Elle L'effraie
lwsiffer
-Je trouve que l'atmosphère est toujours tendue, dit Elena à voix basse.
-Comment ça ? demanda Grigori.
-Ben tu sais bien, depuis l'incident.
Grigori resta impassible.
-Je suis d'accord avec toi, approuva Cédric après quelques secondes. L'atmosphère a changé, ce n'est plus comme avant.
-C'est un peu tôt non ? Ça finira par passer, avança Chloé.
-Mais il ne faudrait pas qu'on oublie ce qui est arrivé ! s'indigna Céline.
-On arrive en classe, on ferait mieux de parler d'autre chose, dit calmement Grigori, sans montrer son agacement.
Sans attendre de réponse, il devança ses amis et ouvrit la porte de la salle de classe, suivi par Cédric et Elena, tandis que les autres rejoignaient leurs classes respectives.
Le premier et unique cours de la matinée commença mais Grigori avait du mal à se concentrer. Le professeur parlait d'une voix monocorde et il sentit son esprit décrocher. Après quatre heures de lutte, la sonnerie de midi fut une délivrance.
Il sentit une main lui secouer l'épaule. Il sursauta et se retourna brusquement. C'était Cédric.
- Ben alors, tu nous as pas rejoints au self ?
Hébété, Grigori regarda autour de lui avant de reprendre ses esprits.
-Je… je crois que je me suis endormi, murmura-t-il.
-Sérieux ? Tu fais quoi de tes nuits ?
Grigori ne répondit rien et Cédric lui tendit une barre de céréales.
-Tiens, mange-ça ! Viens, on est tous dans la cour.
Grigori le suivit et ils rejoignirent le petit groupe qui discutait en attendant la fin de la pause.
-Quelqu'un sait si elle est sortie du coma ? demanda Elena.
« Évidemment, c'est encore elle qui a ramené le sujet sur le tapis », songea Grigori agacé.
-La pauvre, si ça se trouve, personne n'est allé la voir.
-Qu'est-ce que ça peut faire ? répondit-il sèchement. On ne la connaissait même pas !
-Pourquoi tu t'emportes comme ça ? demanda Cédric étonné.
-Elle était dans notre classe quand même ! T'es vraiment insensible ! lui reprocha Elena.
-Tu parles ! Tout ce qui t'intéresse ce sont les ragots. T'en a rien à foutre de cette fille !
-Mais qu'est-ce qui te prend de parler comme ça ?! T'es pas bien aujourd'hui ou quoi ?!
-Vous me saoulez avec cette histoire ! Je retourne en classe.
Grigori se retourna et s'éloigna rapidement sous les yeux de ses amis incrédules.
Le matin suivant, la sonnerie de son téléphone le réveilla. Encore endormi, il tâtonna par terre avant de saisir son portable et de décrocher.
-Allô ?
-Grigori ? Qu'est-ce que tu fous ?!
-Hein? Comment ça? répondit-il d'une voix ensommeillée.
-Pourquoi t'es pas en cours ? Il est neuf heures passé !
Grigori ouvrit des yeux exorbités.
-Merde !
Il raccrocha et se précipita hors de son lit pour s'habiller et prendre ses affaires, dévala les escaliers et sortit sans prendre de petit-déjeuner. Après une longue course, il arriva essoufflé aux portes de l'école et se présenta en classe sans aucune excuse à donner au professeur.
-Bon, comme c'est la première fois que ça t'arrive, je ne vais pas t'envoyer chez le CPE. Tu peux aller t'assoir.
Soulagé, Grigori se dirigea vers son bureau et se laissa tomber sur sa chaise. Il fit des efforts pour rester attentif le reste de l'heure, mais dès que le professeur sortit à la fin du cours, il s'affala sur son bureau et ferma les yeux.
-Qu'est-ce qui t'arrive ? T'es malade ?
Grigori tourna la tête et vit Cédric qui l'avait rejoint en attendant le prochain cours.
-Je suis juste fatigué, marmonna Grigori.
-Alors que t'as fait la grasse mat' ? se moqua son ami.
-Fous-moi la paix, répondit-il, excédé.
-C'est bon, je te laisse ! T'es vraiment agressif en ce moment !
Cédric s'éloigna alors qu'un autre professeur arrivait pour le cours suivant. Grigori avait tellement envie de dormir que faire des efforts de concentration lui tapait sur les nerfs. A l'heure de midi, ses amis quittèrent la classe sans lui adresser la parole.
« Tant mieux, ça me fera des vacances ! », se dit-il en posant la tête sur ses bras croisés. Mais alors qu'il se laissait porter par le sommeil, il entendit des voix toutes proches. Il releva la tête et regarda autour de lui. Il n'y avait personne. Il allait reposer sa tête quand il entendit de nouvelles bribes de conversation comme si des élèves parlaient à côté de lui. Grigori se leva d'un bond, surpris.
« Qu'est-ce qui se passe ? »
Il s'approcha des fenêtres et regarda au dehors. Quelques élèves courraient vers le self et un professeur se dirigeait vers le parking. Aucun ne parlait. Soudain, ses oreilles se mirent à siffler désagréablement. Grigori se boucha instinctivement les oreilles en fermant les yeux et de nouveau il perçut des voix qui parlaient entre elles. En se concentrant, il réussit à comprendre ce qu'elles disaient.
-Vous trouvez pas qu'il est bizarre en ce moment ?
C'était la voix de Cédric.
-Si ! T'as vu comment il m'a parlé hier ?
-Tout à l'heure, il m'a envoyé promener. Alors que je voulais juste savoir si ça allait.
-En plus c'est toi qui l'as appelé pour le réveiller.
-Ouais… je voudrais pas dire, mais moi plus ça va, moins j'arrive à le supporter.
Grigori resta figé, les mains toujours posées sur ses oreilles. Les voix s'étaient tues mais il avait bel et bien perçut la conversation de ses camarades, qui se trouvaient pourtant dans un autre bâtiment. Elle lui était parvenue comme au travers d'un téléphone grésillant, mais plus que l'incompréhension, c'est la colère qui prit le dessus. Il en avait assez entendu. Il retourna à son bureau, enfourna ses affaires pêle-mêle dans son sac et rentra chez lui.
En arrivant, il s'installa dans le canapé, alluma la télé et au bout d'une demi-heure, finit par s'endormir. Mais une douleur lancinante dans le dos le réveilla, comme une brûlure vive qui le força à se lever.
Il monta à l'étage pour se rendre dans la salle de bains et enleva son tee-shirt pour essayer d'entrapercevoir son dos dans la glace. Il ouvrit grand les yeux de surprise en découvrant deux énormes balafres rouges, qui longeaient sa colonne vertébrale depuis les omoplates. Il les effleura légèrement et retira aussitôt ses doigts. C'était douloureux.
Le soir au dîner, il hésita à en parler à ses parents mais ne savait pas quoi leur dire. Perdu dans ses pensées, il ne toucha pas à son assiette.
-Qu'est-ce qui se passe? Tu ne manges pas ? s'inquiéta sa mère.
- Non, j'ai pas faim.
-Tu as sûrement grignoté toute la journée, lui reprocha son père.
-Non, je n'ai rien mangé cet après-midi, répondit Grigori sur un ton sec.
A bien y réfléchir, il n'avait rien mangé de la journée et pourtant, c'était vrai, il n'avait pas faim.
-Je vais me coucher, dit-il en se levant.
-Déjà ?
Grigori ignora sa mère et monta dans sa chambre. Mais une fois allongé, il sentit ses oreilles siffler, des sons l'assaillirent de tout côté et il se boucha les oreilles.
-Tu crois qu'il couve quelque chose ?
Cette fois, c'était la conversation de ses parents qu'il entendait.
-Mais non, tu te fais du souci pour rien. Et puis je suis sûr qu'il s'est empiffré toute la journée, contrairement à ce qu'il a dit. Gros comme il est !
Le lendemain, Grigori se réveilla en début d'après-midi. Comme on était samedi, il avait enfin pu dormir tout son saoul. Il se redressa et regarda par la fenêtre. Le ciel était resplendissant. Il souleva la couverture pour sortir du lit mais suspendit son geste et garda les yeux fixés sur ses pieds sans comprendre. Ils étaient recouverts de boue et les draps étaient tâchés. Après quelques secondes, il s'aperçut que ses mains étaient sales également.
Pris de panique, il se rua dans la salle de bains, entra dans la cabine de douche sans même se dévêtir et frotta frénétiquement ses mains et ses pieds sous l'eau froide. Il continua pendant 10 bonnes minutes alors que la boue était déjà totalement partie.
Revenu à ses esprits, Grigori se sécha et se changea avant de descendre dans la cuisine pour déjeuner. Il n'avait toujours pas faim. Il se prépara un café au lait et s'assit à la table du salon.
« Qu'est-ce qui se passe ? Est-ce que j'ai rêvé ? Peut-être que je craque à cause de ce qui s'est passé ? »
Il entrevit le visage d'une jeune fille qu'il chassa aussitôt de son esprit.
« Non, je ne suis pas fou. Et si c'était… ?»
Le lundi suivant, Grigori retrouva ses amis en classe. Méfiant, il répondit évasivement à leurs questions et ne leur parla pas de l'incident de la boue.
« Ils font comme si de rien n'était, moi aussi je peux jouer à ce petit jeu. »
Toute la matinée, il évita de leur parler. A la pause de midi, tout le monde se leva pour sortir mais Grigori ne bougea pas.
-Tu viens ? l'interpella Cédric à l'entrée de la classe.
-Non, j'ai pas faim.
-Tu peux quand même venir avec nous.
-Laisse-le, tu vois bien qu'il veut rester seul, rétorqua Elena en s'éloignant.
-Cédric resta debout devant la porte, fixant Grigori comme s'il essayait de deviner ses pensées.
-Je ne sais pas pourquoi t'es aussi disant en ce moment, mais si t'as des soucis tu peux nous en parler tu sais, dit-il finalement avant de quitter la classe.
Le lendemain au réveil, une odeur désagréable vint lui chatouiller le nez. Le sortant peu à peu de sa torpeur, il crut qu'il était encore en train de rêver. Des cadavres. Une dizaine de cadavres de mulots étaient disposés un peu partout sur le sol de sa chambre, complétement éventrés, les tripes à l'air.
Encore sous le choc, Grigori réprima un haut-le-cœur et enjamba les rongeurs jusqu'à la porte de sa chambre. Il l'ouvrit doucement pour s'assurer que ses parents étaient bien partis travailler et se précipita dans la cuisine pour récupérer un sac poubelle, des gants et de quoi nettoyer, avant de retourner à l'étage. Avec dégoût, il saisit les corps pour les mettre dans le sac et se mit à récurer le sol de toutes ses forces pour faire partir les traînées de sang répandues çà et là.
« Cette fois ça va trop loin ! »
A cause de cet imprévu, Grigori arriva en retard à l'école. Déjà passablement contrarié, la douleur qui s'était réveillée dans son dos ne fit qu'amplifier son énervement.
Quand la sonnerie de la pause retentit, il se dirigea sans attendre vers Cédric et Elena.
-Salut ! Encore en retard ? l'interpella Cédric.
-Comme si tu ne savais pas pourquoi ! l'attaqua Grigori.
-Hein ?
-Vous essayez de me faire peur c'est ça ?!
-Ma parole, t'es devenu dingue ?! s'écria Elena. De quoi tu parles ?!
-C'est ça ! Aucun de vous n'est entré dans ma chambre cette nuit ?
-Bien sûr que non !
-Tu nous fais marcher, Grigori ? demanda Cédric inquiet.
-Quelqu'un est entré dans ma chambre cette nuit je vous dis ! cria Grigori.
Certains élèves se retournèrent étonnés.
-Baisse d'un ton, chuchota Elena. T'es fou ou quoi ?
-Je ne suis pas fou ! cria-t-il de plus belle.
La douleur dans son dos s'intensifiait et lui donnait la nausée. Il se sentait fébrile et avait l'impression qu'il allait s'évanouir d'un instant à l'autre. Cédric le remarqua.
-Tu te sens bien ? T'es tout pâle.
Grigori n'eut pas le temps de répondre et se précipita hors de la classe pour courir aux toilettes. Il s'enferma dans une cabine et enleva sa chemise et son tee-shirt. Il était en nage, son dos le brûlait. Il posa ses mains dessus et sentit les marques rouges gonfler. Haletant, il se cramponna à la cuvette pour ne pas tomber. Soudain, sa peau se déchira et deux excroissances jaillir dans son dos en faisant gicler du sang sur les parois, lui arrachant un hurlement de douleur avant qu'il ne s'évanouisse sur le carrelage froid des toilettes.
Grigori se réveilla transit de froid, gisant toujours à côté de la cuvette. Encore groggy, il se leva lentement et tâta son dos. Une angoisse sourde s'empara de lui quand il sentit les deux fines bosses, hautes de deux centimètres, qui se prolongeaient le long de sa colonne. Elles étaient aussi dures qu'un os. Il essuya à la va-vite les éclaboussures de sang, sortit discrètement des toilettes et récupéra ses affaires dans la salle de classe. Il n'y avait plus personne, combien de temps était-il resté inconscient ?
Ce soir-là, allongé dans son lit, il ne put s'empêcher de ruminer tout ce qui lui était arrivé dernièrement.
« Les conversations qui me parviennent de loin, la boue dans mon lit, puis les cadavres de mulots et maintenant ça ?! Sans parler de mon manque d'appétit et de la fatigue qui me colle à la peau malgré les nuits de sommeil… »
Grigori se retourna, essayant de trouver une position confortable malgré les bosses. « Est-ce que Cédric ou Elena pourrait être derrière tout ça ? Mais comment auraient-ils fait apparaître ces… choses ? Et pourquoi ? Ça va trop loin, à moins que… qu'ils soient au courant pour Vara ?! »
Il se redressa brusquement. « Vara ! Je ne sais pas ce qu'elle est devenue ! Si elle est sortie du coma… Je dois en avoir le cœur net ! »
Le lendemain quand il se réveilla, il trouva ses pieds et ses mains à nouveau couverts de terre. Cette fois s'en était trop. En arrivant à l'école, il trouva le groupe habituel près des grilles. Quand il s'approcha il sentit l'atmosphère changer.
-On ferait mieux d'y aller, dit Elena en ignorant sa présence.
-Eh, attendez ! Vous avez des nouvelles de Vara? questionna-t-il.
-Qui ça ? demanda Elena.
-Vara, la fille qui est dans le coma.
-Y a une fille dans le coma ? répéta Céline surprise.
-Tu te fous de moi ? C'est toi qui disais qu'on ne devait pas l'oublier !
Elle resta silencieuse mais regarda les autres comme si son interlocuteur n'avait plus toute sa tête.
-Vous essayez de me faire peur c'est ça ?! s'emporta Grigori. Vous voulez me faire passer pour un fou ?!
-Calme-toi Grigori, on ne sait pas de qui tu parles, c'est tout, essaya de lui expliquer Cédric.
-Je parle de Vara ! La fille qui s'est fait agresser à l'école et qu'on a retrouvée en sang dans les escaliers !
-C'est horrible ce que tu dis !
-T'es sûr que t'as pas rêvé ? Y a jamais eu ce genre d'incident à l'école.
-T'es bizarre ces derniers temps. Sérieux, tu devrais voir quelqu'un.
-Où est-elle ?! Pourquoi vous mentez?! hurla Grigori les yeux exorbités par la colère.
Il regarda ses amis tour à tour qui restaient silencieux et évitaient son regard. Il s'apprêtait à vociférer de plus belle quand il eut soudain une irrépressible envie de vomir. Il sentait quelque chose remonter dans sa gorge mais il n'arrivait pas à l'évacuer et commença à s'étouffer.
-Qu'est-ce qui lui arrive ?!
-Aidez-le il s'étouffe !
Ils s'étaient regroupés autour de lui sans trop savoir que faire et au moment où l'un d'eux s'approcha pour lui taper dans le dos, Grigori tomba à quatre pattes et régurgita une masse noire répugnante.
-Beurk !
-C'est quoi ça ?
-C'est dégueu !
Grigori essayait de reprendre son souffle, les larmes aux yeux, le visage rougi. Il sentait tous les regards sur lui ce qui ne faisait qu'accroître son malaise. Il jeta un coup d'œil sur ce qu'il venait de régurgiter, sans savoir de quoi il s'agissait.
-Ce gars est taré ! On ferait mieux de partir, répéta Elena en s'éloignant.
Tous lui emboîtèrent le pas en regardant Grigori avec dégoût. Désemparé, il ne savait plus quoi faire. Comment pouvait-il encore aller en cours ? Il ne voyait qu'une solution : retrouver Vara à tout prix.
Il passa la journée à questionner des élèves, des passants, à fouiller la ville, sans succès. A court d'idée, il erra dans les rues sans but. Il se sentait perdu et seul.
« Est-ce que je perds la raison ? Est-ce que j'ai vraiment imaginé tout ça ? » Il passa une main dans son dos et sentit les bosses à travers son blouson. Elles étaient bien réelles, ce n'était pas son imagination.
Tout à coup, il se souvint. C'était si simple ! Il avait une preuve de son existence. Chez lui ! Il se mit à courir à en perdre haleine et arriva devant sa maison, dont il fit le tour pour se rendre dans le jardin. Il se glissa entre un gros massif de fleurs et la palissade qui les séparait des voisins et là, à l'abri des regards, il commença à creuser à main nue.
L'eau coulait depuis presque une heure. Grigori essayait de remettre de l'ordre dans ses idées. Il avait creusé le sol du jardin longuement, profondément, sans rien trouver. Dépité, il était resté assis sur l'herbe humide un moment, les yeux dans le vide, avant d'être saisi par le froid et de se traîner à l'intérieur pour prendre une douche.
« Les ciseaux ont disparu. Pourtant je suis sûr de les avoir enterrés à cet endroit. »
A cette pensée, il se souvint du visage de Vara déformé par la peur, de ses longs cheveux qu'il avait découpé sauvagement au ras du crâne et de la facilité avec laquelle il l'avait poussée dans les escaliers alors qu'elle tentait de s'échapper. Comme dans un film au ralenti, il revit son corps tomber lentement et la mare de sang s'étendre autour de sa tête. Rien que d'y penser, il ressentit un frisson d'excitation comme s'il revivait cet instant de toute-puissance.
Mais pourquoi ? Pourquoi personne ne se souvenait d'elle ? Tout le monde semblait l'avoir oubliée, comme si elle n'avait jamais existé. Tout le monde à part lui.
Alors qu'il se séchait, il entendit la porte d'entrée claquer.
-Grigori ! Descends ici tout de suite !
Grigori enfila rapidement ses vêtements avant de dévaler les escaliers pour trouver ses deux parents debout dans le salon, visiblement furieux.
-Alors comme ça monsieur sèche les cours ?!
-Quoi ?
-Ne fais pas l'innocent ! L'école a appelé pour dire que tu as raté les cours aujourd'hui… pour la DEUXIÈME fois !
Grigori déglutit. Il pouvait difficilement leur dire la vérité.
-Et en plus, il semble que tes notes ont baissé dans presque toutes les matières !
-C'est bon, je me rattraperai au prochain trimestre, dit seulement Grigori.
-La question n'est pas là, fit remarquer sa mère. Tu as des soucis à l'école?
-Arrête de le materner, il fait seulement sa crise d'adolescence.
-Je ne fais pas de crise du tout, s'énerva Grigori.
-En attendant, tu ferais mieux de changer d'attitude !
-Ne me dis pas ce que je dois faire ! cria-t-il.
Il sentait la colère monter. Il avait le sentiment qu'il allait exploser d'une minute à l'autre.
-Et un peu que je vais te dire ce que tu dois faire ! Je suis ton père ! Et je ne vais pas me laisser parler sur ce ton par mon propre fils !
-Tu ne cherches même pas à comprendre ! Tout ce que tu sais faire c'est me crier dessus !
-Calmez-vous tous les deux, tenta de s'interposer sa mère.
-Ah, parce que tu as une bonne explication à nous fournir je suppose !
Grigori resta silencieux mais il bouillonnait intérieurement et son dos se mit à le lancer terriblement.
-Non évidemment ! continua son père. Tu veux juste défier l'autorité !
-C'est n'importe quoi ! s'emporta Grigori en se retournant pour quitter la pièce.
-Attends un peu ! l'interpella son père en lui saisissant le bras.
-Lâche-moi ! Tu me fais mal !
En se débattant, il bouscula sa mère qui tomba à la renverse et se cogna la tête contre la table basse.
-Maman !
Son père se précipita auprès d'elle.
-Ça va… je vais bien, bredouilla-t-elle en jetant un regard lourd de reproches à son fils.
Celui-ci n'osait plus bouger, il se sentait de plus en plus mal.
-Mais non tu saignes ! Tu vois ce que tu fais subir à ta mère ?!
Grigori était devenu tout rouge. La douleur dans son dos s'accentua et il grimaça.
-Qu'est-ce qui te prend ?!
-Arrête de me hurler dessus !
Sa respiration s'accéléra. Quelque chose de bizarre se passait en lui.
-Tu as vraiment changé ces derniers temps, lui reprocha sa mère.
-Arrêtez tous !! Arrêtez de dire ça !!
Il pouvait lire la déception sur leurs visages.
-Et arrêtez de me regarder comme ça ! Arrêtez !! ARRÊTEZ !!
Soudain, il se plia en deux et hurla, la tête dans les mains, alors que deux ailes immenses se déployaient dans son dos en déchirant son tee-shirt. Quand il se redressa et découvrit son visage, ses parents ne purent retenir un hoquet de surprise. Ses yeux étaient devenus entièrement noirs.
-Grigori ! Oh mon dieu, qu'est-ce qui t'arrive ? sanglota sa mère.
-C'est un monstre… tu es un monstre, répéta son père, sous le choc.
Affligé par la réaction de ses parents, Grigori se jeta à travers la fenêtre qui explosa en morceaux et s'envola dans le ciel. Il quitta la ville, survola des champs jusqu'à une forêt et se fraya un chemin à travers les arbres, filant à vive allure en faisant tourbillonner les feuilles mortes sur son passage.
Quelques minutes plus tard, il déboucha sur une falaise escarpée qui se jetait dans la mer. Il faisait nuit à présent et la lune éclairait une silhouette blanche qui se tenait devant lui. Vara. Il ne pouvait expliquer comment il avait pu la retrouver, c'était comme s'il avait été guidé jusqu'à elle. Ses cheveux et sa robe se balançaient dans le vent. Ses yeux étaient vides et froids et sa peau pâle comme la mort. Elle le fixait sans aucune émotion.
Grigori avança vers elle sans le vouloir. Il n'avait plus le contrôle de son corps. Surpris, il se vit s'arrêter face à elle et saisir l'objet qu'elle lui tendait. Une paire de ciseaux couverte de sang. Le sien.
-Non ! S'il te plaît ! supplia-t-il.
Mais son corps continuait à bouger contre son gré. Il s'agenouilla, se contorsionna et commença à découper une de ses ailes. La douleur était atroce mais il ne pouvait ni s'arrêter, ni crier. La première aile tomba au sol en éparpillant ses plumes, suivie quelques minutes plus tard par la seconde. Alors seulement, Grigori reprit le contrôle de son corps et laissa tomber les ciseaux sur le sol, pleurant et gémissant, le dos ensanglanté.
Vara s'agenouilla auprès de lui et posa une main sur son épaule. Il releva la tête et se retrouva nez-à-nez avec ses yeux sans vie qui le firent frissonner. Elle posa son autre main sur sa joue, une main glacée, puis lui saisit les bras pour le forcer à se mettre debout et l'entraîna au bord de la falaise.
Grigori vit en contrebas les vagues qui s'écrasaient avec force contre les rochers. Il se retourna vers Vara mais avant d'avoir pu ouvrir la bouche, elle posa ses mains sur son torse et le poussa doucement dans le vide. La dernière chose qu'il vit fut sa silhouette blanche surplombant la falaise avant d'être engloutit par la mer.