Elément perturbateur - Episode 3

nat28

Que va-t-il se passer dans cet épisode ? C'est vous qui avez décidé.

"Alors, on monte ou on descend ?" l'interrogea la jeune femme qui, soudainement, semblait hésiter.

" On monte. " répondit Gauthier avec une assurance qui l'étonna.  


Le jeune homme agrippa le premier barreau de l'échelle, barreau qu'il secoua un peu afin de tester la résistance de l'ensemble qui lui paraissait bien vétuste. Rien ne bougea. Gauthier se hissa sur le bord de la fenêtre et plia sa jambe droite pour pouvoir poser son pied sur l'échelle, située cinquante centimètre plus haut. La manœuvre était périlleuse et il essaya d'oublier le vide qui semblait vouloir le happer. Lutter contre le vertige était presque plus difficile que de grimper à l'échelle, qui, pourtant, lui labourait les mains à cause des pointes de rouille.


D'aussi loin qu'il s'en souvienne, Gauthier avait toujours eu peur du vide. Les cours de gymnastique à l'école était un véritable calvaire pour lui, que ce soit pour grimper à la corde ou pour traverser la poutre. Sa peur de tomber le paralysait et lui valait une avalanche de moquerie de la part de ses camarades, ainsi qu'une incompréhension totale de son instituteur qui ne comprenait pas pourquoi le petit garçon ne pouvait pas monter sur un agrès de moins de quarante centimètre de haut. Les phobies ne s'expliquant pas et étant difficiles à combattre, Gauthier avait fini par supplier sa mère de lui faire une dispense pour ce genre d'activités. Il était incapable de monter sur une chaise pour récupérer quoi que ce soit en hauteur, et quand des amis lui demandait de l'aide pour bricoler, il se trouvait toujours une excuse pour ne pas les aider, de peur de se retrouver perché sur un échafaudage. Autant dire que la situation qu'il vivait à ce moment précis réveillait de très mauvais souvenirs, et ce n'est que parce que la jeune femme commençait à monter derrière lui que Gauthier trouva la force de grimper jusqu'au toit.


Il n'avait pas choisi cette option par hasard. D'une part, parcourir un étage le long de la façade lui avait paru moins dangereux que d'en descendre 6. D'autre part, il se disait qu'une fois au sommet de l'immeuble, la jeune fille et lui seraient coincés, et que la police les rejoindrait rapidement, le débarrassant de cette folle qui tenait des propos incohérents et qui le mettait en danger sans qu'il n'ait rien demandé. Aux bruits de pas qu'il entendait dans son appartement en contrebas, Gauthier en déduit que les agents avaient fini par entrer en dégageant le buffet du passage. Ils n'allaient pas tarder à lui porter secours.


La jeune femme parcourait le toit terrasse en tous sens, à la recherche d'une issue qu'elle sembla trouver. Elle courut vers le jeune homme, l'empoigna une nouvelle fois par le bras et le tira vers un angle du bâtiment qui semblait donner sur le vide. “Pourquoi diable veut-elle aller par là ?” se demanda Gauthier, qui, une fois encore, n'arrivait pas à résister à la poigne de la jeune femme. Lorsqu'il furent arrivés sur le bord du toit, Gauthier comprit enfin l'idée qu'elle avait derrière la tête : un autre immeuble, plus petit était collé au sien, et son faîtage était facilement accessible, cinquante centimètres plus bas. Le seul problème, c'est que cette voie nécessité de quitter la sécurité du toit terrasse pour une couverture en tuiles, pentue et surement glissante. Mais la jeune femme n'hésita pas une seconde et bondi sur le second immeuble en entraînant le jeune homme à sa suite.


Ce dernier cru qu'il allait s'évanouir et chuter fatalement jusqu'au sol. Son cœur battait à cent à l'heure, ses mains étaient moites, de la sueur lui coulait dans le dos, et son cerveau ne répondait plus, comme si, sous l'effet de la panique, il s'était mis en veille. Ses pieds avançaient en automatique, tirés vers l'avant par la jeune femme qui, elle, semblait très à l'aise sur ce toit affreusement dangereux. Elle courait sans hésiter, en évitant les cheminées et les encadrements des Velux, comme si elle avait fait cela toute sa vie, comme si foncer sur une surface penchée et irrégulière était tout à fait normal. “Elle sort d'un jeu vidéo ou quoi ?” se demandait Gauthier qui suivait le mouvement péniblement. Arrivés au bout du second immeuble, ils bondirent sur un nouveau toit, plat cette fois-ci. Si Gauthier ne se trompait pas, il s'agissait du bâtiment du centre commercial situé à cinq minutes de chez lui. Une petite guérite était plantée au milieu de ce nouvel espace gravillonné, et la jeune femme se dirigea vers la porte du cabanon, sans doute dans l'espoir de la trouver ouverte. 


La chance était avec eux ("ou pas" songea Gauthier qui aurait bien voulu que cette fuite absurde cesse). Le battant en métal était tordu et rouillé, il coinçait un peu, mais il céda facilement sous la poussée exercée par la jeune femme, qui devait réellement être dotée d'une force surhumaine. Ils se retrouvèrent en haut d'un escalier en béton mal éclairé et qui sentait l'urine. Le lieu devait être utilisé par les employés du centre commercial pour soulager une envie pressante sans avoir à se rendre aux sanitaires, situés dans le sous-sol du bâtiment. Gauthier se mit à respirer par la bouche pour échapper à l'odeur d'urée et il dévala les escaliers à la suite de la jeune femme. A chaque étage, elle essayait de quitter la cage d'escalier nauséabonde pour rejoindre les magasins en actionnant la poignée de la porte de secours, mais cette dernière était verrouillée de ce côté-ci. Après trois essais infructueux, elle tomba enfin sur une porte entre-ouverte, maintenue par un carton, qui donnait sur l'arrière-boutique d'un vendeur de chaussures. Ils traversèrent le local encombré à toute vitesse et déboulèrent dans l'espace de vente, désert en ce dimanche matin. Heureusement pour eux, la boutique était une des rares de la galerie à ne pas respecter le repos dominical, et le rideau de fer n'était pas baissé. L'employé, derrière la caisse, absorbé par son téléphone portable, ne fit même pas attention aux deux intrus qui sortirent en trombe de son magasin.

 

La jeune femme ralentit considérablement le rythme lorsqu'ils se retrouvèrent dans l'allée qui desservait les différentes échoppes. Il y avait des caméras de surveillance partout et des vigiles à chaque étage : elle ne voulait pas attirer l'attention sur elle, ni sur son "compagnon". Ce dernier dénotait déjà au milieu des rares clients, essoufflé, avec les cheveux en bataille et le visage plus rouge qu'une tomate bien mûre.

"Tu connais le coin ?" murmura la jeune femme à Gauthier en faisant mine de se passionner pour les soldes exceptionnels proposés par un magasin d'ustensiles culinaires.   

"Un peu..." répondit le jeune homme tout en se demandant s'il pouvait se sortir du pétrin dans lequel il était tombé un quart d'heure plus tôt.

 

Il avait besoin de temps pour réfléchir, mais la jeune femme n'avait pas l'air de vouloir lui laisser un petit moment à lui, pour se poser et mettre ses idées au clair. Et puis il était perdu à cette étage qu'il fréquentait rarement. Lui, sa zone, c'était le supermarché au rez-de-chaussée, pas les boutiques des étages. Il avait dû y faire un tour, pour trouver un cadeau ou pour s'acheter un pantalon, mais il avait du mal à se repérer. Il n'aurait même pas pu dire à quel niveau il se trouvait. Sa priorité était de toutes façons d'échapper à la jeune femme, le plus vite possible.  

 

Il n'avait clairement pas beaucoup d'options. Il pouvait tenter d'attirer l'attention d'un vigile, mais, en croisant son reflet dans une vitrine, il avait pu constater qu'il avait l'air totalement dingue. Il n'arriverait jamais à convaincre personne que la folle, c'était la femme qui ne lâchait pas son bras. Se dégager et s'enfuir en courant ? Les efforts qu'il venait de fournir, à jeun, l'avait vidé de toute son énergie : s'il essayait de partir en courant, il ne faisait aucun doute qu'elle le rattraperait en moins d'une minute. S'il frappait la jeune femme pour l'assommer, il se sentirait coupable, même si elle l'avait un peu cherché en l'entraînant jusqu'ici sans lui demander son avis. Il y avait aussi la possibilité de se rouler en boule par terre, tel un enfant capricieux, afin que la jeune femme l'abandonne pour ne pas se faire remarquer. Cette technique, lointain souvenir de son enfance, semblait étrangement être sa meilleure chance de s'en sortir.

 

"Est-ce qu'il y a un restaurant ou un café dans le coin ?" lui demanda la jeune femme, qui semblait agacée par son mutisme. La question l'arracha à ses réflexions et l'obligea à se concentrer sur son environnement proche. Il reconnut une parfumerie dans laquelle il achetait son après-rasage et un fleuriste spécialisé en plantes exotiques. Ils étaient donc au premier étage du centre commercial. Si ses souvenirs ne lui jouaient pas des tours, il y avait au même niveau une brasserie, sur leur gauche, et un fast-food, à leur droite. Aucun de ces établissements n'étaient visibles depuis l'endroit où il se trouvaient. Gauthier réfléchit pendant une seconde et répondit :

1 : "Non, je ne crois pas"

2 : "Oui, il y a un bistrot par là-bas"

 

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