Egon avait fini de peindre

Egon a descendu cinq ou six cartons du haut de la bibliothèque-armoire pour en sortir des tubes de peinture desséchés par l'oubli, que nous avons aussitôt jetés.

Dans l'un de ces cartons se trouvaient de vieux pigments naturels, dont personne de nos jours n'a presque plus d'usage : il m'a expliqué que les peintures industrielles ont remplacé depuis belle lurette les huiles d'œillette, de lin et de noix que les vieux maîtres combinaient avec les pigments naturels, - des poudres -, pour créer leurs couleurs.

— Il manque certaines couleurs, je ne retrouve pas les « Terres de Sienne » ! Perdus à tout jamais, je le crains.

C'est dans de petits papiers qui faisaient « tchi-tchi-tchi » quand on les pliait, qu'Egon a rangé ses pigments dont le monde moderne ne veut plus se compliquer la vie.

Il m'a parlé, je crois, de désaturer une couleur pure à l'aide de sa couleur complémentaire, mais je n'ai rien compris, et il m'a expliqué que le Noir d'Ivoire était un pigment tiré du noir des ossements après leur décomposition. J'ai aussi appris que la suie de lampe était utilisée il y a très longtemps, pour dessiner à la plume.

J'ai écouté par politesse mais d'une oreille faussement attentive, car la peinture, comme on dit de nos jours, ce n'est pas mon truc !

Au bout de quatre jours de travail, les yeux plus que las, il a refermé les derniers baumes de térébenthine de Venise, en m'apprenant que c'étaient d'exceptionnels plastifiants.

Il a fini d'essuyer avec un tissu propre les derniers pinceaux aux touffes soyeuses et brillantes, et jeté de vieux chiffons collés de peinture bleue.

Egon avait fini de peindre...