemin de fer et fonce joyeusement vers sa prochaine destination. Le jeune Steve, pieds nus et béret sur la tête, fend la ville pour vendre sa feuille de chou : « Duel du siècle, Lucky Luke contre Billy-le-kid, le quatrième coup de cloche a sonné ! Achetez le Daily Coyote et suivez l'événement comme si vous y étiez ! ». Rantanplan, sympathique et stupide, vient réchauffer sa truffe en s'allongeant entre les adversaires. Un harmonica lancinant déroule quelques notes chagrines en une triste mélopée, tranchant avec les « bang » et les « paf » d'une bagarre qui vient d'éclater au saloon. Gris et triste, un croque-mort évalue en professionnel les mensurations de ses futurs clients. Un buisson épineux déboule d'on ne sait où et traverse la rue en bondissant.

La tension est palpable, mais Luke se sent bien. Le cœur de l'Ouest palpite : dangereux, sauvage, généreux, fougueux, fou, libre. Plus que tout : vivant. Il fait bon se battre pour défendre cette terre.

Au neuvième coup de cloche, Luke saisit son tabac et quelques feuilles pour rouler une nouvelle clope. Regard par en-dessous au kid. Le gamin, visage inondé de sueur, n'en croit pas ses yeux.

Dans une rue transversale, Jolly Jumper, serein quant à l'issue du duel, fait le paon auprès d'une ravissante jument :

— Sans vouloir en faire un foin, c'est moi qui lui ai mis le pied à l'étrier. Et quand il perd le moral, je l'aide à se remettre en selle. Un cow-boy déprimé, ça craint.

Rapide vérification de Luke au dernier instant. Son complice, Fat Joe, remonte légèrement la pointe de son chapeau pour signifier qu'il est prêt à tenir son rôle.

Au douzième coup de cloche, trois détonations claquent coup sur coup. Pantalon sur les chevilles, le kid est écarlate. Son arme gît fumant à cinq mètres derrière lui. Luke semble n'avoir pas bougé, toujours affairé à rouler sa cigarette, et indifférent aux gesticulations grotesques du vaincu. 

— Ouille ouille ouille j'ai mal, ah la la ce que j'ai mal !

Fat Joe, sautant comiquement d'un pied sur l'autre, déroule sa partition avec entrain.

Le doc et le shérif se ruent à sa rencontre. Luke ne bronche pas, il sait quelles seront leurs conclusions. Il a laissé le temps au Kid de dégainer, dont la malheureuse balle a taquiné la bedaine excessive de Fat Joe. Ah, c'est une chose de descendre les méchants en jouant au chasseur de primes, c'en est une autre de tuer un innocent ! Espérons que cela lui serve de leçon !

Comme Luke l'a voulu, la balle du Kid n'a fait qu'égratigner l'incroyable couche de gras protégeant Fat Joe. De quoi effrayer Billy, le ramener sur le droit chemin, sans blesser personne.

Il ne reste plus qu'à aller cueillir les Dalton. Dépités par l'issue du duel, ils ont abandonné toute vigilance. Les hommes du shérif n'auront qu'à leur passer les bracelets, et Luke pourra les conduire au pénitencier qu'ils n'auraient jamais dû quitter.

Avant de partir, en bon gentleman, il claquera une bise à Calamity.


Création réalisée dans le cadre du Prix Lucky Luke, organisé par Short Edition


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