D'un enfer à l'autre

benoit

Je ne sais pas si je crois en Dieu, pourtant j’ai grandi et été élevé dans la culture chrétienne. Difficile de faire autrement avec un père pasteur et une mère pour qui la foi est l’essence même de la vie… Ce qui est sûre, c’est que pour moi il n’existe ni enfer, ni paradis. Ou plutôt si, mais ils sont multiples et ont une dimension terrestre, humaine. Ils font parti de nous. Je me refuse à accepter la possibilité d’une vie après la mort, je refuse de passer à coté de ma vie en m’imposant toutes sortes de choses afin de m’assurer une place dans un soit disant royaume des cieux. Le simple fait de l’imaginer me semble incertain, incohérent et au final trop propre à l’homme pour que ce soit possible. Un paradis, un enfer… cela ressemble trop à une fable que certains ont inventée pour se rassurer, pour donner un sens à leur vie éphémère et insignifiante. La bible a raison sur un point, nous sommes poussières et nous retournerons à la poussière. L’état de poussière est tellement banal, futile, pourquoi s’y intéresser ? Vous qui croyez, vous avez peur de l’éternité. Qu’étiez vous donc avant votre naissance ? Rien d’autre que quelques milliards d’atomes qui se sont assemblés pour vous donner forme. Pourquoi seriez-vous autre chose après ? Ca fait un bail que je me suis arrêté de me demander ce qu’il y a après, vouloir donner un sens à l’existence de matières inertes n’en a pas. C’est un questionnement sans fin, stérile ou tout simplement le fantasme absolu de l’immortalité. Voyez la religion comme une pierre philosophale et vous vous rabaissez au rang de cette masse superstitieuse, illettrée, ignorante et inculte qui veut à tout pris sortir du lot en trouvant un sens à leur vie, une fois celle-ci achevée, dans une improbable éternité et qui ne vivent que pour regarder celle des autres en se nourrissant de téléréalité…  dérisoire et ridicule. Ces personnes là sont aujourd’hui abusées par une société de requins qui triomphent et dominent à travers les médias et le fric. On nous fait miroiter de l’argent que nous ne toucherons jamais, un pouvoir dont ne pouvons que rêver. Avant les requins étaient les prêtres et autres évêques qui dominaient le monde du haut de leur cathèdre, à travers une religion corrompue et puante. Comment croire quand pendant des siècles et encore aujourd’hui, la foi justifie la mort des autres. Comment croire quand on prétend que se faire sauter en plein milieu d’une foule d’infidèles et d’hérétiques vous ouvrira les portes du paradis. Un dieu d’amour, de compassion laissez moi rire. Dieu est violence, Dieu est une idéologie qui comme n’importe quelle autre permet aux plus intelligents et aux plus ambitieux d’asseoir leur suprématie sur les autres, Dieu est un prétexte comme un autre pour que nous puissions exprimer nos instincts les plus primaire, les plus immoraux de façon civilisée. Cela est possible puisque paradoxalement Dieu est moral, Dieu est parfait. Mais la perfection ne nous va pas et moi je la fuis. Les défauts me rassurent. Vous me direz surement que ma vision des choses est très athée pour quelqu’un qui ne sait pas. Je ne rejette pas l’existence d’un Dieu, je rejette simplement l’image que les hommes lui ont donné et ce que l’on en a fait. Pour moi  si Dieu il y a, sa présence dépasse notre entendement et aucun de nous n’est à même de le comprendre. Je ne peux imaginer l’univers dans son ensemble, ni le comprendre, alors je n’imagine pas Dieu et je n’essaye pas de le comprendre car milles vie n’y suffiraient pas.

L’éternité, je ne la redoute donc pas, ce qui me fait peur c’est le simple fait d’arrêter de vivre sans avoir pu profiter jusqu’à la dernière sensation de mon bref passage sur cette terre, comme si je ne mangeais qu’une seule bouchée du meilleur plat qu’il ne m’aurait jamais été donné de manger. Le tout c’est de savourer sans pour autant laisser refroidir. Je ne veux pas crever aujourd’hui à l’aube de mes 20 ans. Ma vie aurait le gout amer d’un cul sec de bière. Trop piquante, trop intense, trop tout simplement pour réussir à en apprécier le contenu. Je ne veux pas non plus claquer à 90 ans, infirme, paumé sans plus aucune attache à la réalité. Une bière sans bulle c’est dégueulasse, fade, sans joie. Non ce que je veux c’est mourir le sourire aux lèvres juste quand il faut. Comme si la dernière gorgée avait le gout de la première, comme si sa fraicheur étanchait ma soif à jamais, comme si je voyais le dernier rayon de soleil d’une belle journée d’été. Je sais, moi aussi je rêve, moi aussi je fantasme, mais moi mon rêve est concret, mon rêve je le connais et mon rêve ne commence pas avec ma mort. Voila mon paradis. Mais je vous l’ai dit, j’ai hais la perfection, alors mon paradis passe par mes enfers. Je m’y complais, j’y vis. Mes enfers ce sont mes conneries, mes folies, mes joies, mes loisir, bref, disons mon quotidien. Vu comme ca je n’ai ni enfer ni paradis. Mais à vivre dans le présent de la sorte, à ne pas me soucier de demain, à force de me foutre de tout, je ruine ma santé, et la fin de ma vie ne sera surement pas un rayon de soleil doré. A cause de ça, mon paradis reste un rêve inachevé que j’entrevois à travers mes amitiés. Attention, je parle d’amitiés vraies et sincère pas de vulgaires connaissances qu’on lâche à la moindre difficulté. Celles la sont des fenêtres qui donnent sur un mur gris et terne. Pas d’enfer, ni de paradis, juste l’indifférence. Rien ne me terrorise plus que l’indifférence. Alors mes potes je ne les rejette pas, mais je n’y attache pas, enfin je ne m’y attache plus. J’ai trop donné de moi.

Aujourd’hui je n’ai pas d’avenir, et mon avenir est sans souvenir. Mes jours se suivent et se ressemble à l’exception de rares moments privilégiés. Je ne suis un épicurien, je vis dans l’excès. Je ne trouve pas mon bonheur dans la rareté d’une soirée arrosée, ou dans le fait de m’accorder une cigarette par mois à l’heure du café. Que cela soit clair, je sors six jours sur sept, je me cuite au moins trois fois par semaine, je fume un paquet de clope par jour et entre nous, le fait d’ajouter à ces soirées plus d’alcool, plus de monde, plus de possibilité de se défoncer n’ajoute pas vraiment de piment, juste un petit plus. Moi ce que j’aime c’est le contact. L’exclusivité d’une relation unique, que nul autre ne connais, un échange, un regard, une personne à découvrir. Et même si cela ne dure pas, je vis dans l’instant, et rien d’autre que l’instant ne peut me satisfaire. Les perspectives d’avenir m’impatientent, me font me précipiter, espérer, fantasmer, idéaliser, parfaire. Je hais la perfection. Les souvenirs me font regretter, répéter, refaire, changer et fatalement parfaire. Je hais la perfection. Ma prison est le présent, mes geôliers sont la haine et la peine, mes détracteurs sont ma mémoire et mon imagination  et mon juge est l’image que je veux donner de moi. Oui je suis un être torturé.

Il faut dire qu’ici rien ne m’aide. Quatorze ans que je suis là. Pour un touriste, un étranger, ou n’importe quel nouvel arrivant, cet endroit semble être une parfaite petite ville, vivante, jolie et ensoleillée, à proximité de tout. J’ai vite déchanté. Plein d’espoir à l’âge de six ans je me suis retrouvé catapulté dans un monde de paraitre, de ragots, de calcul. Je ne savais alors qu’être moi-même, je n’avais jamais appris à faire des sourires aux gens avant de les enfoncer comme des merdes par derrière. Que ne donnerais je pas pour retrouver un bout de cette insouciance candide. Mon enfance a été détruite, mes rêves piétinés, et moi j’ai été brisé, comme une parfaite petite victime. Onze ans et un drame familial plus tard, je luttais pour me reconstruire, de toutes mes forces, en vain. La vague citadinne était trop forte et je me laissais emporter. Jean le plus bas possible, vans, cheveux mis long, clope. Tout était bon afin de s’intégrer et suivre le mouvement. Peu à peu mon image disparaissait et laissait place à un masque blanc, rigide. Ne rien laisser sortir, surtout ne rien laisser filtrer, seul mon image comptait… seul mon image compte.  A force de ressembler, de faire semblant, on a fini par m’accepter. Mais rares sont ceux qui peuvent prétendre me connaitre vraiment. Je peine à me dévoiler. Ma carapace est trop dure et moi je suis trop formaté et entrainé aux mêmes mouvements, aux mêmes blagues, aux mêmes protocoles. Cette ville a fait de moi un robot.

Chaque jour, il faut décoller une autre étiquette de son front et afficher à la place un indicateur de normalité. Pour ca il faut parler. De soit, de ses « exploits », des autres et surtout les rabaisser afin de s’élever. J’ai aussi appris à ne pas monter trop haut, sinon on tombe. Ne plus avoir d’amis du jour au lendemain c’est moche, tout recommencer c’est dur. Mais la rage de vivre je l’ai, surtout depuis que mon frère s’est jeté du quatrième étage d’un immeuble.

A l’approche de mes dix-sept ans j’étais a peu près vierge de toute expérience propre a l’adolescence. Dans mon cas, les premières choses qu’on souhaite faire c’est sortir et baiser. Pas facile d’évoluer au milieu de personnes à la vie sexuelle débordante et qui parlent de toute leur cuite depuis l’âge de dix ans alors qu’on est puceau et que la plus grande quantité d’alcool qu’on a absorbée est une coupe de champagne le 31 décembre dernier. Je me suis mis à boire, à sortir, à chercher une fille… les études ne comptait plus. C’était un véritable concours. A celui qui tiendra le plus l’alcool, à celui qui baisera le plus et pour commencer, j’étais vraiment mauvais. Mais la pratique et l’acharnement aidant on finit par se défendre. Je buvais à me rendre ridicule, je fumais à ne plus savoir ce que je disais, et je couchais par pure satisfaction personnelle. Je me foutais de tout ça, mais les gens le savaient et c’est ce qui comptait pour moi.

A force de m’éloigner de mes principes, de mes proches, je devenais méconnaissable. Peu à peu j’abandonnais ceux qui m’avait apprécié pour ce que j’étais et je me tournais vers ceux qui m’appréciais pour ce que je semblais être. Un con, une photocopie, quelqu’un qui se fond dans la masse et qui ne choque pas, qui ne se démarque pas, que l’on peut ranger dans des petites cases. Je suis devenu ce que je détestais, ce que je déteste toujours : un putain de produit. Le problème avec les personnes comme moi, c’est que le naturel revient inlassablement. Je me suis toujours attaché au gens, j’ai toujours été serviable, et on se rend compte que ceux qu’on considérait comme des frères en profitent. Trop bon, trop con… Une telle prise de conscience est un vrai choc. Un de plus. Le sang coule du tableau de ma vie. Par endroit de fines trainées rouges, entachent un papier blanc sans saveur, s’effacent et se redessinent. Ailleurs on peine à deviner les couleurs éclatantes que recouvre désormais un flot pourpre qui n’en finit pas de couler. Mais à ce moment, plus personne ne le voyait ce torrent de douleur… quand la seule intimité que l’on partage est celle des autres, la vie devient trouble, insensée. J’avais l’impression de ne plus être moi et je sombrais, doucement mais surement. J’ai alors trouvé l’amour : superficiel et cloisonné comme je l’étais. Mon parfait reflet. C’est hallucinant de voir comme il est facile de trouver des gens inintéressant avec qui on s’entend à merveille quand on cesse totalement d’être soit même. Et puis quand on descend de ce petit nuage grisâtre, tout s’effondre, on part en couille pour s’éviter réaliser combien on est lâche, pour se prouver qu’on est capable de faire quelque chose de son insignifiante, dégradante et puérile petite vie. Jusqu’à la suivante.

Puis j’entrais  en hypokhâgne, une classe préparatoire aux grandes écoles, tant de mots barbares, pompeux, pour désigner la soit disant élite intellectuelle de la France. Foutaise. Les prépas sont des machines à égo, tout est fait pour qu’on s’y sente supérieur. On y apprend à mépriser les autres, les vulgaires universitaires, les ratés, ceux qui n’auront jamais plus d’avenir qu’un camion-poubelle qui remonte le périph à cinq heure du matin et dont la vie est rythmée par l’inlassable bruit des bennes qui se déversent  dans un vacarme pestilentiel. Et j’étais très bien parti pour suivre cette vague sectaire sur laquelle le commun des mortels ne peut glisser. En un mois j’avais l’impression d’avoir appris plus que dans toute une vie, mes soirées ressemblaient à des clubs de débats philosophiques ou nous refaisions le monde à notre façon. Notre alcool était notre verbe, notre ivresse était notre puissance intellectuelle. Mais nos relations n’avaient rien de celles qu’entretenaient les personnages des romans que nous devions bouffer à la pelle. Non, nous nous pratiquions la masturbation intellectuelle. On avait réinventé les concepts du plaisir, du porno, de l’amour, du sexe, de la débauche. Chaque instant de ma vie était conditionné par la prépa. Même la nourriture m’évoquait je ne sais quelle ridicule allégorie. J’ai fini par me rendre compte de l’absurdité de mon mode de vie en essayant de mêler mes autres relations à ce monde. Les zhypos comme je me plaisais alors à nous appeler sont aussi difficile à mélanger à la société qu’il est difficile de mélanger l’huile à l’eau. J’ai alors réalisé que cette filière n’était pas la mienne. Ce monde m’était étranger. Au bout de six mois je me sentais définitivement exclu de cette atmosphère studieuse, il m’a suffit de deux semaines de vacances pour décider d’y rester. C’était jouissif, comme reprendre son souffle après avoir frôlé la noyade, comme sortir d’une boite de nuit bondée, enfumée et bruyante, comme la caresse d’une légère brise un jour d’été brulant. J’avais l’impression de dominer le monde tant je me sentais léger. J’aurais voulu crier et ne plus m’arrêter, mais l’avenir restait flou, presque obscure. Et pour la première fois je n’avais pas de lendemain, pas de contrainte scolaire, juste d’interminables journées devant moi. Alors je suis sorti comme je n’étais jamais sorti, tous les soirs de la semaine, à toute heure de la journée. Je buvais à la coupe de la paresse. De toutes les drogues elle est celle que je redoute le plus. Elle prolifère sous de multiples formes en accès gratuit et illimité, aucune crise de manque, aucune overdose possible. La seule chose qui meurt c’est notre essence vitale. Elle  s’enflamme plus vite qu’un baril de pétrole dont la fumée se dissipe au grès du vent. Et le seul moyen d’en sortir, c’est de trouver une activité, prenante, rude, radicalement différente et de s’y tenir. Le monde du travail a été ma cure de désintox, et  quand je l’ai commencé, j’étais a mille lieux de m’imaginer ce que cela représenterai. J’ai lâché un vice pour un autre, l’argent vous bouffe, l’argent vous consomme. Il vous achète tout, et surtout votre âme. La vie est toute autre quand ont à de l’argent, quand on peut le jeter sur des comptoirs collants et crasseux ou l’échanger contre toutes sortes de futilités matérielles. Je redécouvrais la nuit. Plus noire que jamais, malgré les lumières éclatantes des boites de nuit que je fréquentais. J’étais devenu aveugle, mes amis ne comptaient plus, mon monde se limitait aux fentes des machines à carte de crédit et je ne voyais pas plus loin que le cul des bouteilles baignant dans de pathétiques sceaux à glace.

On dit souvent que l’argent n’a pas d’odeur. C’est faux. Rien n’est plus doux, plus savoureux, plus mélodieux, plus magnifique et plus embaumant que l’argent. Ce que vous voyez, goutez, entendez, touchez ou sentez à un cout. Et plus c’est beau, plus c’est bon, plus c’est chère. La magnificence sent l’argent à plein nez. Une odeur tellement forte qu’elle en est insupportable à certains, divine à d’autre. Moi j’étais sur mon nuage, planant dans un courant ascendant et j’entrapercevais dangereusement les hauteurs. Mais les illusions de fortunes sont telles les ailes d’Icare. Elles fondent, dans cette odeur soudainement devenue insupportable. Le monde éclate, s’élargi brusquement, faisant voler mon cocon doré en morceaux ternes. Je n’ai plus de prise, plus de repère, sauf ces mains peut être qui se tendent au loin. Je les avais presque oubliées, non pire je les avais repoussées. Elles sont pourtant si belles. Plus solide qu’un roc, plus accueillante qu’un oasis en plein désert. L’amitié brute c’est tellement rare. Les imperfections s’oublient et s’effacent  avec le temps, seul persiste à briller le bijou dans l’écrin que nous sommes.

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