Elle est au Nord

Christian

Elle est au Nord, dans un autre temps , au bord d'un autre Monde….


Je lui avais promis. j'irai l'écouter dès qu'elle chanterait dans une salle pas trop éloignée de ma ville. 


Et le jour, enfin le soir d'un de ses concerts est arrivé. Depuis plus de cinq ans déjà je suis sa progression et sa passion pour la chanson. Auteur et interprète de ses propres chansons, elle a fini par trouver un accompagnateur arrangeur à la hauteur de son talent.


Après avoir passée toute sa carrière à soigner les hommes et les femmes durement touchés dans leur chairs, en donnant corps à sa passion, aujourd'hui elle continue à soigner les âmes en leur parlant d'amour.


Je lui ai envoyé un petit message pour lui confirmer que j'ai bien noté la date du concert et j'essaierai de passer mais sans plus de précisions.


Avec ses deux musiciens elle se produit dans une petite chapelle désaffectée, un véritable écrin pour mettre en valeur sa voix où elle vient susurrer ses mots d'amours aux oreilles des spectateurs, tout comme moi,  acquis à ses paroles.


Arrivé avec un peu de retard, le trajet a été un peu rallongé suite à des travaux sur la route, je m'installe au fond, mais  face à la scène, la chapelle est petite mais pleine, 150 spectateurs environ.


Je ne l'ai jamais vu qu'en vidéo sur Youtube, mais je possède, bien sûr, les 3 CD qu'elle a auto-produit. La voir sur scène pour de vrai, cela peut paraître un peu midinette, mais c'est un évènement pour moi.


Des les premières mesures, je reconnais bien sûr sa dernière chanson, Octobre rouge, elle enchaine plusieurs des ses titres, demande au public si une chanson en particulier leur ferait plaisir, et la soirée s'enchaine dans un plaisir partagé aussi bien dans la salle que sur scène, je suis aux anges.


Elle s'avance descend de la petite estrade laissant ses musiciens derrière elle.


— Vous avez été tous tellement emportés par mes chansons que beaucoup connaissent, je voudrais, ce soir, vous faire un cadeau en vous offrant une de mes dernières chansons. Je ne l'ai pas encore enregistrée , tout simplement  je n'ai pas encore la musique qui va avec. Je vais donc vous la chanter a capella.

La chanson s'intitule , "Elle est au Nord."


Après des applaudissements nourris dont les miens évidemment. Un silence impressionnant se fait dans l'attente de sa voix.


"Elle est au Nord, dans un autre temps , au bord d'un autre Monde….


S'avançant dans la travée, elle m'aperçoit, je lui répond d'un signe discret.

Éléonore…. sa voix emplit tout l'espace d'une vibration mystérieuse, comme si toute la chapelle s'illuminait de son timbre.


"Éléonore, dans un autre Temps, au bord d'un autre Monde"


Ses paroles soudain laissent jaillir de ma mémoire des images enfouies depuis la nuit des temps, je ne les connaissais pas mais je le sais, j'ai déjà vécu ces scènes, Éléonore, mon cœur s'emballe, mes yeux s'embrument.


Puis soudain un tonnerre d'applaudissements vient rompre ce charme magique.


"Elle est au Nord" vient de submerger le public de la Chapelle.


Tout  en frappant dans les mains, je me dirige, en slalomant  au travers des spectateurs debout, vers la scène.


Elle est radieuse, envoyant des baisers à son public et en remerciant ses musiciens.


A la descente de l'estrade je lui prends la main et lui glisse à l'oreille 


— Éléonore, je vous aime.


Elle entend : 


— Éléonore je suis Jewel


Elle se retourne époustouflée. Je mets mon doigt sur sa bouche pour lui signifier le silence.


— Ton public attend tes dédicaces de CD, on se retrouve après.


Elle se dirige vers une table happée par le tourbillon de ses admiratrices.


Jewel, Jewel, le nom résonne dans sa mémoire, les personnes présentes devant elle deviennent des visages connus, vêtus d'autres vêtements, c'est comme si les paroles de sa chanson les avaient transportés dans un autre monde qu'elle a bien connu.


— S'il vous plait une dédicace pour ma fille !


Les spectateurs la ramènent au temps présent.


— Oui bien sûr, comment s'appelle-t-elle ?


— Francis, merci d'ouvrir un autre carton de CD, j'ai déjà dédicacé tous ceux exposés sur la table.


Absorbés par un public chaleureux, elle ne pense plus à Jewel.

A court de CD, la chapelle finit par se vider petit à petit, de plus l'orage gronde, ce qui accélère le mouvement.


Elle sursaute, un éclair sur sa gauche vient d'illuminer les vitraux de la chapelle, projetant un festival de couleurs sur une ombre appuyée à un pilier, le regard fixée sur elle.


Jewel ! Il vient de ressurgir de sa mémoire avec l'éclair


Elle se retourne vers ses musiciens


— Francis, un vieil ami est venu me voir ! On se retrouve à l'hôtel, on rangera tout demain, inutile de mouiller le matériel avec l'orage. L'association de la chapelle Saint Sixte m'a laissée les clefs et expliquée pour l'alarme.


— Jewel c'est bien toi ?


— Éléonore je répondrai à tous les noms que tu prononceras !


Elle s'avance vers l'homme qui vient de retirer sa capuche.


— Éléonore que nous arrive-t-il ? Pourquoi cette chanson ?


— Je ne sais pas, pour que tu reviennes, certainement, puisque tu es là !


— Cela fait des siècles mais c'est comme si je ne t'avais jamais quitté.


— Mais tu ne m'as jamais quitté, dit-elle en lui prenant ses lèvres d'un baiser avide.


Un éclair long et puissant vient accompagner notre baiser surgit du fond des âges.


La fougue d'Éléonore nous précipite contre un pilier. Nos baisers nous accrochent l'un à l'autre comme pour ne laisser aucun espace au gouffre du temps.


Je dessers un instant notre étreinte en posant les deux mains sur sa poitrine palpitante, je découvre son regard émeraude ravivant cette mémoire ancestrale qui nous submerge.

Nous sommes déjà venu ici.


Éléonore libère sa poitrine du carcan de son soutien gorge, elle s'accroche à mon cou, je la soulève avec une facilité qui m'est totalement inconnue et la porte à l'autel situé sur le côté de l'estrade.


Assise sur l'autel, elle s'empresse de m'arracher ma chemise pour presser ses seins devenus électriques contre ma poitrine dénudée.


— Jewel, je te l'ai juré, ici même, tu le sais, que ni les hommes , ni le temps ne pourraient séparer notre amour, alors viens ! Je suis à toi pour les siècles des siècles !


L'orage se fait plus intense, les éclairs les illuminent tels des flashs monstrueux dans les vagues de plaisirs qui les parcourent sur l'autel de l'amour. La chapelle répercute à l'infini leurs cris de plaisir.


Éléonore dans une première vague d'orgasme se redresse et s'accroche pour m'embrasser comme pour effacer à jamais du journal du temps cette nuit horrible où les soldats de l'église sont venus nous arracher l'un à l'autre au plus fort de nos étreintes une nuit de pleine Lune, la veille de notre mariage !

 Ils l'ont  brûlée sur un bûcher, telle une sorcière et ils m'ont émasculé le  jour même, j'en suis mort d'avoir perdu tout mon sang.


Éléonore avait raison notre amour c'est incrusté dans cette chapelle et a défié le temps.


L'orage passé, l'amour nous a retrouvé, enfouis sous une couverture, dans ma voiture, devant l'église.


Je caresse les cheveux de ma chanteuse préférée, sa tête reposant sur ma poitrine.


— C'est fou cette chanson, "Elle est du Nord", elle nous a transporté au bord du temps.


— Jewel, je sais ce n'est pas ton prénom d'aujourd'hui, quand je me suis lancé pour la chanter je n'avais que le couplet "Elle est au Nord dans un autre Temps , au bord d'un autre Monde ", la suite je l'ai inventée en le chantant, les paroles me venaient toutes seules.


— Éléonore nous sommes d'un autre temps, Jacky et Cathy ont leur vie !


— Nous sommes eux, comme ils sont nous, nous sommes la vie, l'amour tracera nos chemins, comme il l'a tracé pour nous conduire ici.


Nos lèvres et nos corps brûlant s'ouvrirent l'un à l'autre. La brume matinale avait engloutie la voiture, nous masquant encore un instant aux habitants de ce monde.


— Cathy, il faut peut-être rendre les clefs de la chapelle ? Nous ne pouvons pas passer nos nuits ici, comme d'éternels fantômes de l'Amour.


— Et si le charme  disparaissait une fois partis d'ici !


— Pourquoi ?


— J'ai hurlé si fort mon amour dans les murs de cette chapelle qu'elle l'a conservé des siècles durant. N'est-ce pas elle qui t'a attiré ici et elle qui m'a soufflé les paroles de la chanson?


— Tu as raison Éléonore, elle est notre chapelle d'éternité.


— Je vais appeler les musiciens pour charger le matériel et la présidente de l'association pour les clés.


Je sors de la voiture, un vent glacial achève de dissiper le brouillard et la chapelle se dévoile. Le soleil levant vient souligner les terribles rides du temps qui parcourent son toit et les nombreuses taches vertes et brunes qui attaquent ses pierres. Le vent du nord s'engouffre avec un lugubre sifflement dans des vitraux brisés.


Les musiciens d'Éléonore viennent d'arriver pour charger le matériel, je me fais discret. 


— Bonjour, vous faites partie du groupe de la chanteuse.


Surpris je n'ai pas vu arriver la présidente de l'association de sauvegarde de la chapelle Saint Sixte


— Heu ! Non, mais venez elle charge le matériel avec ses musiciens


Au même instant Éléonore franchit le porche et se dirige vers nous.


— Madame merci beaucoup de nous avoir ouvert les portes de cette chapelle, vous ne pouvez pas savoir à quel point cela me touche. Je reviendrai chanter ici quand vous le souhaiterez, soyez en certaine.


La présidente de l'association, les larmes aux yeux prend les mains d'Éléonore.


— J'aurai vraiment aimé vous inviter aussi souvent que vous le désirez mais malheureusement cela ne sera plus possible.


— Pus possible ? Les yeux d'Éléonore s'élargissent de surprise.


— L'architecte des monuments historiques nous interdit désormais toute entrée  dans la chapelle, son état est jugé trop dangereux pour accueillir du public et notre association n'a aucun moyen pour réaliser des travaux de mise en sécurité, sans même parler de travaux de rénovation.


Le même cri surgit de nos poitrines : Nooon !


Nous venons de comprendre, soudain, que la chapelle nous a sorti des limbes du temps pour la sauver d'un péril immédiat, son abandon.

Éléonore me prend la main.


— Il est impossible pour moi et Jewel que la chapelle retombe dans l'oubli, c'est sa mort certaine. Il est vital pour nous qu'elle continue son voyage dans le temps, ne nous demandez pas de vous l'expliquer, nous même nous ne pourrions le dire , mais ce que nous savons c'est qu'elle ne doit pas disparaitre.

Un peu désarçonné par notre réaction la présidente soulève les sourcils, se demandant si elle n'a pas en face d'elle des illuminés.


— Vous vous êtes peut-être pris d'amour soudain pour cette chapelle mais nous n'avons, je vous le répète, aucun moyen.


Cette fois c'est Éléonore qui se saisit des mains de la présidente.


— Madame, nous irons chercher les moyens, la lumière et la chaleur reviendront rayonner ici, je vous en fait le serment.


— Et que comptez vous faire ? 


— Je chanterai pour la chapelle tous les week-ends de l'année et tous les étés, nous installerons un chapiteau devant la chapelle, puisqu'elle est dangereuse pour le public,.

J'y inviterai d'autres artistes et nous réaliserons Le festival Amoressens Musical. Toutes les recettes seront au profit de la reconstruction de la Chapelle.


— Il faut que j'en parle à mon conseil d'administration, vous pourrez venir y exposer votre projet ?


— Quand vous voudrez, appelez-moi, je viendrai, enfin nous viendrons, dit-elle en me prenant la main.


La présidente nous embrasse et repart presque sur un pas de danse oubliant aussi de nous demander les clés.


— Jewel, si nous allions annoncer la bonne nouvelle à la Chapelle.


Nos lèvres se rejoignent sur le porche d'entrée, une rafale de vent plus puissante que les autres vient faire tressaillir la petite cloche de la Chapelle, en réponse à nos vibrations d'amour incrustées dans ses murs.


La voix d'Éléonore s'élève, cristalline : "Elle est au Nord, dans un autre Temps, au bord d'un autre Monde..."

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