Duraille l'addiction
Jean Claude Blanc
Duraille addiction
Je bosse à la SNCF
Simple cheminot nettoie les voies
Pas de famille sur le dos
Je passe mon temps dans les bistrots
Ma feuille de paie tombe tous les mois
Maigre salaire, pas exigeant
C'est mieux ainsi on m'envie pas
Mon seul défaut, roi du tripot
D'abord accro du minitel
3614, un seul clic
Moi je me sens pousser des ailes
Quand il me sert un peu de fric
Messages tordus, donzelles en manque
Vantent les charmes de leur corsage
Bien sûr j'en prendrais bien un peu
De ces plaisirs virtuels
C'est devenu une obsession
Je m'endors même sur l'écran
A quêter un peu de douceur
Çà reste à l'état de vœu pieu
Au fil du temps se modernisent
Extravertissent la déprime
Interactifs ordinateurs
Face book, Google et internet
Tchateurs bavards invétérés
Livrent leur détresse au monde entier
Je me dépêche de m'y coller
Misère de plus à dégoiser
Pour le cerveau réconforter
Ne pas se croire seul à ramer
Y'a rien de tel que la toile
Pour que tes soucis mettent les voiles
Un jour tombe la facture
Compte vidé, à découvert
La boite fidèle, déploie son zèle
Service social mobilisé
La gonzesse des ressources humaines
Au fait de tous méfaits et gestes
Enrobe le tout d'un beau ramage
Pour me refaire une santé
Ensemble étudions votre budget
J'ai un peu honte comme au piquet
Je suis coincé, surendetté
Elle me tient par le bout du nez
De quoi je me mêle, je lui réponds
Personne s'occupe de mes affaires
Suis maitre à bord de mes galères
J'ai pas un sou, je vous emmerde
De cet échange laconique
J'en tire monstrueuse colère
Mais çà renifle rien de bon
Je suis fiché, j'ai mon casier
On me regarde plus pareil
Je suis le prince de la débine
Le dérangé des voies ferrées
On évite même de me croiser
Grattage, tirage, forcené
Depuis qu'on m'a rayé de la toile
Quelques pièces encore à flamber
Pour le loto du bar tabac
La roulette russe cela procure
Un rab de vie, adrénaline
Je suis en manque de frissons
Tous les symptômes du camé
Je continue de ratisser
Entre les voies tous les graviers
J'ai bien pensé me marier
Mais ne trouve pas de volontaire
Trop plein de vie et d'illusions
Suis prisonnier de mes passions
Besoin succède au plaisir
Çà me torture les méninges
On va se reboire des canons
Avec les zombies de la gare
Egrène les pesos qu'il me reste
Ma carte bleue est surchauffée
Pour mon boulot, j'ai plus la flamme
Même plus envie de déconner
J'expie mes errements passés
J'invoque la mort, tarde à venir
Un de ces jours, on va me trouver
La corde au cou, très haut perché
Pas jeune marié je le déplore
Mais authentique suicidé
On a fini par me virer
A cause de cette sacrée chopine
Autre addiction cette fois fatale
Mais çà remonte le moral
La suite vous la trouverez
A la page des faits divers
Je suis hanté et tourmenté
J'ai plus un rond rien à glander
Dérailler quand on est cheminot
Çà c'est un comble, faute de goût
Parait qu'à la SNCF
On compte « sur neuf, cinq fainéants »
L'addition est salée
L'addiction aux aguets
Dans ce monde angoissé
Faut ses nerfs apaiser
On cherche la lumière
Sa parcelle de gloire
Les messages frelatés
Engloutissent les paumés
JC Blanc février 2023 (encore une histoire à dormir debout)