Elément perturbateur - Episode 2

nat28

Le roman dont la suite n'est pas encore définie... A vous de voter !

            Gauthier resta bouche bée au milieu de la pièce, en caleçon et vieux T-shirt, face à l'intrus, tandis que des bruits de course et des cris montaient de la cage d'escalier. "Vous devez absolument m'aider !" lança la femme essoufflée qui se trouvait en face de lui. Il n'eut même pas le temps de lui répondre qu'elle faisait déjà volte face pour redresser la porte tombée au sol et la replacer tant bien que mal dans l'encadrement de l'entrée du petit appartement du jeune homme. Elle se dirigea ensuite vers le côté du buffet situé sur sa droite pour le pousser contre le panneau de bois et bloquer le passage. Les bouteilles stockées à l'intérieur s'entrechoquèrent, mais leur bruit ne suffit pas à masquer le son des pas dans l'escalier qui était de plus en plus audible.

 

            Gauthier était figé sur place, abasourdi, saisi par la surprise suite à l'intrusion de la jeune femme dans son salon. Comment avait-elle pu défoncer sa porte d'entrée, alors qu'elle devait mesurer un mètre soixante et peser moins de cinquante kilogrammes ? Certes, la porte n'était pas blindée, mais de là à faire sauter deux serrures avec un si petit gabarit ? Et le buffet ! Le jeune homme se rappelait parfaitement que, le jour de son emménagement, il avait eu toutes les peines du monde à le porter jusqu'au sixième étage. Et son père l'aidait ! Et le meuble était vide ! Alors qu'il contenait désormais une belle collection d'alcools en tous genres ! Il n'y avait que deux explications possibles : soit cette femme était culturiste, soit l'adrénaline avait des pouvoirs encore plus grands que ce que le jeune homme s'était imaginé.   

 

            Il détaillât la nouvelle venue qui lui tournait désormais le dos en une fraction de seconde : mince, pas très grande, des cheveux châtains clairs coupés au carré, une paire de bottines en cuir, un jean slim gris, un sweat-shirt à capuche beige et un petit sac à dos... Au moment où ce premier inventaire se terminait, la jeune femme se retourna. La peau claire, le teint pâle, sans doute dû aux efforts qu'elle venait de fournir, des yeux bleus foncés, un nez en trompette et une bouche fine légèrement maquillée... Elle ressemblait plus à une étudiante en chemin pour l'université qu'à une criminelle en fuite. Pourtant, il n'y avait aucun doute possible : la police était à ses trousses, et un agent, sans doute plus rapide que ses collègues pour gravir une demi-douzaine d'étages, tambourinait déjà à la porte.  

 

            "Il faut qu'on file d'ici, et vite !" dit la jeune femme qui semblait avoir repris son souffle. Elle se mit à parcourir la pièce des yeux avant de partir en exploration dans les autres pièces de l'appartement. Gauthier, lui, n'avait toujours pas bougé. La visite des lieux ne prit pas plus d'une minute, tant le logement du jeune homme était petit. Ce dernier se rendit compte que l'intruse avait récupéré un sac de sport et que, s'il en croyait le bruit qu'il avait entendu alors qu'elle était dans la cuisine, elle avait vidé ses placards de leur maigre réserve de nourriture.

"Bouge-toi donc, Gauthier, et habille-toi ! Tu ne vas pas sortir comme ça !" lança-t-elle en le poussant vers sa chambre.

 

            Comment diable connaissait-elle son prénom ? Tout en titubant vers son armoire sous l'effet de la bourrade qu'il venait de recevoir, le jeune homme fouilla sa mémoire pour essayer de remettre un nom sur le visage de la jeune femme. L'avait-il croisé sur le campus ? Ou dans le fast-food dans lequel il travaillait le week-end pour payer une partie de son loyer ? Elle savait comment il s'appelait, mais lui ne se souvenait même pas l'avoir croisée... Peut-être était-ce dû au choc de cette apparition subite, ainsi qu'à l'incapacité qu'avait Gauthier à se concentrer dans le bruit. Car entre les coups de poings assénés sur sa porte, les cris des policiers, et le boucan provoqué par la jeune femme qui continuait à fouiller ses placards sans vergogne, l'ambiance était plutôt bruyante.

 

            "Plus vite, bon sang !" cria la femme en passant la tête dans la chambre avant de disparaître à nouveau. Sans réfléchir à ce qu'il faisait, Gauthier ramassa le jean qu'il portait la veille et qu'il avait laissé tomber sur le sol en se déshabillant avant de se coucher, il récupéra une paire de chaussettes sur une étagère de son armoire, ainsi qu'un sweat-shirt vert sapin, choisi non pas dans un but esthétique, mais simplement parce qu'il se trouvait sur le dessus de la pile. Une paire de baskets vola dans la pièce tandis que le jeune homme enfilait la manche gauche de son sweat. Il comprit qu'il n'avait pas le choix et qu'il devait les mettre sous peine d'énerver la jeune femme qui furetait toujours de l'autre côté du mur. Sous le coup de l'émotion, il s'emmêla un peu les pinceaux pour faire ses lacets, ce qu'il lui valu un "Bon alors, tu es prêt ?" légèrement agressif. "On n'a pas vraiment de temps à perdre !" ajouta la femme en débarquant dans la chambre pour en inspecter la fenêtre. Elle ouvrit cette dernière, jeta un coup d'œil vers le haut puis vers le bas, hocha la tête et conclut "Par ici, ça devrait le faire".

 

            Elle empoigna par le bras Gauthier, qui était toujours assis sur son lit, et le tira vers la fenêtre.

"Il faut y aller, là, la porte ne va pas tenir très longtemps."

"Non !"

Cette protestation inattendue fut suivi d'un silence. La jeune femme regarda le jeune homme avec des yeux ronds, incrédule devant sa réaction. Gauthier lui-même n'en revenait pas d'avoir protesté. Durant les cinq minutes qui venaient de s'écouler, il était resté sans voix et il avait obéi aux ordres sans résister. Et tout d'un coup, sa capacité à se rebeller s'était réveillée. Qu'est-ce qu'elle croyait, cette donzelle sortie de nulle part ? Qu'il allait la suivre, sans rien dire, comme si tout était parfaitement normal ?

 

            Qu'est-ce qu'elle s'imaginait exactement ? Que tous les jours, un inconnu déboulait chez lui, en explosant la porte au passage, avant de mettre un bazar monstre dans toutes les pièces et de sauter par la fenêtre ? Du sixième ? La situation lui avait fait momentanément perdre ses esprits et l'avait empêché de réfléchir calmement, mais là, cela devenait totalement absurde ! Il n'allait tout de même pas se jeter dans le vide pour les beaux yeux d'une fille, juste parce qu'elle connaissait son prénom ! Tandis qu'elle continuait à la tirer par le bras, il commença à résister, ce qui ne lui posa pas de difficulté. Avec son mètre quatre-vingt et ses soixante quinze kilogrammes, il faisait largement le poids face à la jeune femme.

 

            "Vous êtes complètement dingue ! Vous croyez vraiment que je vais passer par la fenêtre avec vous ? Vous vous rendez compte qu'on est au sixième étage ? Il y a presque vingt mètres entre nous et le sol ! Alors je ne sais pas si vous voulez en finir avec la vie, en tout cas, moi, je compte bien me coucher dans mon lit ce soir ! Le saut de l'ange, ce sera sans moi !"

Gauthier se dégagea de l'étreinte de la jeune femme et croisa les bras pour donner plus de force à sa tirade. Derrière lui, le bois de la porte d'entrée commençait à craquer. "Génial, se dit le jeune homme, si elle ne saute pas, la police me débarrassera d'elle !". La jeune femme s'éloigna légèrement de la fenêtre pour se rapprocher du jeune homme, qui, d'instinct, recula de quelques pas. Elle semblait perplexe, ce qui étonna Gauthier.

"Je crois que tu ne comprends pas..."

 "Non, non, non, c'est vous qui ne comprenez pas ! Je ne vous connais pas, vous déboulez chez moi avec les flics aux fesses, et vous voulez... me tuer, oui, c'est ça, me tuer en me balançant par la fenêtre !"

"Non, vraiment, tu ne comprends pas..."

"Et arrêtez de me tutoyer ! Je ne sais pas qui vous êtes ! Partez et laissez-moi tranquille !"

"Bien sûr... De ton point de vue, je suis une folle qui défonce des portes et qui se fait courser par la police... Normal que tu ne veuilles pas me suivre ! A ta place, je réagirais exactement de la même façon !"

La jeune femme avait l'air perplexe désormais, ce qui troubla le jeune homme. Il ne comprenait pas sa façon de réagir, et il ne voyait pas ce qui l'avait amené chez lui. Elle poursuivit sa réflexion à haute voix.

"Tout cela n'a aucun sens pour toi, c'est logique... Si seulement j'avais un peu de temps pour t'expliquer... Mais ils vont l'avoir, cette porte, et je serai encore coincée là, à essayer de te convaincre de me suivre..."

Elle se planta face à lui, les mains sur les hanches, et d'un ton déterminé, elle lui dit :

"Si tu ne viens pas avec moi, je suis foutue. Et quand je dis foutue, c'est foutue de chez foutue, je serai morte avant la fin de la journée, et ce n'est pas une façon de parler. Alors tu ne discutes pas et tu me suis, le pourquoi du comment, on en reparlera quand on se sera planqué, dans un endroit tranquille !"

 

            La jeune femme agrippa à nouveau le jeune homme, et, semblant avoir retrouvé sa force surhumaine, elle le tira jusqu'à la fenêtre qui était restée ouverte. De son côté, Gauthier avait l'impression d'avoir à nouveau perdu toute volonté. Tel un pantin, il se laissait manipulait sans opposer de résistance. Mais où donc était passée sa farouche détermination à ne pas suivre la jeune femme ? L'avait-elle hypnotisé en plantant son regard dans le sien ? Sans réaliser qu'il avait traversé toute la pièce, il se retrouvait à califourchon sur le rebord de la fenêtre, une jambe dans le vide et l'autre encore posée sur la moquette. Au dessus de sa tête, une échelle rouillée menait sur le toit, un étage plus haut. Sous son pied droit, une gouttière flambant neuve descendait jusqu'au trottoir. Six étages plus bas.

"Alors, on monte ou on descend ?" l'interrogea la jeune femme qui, soudainement, semblait hésiter.

 

1 : " On monte. "

2 : "On descend. "

 

répondit Gauthier avec une assurance qui l'étonna.             

                       

 

    

                       

 

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