Effacée

david-b

Mascara, fond de teint, rouge à lèvres. J'essaie d'être jolie, mais c'est difficile, j'ai un charme assez particulier je pense, et d'être toujours avec de plus belles filles, ça me rend plus effacée. J'aime bien mes amies, mais parfois j'aimerais quand même que de beaux garçons viennent me parler.

J'ai terminé mes études il y a quelques mois, et je vis à Londres maintenant. Ma vie est assez monotone ici. La journée, je vais au travail, mais lorsque je rentre le soir, il n'y a que moi, la télévision, et dehors la circulation et les gens bruyants. Mes anciens amis me manquent, ceux que j'ai quittés en acceptant ce poste à la City. Je me demande parfois ce qui m'a prise de partir, et dans ces moments-là je pleure un peu, j'écoute Radiohead allongée dans mon canapé, en attendant naïvement que mon malheur finisse un jour.

Un soir, alors que j'essuie mes larmes avec les mouchoirs qui s'accumulent sur le sol du salon, je découvre sur Facebook que l'une de mes anciennes amies, Clara, vit également à Londres. Je commence à discuter avec elle, elle vit là depuis un an, et elle me propose de venir la voir, elle m'invite à une soirée qu'elle tient chez elle quelques jours plus tard. J'accepte.

Lorsque j'arrive, il y a déjà beaucoup de gens, beaucoup de gens que je ne connais pas, et beaucoup d'alcool. Un peu stressée à l'idée de rencontrer tous ces inconnus, je bois beaucoup, je bois trop. Je discute avec quelques personnes, j'essaie de danser un peu, et je continue de boire, quelqu'un me passe des comprimés je les avale, et tout s'enchaîne, je commence à me libérer, je commence à aller mieux, je suis presque heureuse, je danse avec énergie et j'ai l'impression que les gens autour de moi sont mes amis, je connais tout le monde et je danse je danse... Puis la soirée passe, ma tête tourne... Je m'éloigne un instant, et soudain, de voir tant de gens, de tenter de danser avec eux, de repenser aux gens que j'ai quittés récemment avec le déménagement, soudain une profonde tristesse s'abat sur moi, je commence à déprimer et je me sens seule, terriblement seule, et je vois des couples danser, des couples se former, et moi je suis là, isolée, totalement bourrée, soudain je me trouve pathétique et je panique, je panique, mon coeur bat fort, je cours jusqu'aux toilettes, je vomis et je pleure, un moment, je pleure tout ce vide qui est en moi et qui jamais ne s'en ira, je me regarde à nouveau dans la glace et je découvre mon maquillage, noir, qui a dégouliné sur mon visage, je me nettoie et me remaquille à la va-vite, je ressors et continue à boire, je m'immisce dans la foule dansante, je ne marche pas très droit, je sens des mains me frôler, je me retourne et je vois ce mec qui danse près de moi, il me touche les bras la taille, je suis son rythme, on danse un moment puis il commence à se rapprocher, je ne le repousse pas, il me prend la main, et m'invite à le suivre jusqu'à l'une des chambres de l'appartement, je le suis et il ferme la porte à clé, il commence à me déshabiller, je ferme les yeux et le laisse faire, je ne sais plus où je suis, une fine larme coule le long de ma joue, il me jette sur le lit et me baise violemment, puis ça passe, il reste allongé quelques minutes, puis quitte la chambre, je suis seule à nouveau, je reste comme ça un moment, la tête vide, puis je cherche ma culotte, remets en place ma robe, et retourne dans le salon, des gens sont partis mais pas tous, je vois mon amie en train d'embrasser un autre mec sur le canapé, je me ressers un verre, ma tête commence à beaucoup tourner, le noir m'approche, les étoiles me quittent le noir m'approche, le noir profond du sommeil sans rêve, je sais que je bois trop mais je continue parce que je suis saoule, je suis triste, je suis bête, je suis pathétique, puis les verres deviennent lourds, je retourne vomir, et retourne au salon, et je fais vraiment n'importe quoi, je ne sais plus ce que je fais, je ne sais plus ce que je fais, je ne sais plus où je suis vraiment, je ne sais plus qui je suis, toute idée de moi m'a quittée, toute idée d'avenir, il n'y a plus que ce moment présent, ce moment de néant ce moment vide, il n'y a plus rien, absolument plus rien, je m'assois sur le canapé, une fille vient me parler me demande si ça va, je lui dis oui, elle commence à me raconter sa soirée, j'écoute et tente de répondre, mais j'ai du mal à suivre, je ne comprends plus ce qu'elle dit, je coule, je coule dans l'inconscient, je sombre dans le sommeil éthylique.

Je me réveille, c'est l'aube, j'ai mal partout, je regarde autour de moi et ne comprends pas trop où je suis, puis je commence à me rappeler, et soudain j'ai comme l'impression d'avoir été violée, je me rappelle ce mec pourquoi ai-je couché avec lui ? Pourquoi me suis-je laissée faire ? Je me sens sale, je me sens lamentable, j'ai l'impression d'être une fille facile. J'ai l'impression de m'être violée moi-même. Je ne me souviens même plus de la tête de ce type.

Sur la table, il reste des comprimés. Des comprimés en forme de smileys, des sourires heureux. Je repense à ce mec. Je les prends, les avale. Il n'y a plus de gris, il n'y a plus de noir, je ne vois plus que le rose, le rose des murs et le rose de l'aube, le soleil au loin qui se lève, alors je me dresse face à cette lumière naissante, et je m'avance vers une vie nouvelle. Je quitte cet appartement, je n'y retournerai plus jamais, et j'entame mon walk of shame, totalement allumée, et une fois rentrée chez moi, j'entre dans la douche toute habillée, et je laisse l'eau couler abondamment sur moi, jusqu'à ce que quelque chose se produise, jusqu'à ce que quelque chose de bien se produise enfin dans ma vie. Mais d'imaginer le sperme se mêlant à l'eau de ma douche, je me dis que cela risque d'être difficile. Peu à peu, les traces de la soirée disparaissent de mon corps, et c'est tout mon être qui s'efface dans cette mélancolie matinale.

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