Elfes, fées et pierres magiques
Corinne Christol Banos
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Claudine accéléra son allure en arrivant près des échoppes tant espérées. Se retournant une énième fois vers Albert pour vérifier s'il la suivait bien, d'un regard elle le pressa d'allonger son pas, pourtant déjà bien élastique, afin de pouvoir enfin étancher sa soif de curiosités.
Il soupira en constatant que son épouse tressautait comiquement sur le trottoir. Elle dansait d'un pied sur l'autre, se tordait les mains à les faire pâlir et contorsionnait son cou, une fois pour contempler les vitrines, une fois pour s'assurer de son soutien visuel.
Lorsqu'elle eut confirmation de son accord tacite, elle fonça comme un bélier vers la première boutique sur sa gauche. Celle-ci déversait ses articles sur des trépieds supportant des caisses bringuebalantes, dans un fatras indescriptible d'objets en tous genres. On y trouvait des foulards aux couleurs de Brocéliande, des boules en plastique représentant un paysage de falaises, des dessous de tables et gadgets minuscules à absolument rapporter dans ses bagages mais aussi des pendules ésotériques de toutes les formes et toutes les matières. S'y ajoutaient les fameuses cartes postales accompagnées bien sûr des timbres aux effigies de Merlin ou d'elfes célèbres.
Albert arriva à l'échoppe en soufflant bruyamment. Il n'avait plus les jambes de ses cinquante ans et son cœur le lui faisait honnêtement savoir. Il s'appuya contre un morceau de bois faisant office de pilier mais se retira bien vite face au regard noir que lui lança le commerçant. Reprenant enfin sa respiration, il entra dans la fraîcheur de la boutique à la recherche de sa moitié. Il peina à la retrouver parmi les touristes tout aussi passionnés qu'elle, qui rigidifiaient les allées déjà étroites. Il la trouva courbée, le nez pratiquement à hauteur des objets qu'elle examinait avec l'acuité d'un microscope. Sentant sa présence, elle se redressa et deux yeux brillants rencontrèrent le regard sombre d'Albert.
- Regarde ! fit-elle, ce sont les pierres dont m'a parlé Marie-Paule.
Dans ses mains, de minuscules galets de toutes les couleurs. Ordonnées dans de petits rangements de plexiglas, les pierres étaient échantillonnées suivant leur pouvoir. Si pouvoir il y avait, pensait acidement Albert, peu enclin à croire en la guérison mystique de ces bouts de cailloux !
Claudine percevait bien le désaccord muet de son mari. Mais pour contrer sa perplexité, elle affichait un stoïcisme désarmant. Pour le convaincre, elle chercha la pierre soulageant les rhumatismes et lui mit dans sa main gauche un caillou, franchement pas plaisant aux yeux d'Albert, aux aspérités peu avenantes, dans des tons de bleus et verts.
- C'est celle qu'il te faut, affirma Claudine avec l'attitude d'un docteur convaincu de son traitement. Je dois absolument en ramener une aussi à Sophie. Je suis sûre que cela l'aidera. Je vais demander au vendeur laquelle est la mieux indiquée pour son cas.
Albert soupira une deuxième fois. Devant l'illogisme de son épouse et son engouement perpétuel pour toutes sortes de techniques farfelues, il préférait se taire. Subir son courroux était au-dessus de ses forces. Depuis qu'elle avait appris que des pierres d'une soi-disant « redoutable efficacité » étaient vendues à Paimpont, elle l'avait harcelé jusqu'à ce qu'il accepte de l'y emmener.
Selon lui, de ridicules cailloux ne pouvaient en aucun cas guérir ce que la médecine traditionnelle peinait à résoudre. Il stoppa net ses réflexions lorsque, arrivant en courant, Claudine lui mit dans les bras deux fées en céramique, d'une vingtaine de centimètres de haut, habillées de tissus aux couleurs mauve et noir. Leurs noms, impossibles à retenir, rajoutaient une aura de mysticité. Elle devait absolument les ramener à leurs petites-filles ! Sur une étiquette posée à la base des articles, il était noté : fées protégeant les enfants des cauchemars !
Psst ! Décidément, Claudine croyait en tout et en toutes choses ! Lui, ne croyait qu'en ce qu'il voyait. Et pas plus !
Il apporta pourtant docilement les articles au comptoir, puis sortit pour l'attendre. Il commença à souffler et s'apprêtait à s'asseoir sur le muret d'en face lorsqu'une vieille dame, toute recourbée sur elle-même, s'avança jusqu'à lui. Le toisant du haut de son 1m50, elle lui prit la main et posa au centre de sa paume une pierre d'un bleu pâle, une aigue-marine.
- Pour vos problèmes de cœur.
Médusé, Albert contempla longtemps ce petit bout de roche. Lorsqu'il releva la tête, elle avait disparu. Dès que Claudine ressortit, goguenard, il l'apostropha :
- Alors, tu es contente de ton petit numéro ?
- Quel numéro ? l'interrogea-elle stupéfaite.
- La vieille femme à qui tu as demandé de me donner cette pierre ! il lui montrait le caillou bleu.
- Je ne comprends rien à ce que tu me dis…
- Excusez-moi, les interrompit un vieux monsieur surgi à leurs côtés de nulle part. C'est la fée protectrice de Paimpont, Notre Dame de Paimpont.
Devant l'expression comique du couple, il précisa :
- Elle le fait à chaque fois qu'elle ressent le mal-être d'une personne !
Claudine et Albert se regardèrent, ne sachant pas s'ils devaient rire. Mais lorsqu'ils se retournèrent pour demander des explications, le monsieur avait, lui aussi, disparu ! Ils fouillèrent du regard les alentours puis inspectèrent l'intérieur de la boutique, en vain.
C'est alors que leurs regards tombèrent sur une photo encadrée, au-dessus de la porte de la boutique. Un couple y figurait. Ils eurent la surprise d'y retrouver les deux personnes qui les avaient précédemment apostrophées.
Se dirigeant vers le commerçant, ils l'interrogèrent sur le couple.
- Ah ! vous parlez de celui-ci ? fit-il en désignant la photo.
- Oui.
- Eh bien, il s'agit de personnes très célèbres, de la région.
- Ah bon !
- Pourquoi ? demanda l'homme intrigué.
- Ces personnes nous ont parlé il y a quelques minutes…
Albert fut interrompu par un éclat de rire sonore.
- C'est impossible ! Ils ont vécu au tout début du 20ème siècle. La légende locale affirme que cette dame est la fée de Paimpont. Elle a accompli de nombreux miracles, vous savez. Vous trouverez sa statue dans le parc accolé au lac. Quant à l'homme, c'est plus confus. Certains soutiennent qu'il était son assistant. Pourquoi ?
Claudine et Albert, pétrifiés, ne prononcèrent plus un seul mot.
Lecture agréable, merci.
· Il y a environ 4 ans ·La fée qui s'est penchée sur mon berceau, autrefois, avait une drôle de baguette à la main. Elle était chef d'orchestre et je me suis passionné pour la musique. Celle des mots et l'autre :)
Edgar Allan Popol