Elle qui me prend par surprise

bluemeteen

Je marche, tranquillement. Droit devant moi, sans me poser de questions, sans regarder derrière moi. Je marche inlassablement, un pied devant l'autre, et ça recommence, à l'infini. Mon cerveau n'ordonne plus rien, je suis une machine, un automate. Mon esprit et mon corps sont déconnectés, indépendants l'un de l'autre. Je ne sais pas où je vais, ni depuis combien de temps je marche. Le temps passe ou stagne, je n'en sais rien. Je n'ai plus aucune notion. Je suis seule, désespérément seule. Enfin, c'est ce que je crois. Tout est désert, noir, lugubre. La nuit m'enveloppe. Je marche. J'entend enfin le bruit de la mer au loin. Le bruit des vagues contre les falaises. L'odeur de sel et d'écume dans la nuit. Je la vois au loin, la falaise. A des centaines de mètres, j'aperçois les rochers, les vagues s'écrasant dessus. J'avance malgré tout. J'entends un bruit. Et là ... Elle surgit derrière moi. Cette créature ... Je n'ai rien senti, rien prémédité, elle me prend par derrière, elle me prend par surprise. Je n'ose plus bouger, plus respirer, je suis pétrifiée. Elle m'enlace de ses inombrables bras, trop nombreux pour que je puisse savoir combien ils sont. Elle me tient de tous les côtés, m'encercle, me serre, m'enlace, m'étouffe. Elle étouffe tout en moi:mon corps, ma tête et, je ne sais par quel miracle ou malédiction, mon esprit. Je ne bouge plus, mes jambes restent sur place. Je veux me défendre, mais je n'essaie pas. A quoi bon ? Je n'y arriverai pas. Je l'ai senti au moment où elle m'a touché. Elle est trop forte pour moi, ne me laissera jamais en paix, je ne peux pas lutter, je ne peux que me soumettre. Que va-t-elle faire de moi ? Je l'ignore, je ne peux que attendre. Mon corps ne bouge plus, mais mon âme ne tient plus en place. Mon coeur bat la chamade dans ma poitrine, si fort, tellement fort qu'un seul battement m'arrache un gémissement retenu de douleur. Mes jambes et mes bras me picotent, des fourmils m'envahissent. Mon estomac tombe au plus bas. J'ai la gorge sèche, comme si j'avais avalé une pilule à sec. Elle brise tout en moi, mon esprit, mes sens et même ma volonté et ma détermination. Elle ne veut pas me lâcher, elle ne me laisse pas partir. Je réfléchis. J'essaie de réfléchir. Je tente de réfléchir. Que dois-je faire pour qu'elle parte ? Que dois-je faire pour qu'elle me laisse ? Que dois-je faire pour qu'elle ne m'atteigne pas plus que ce qu'elle a déjà atteint en moi ? C'est à dire tout. Les minutes passent. Son étreinte ne se relâche pas. Je sens de l'air dans ma nuque. Je ne sais pas si c'est le vent, ou si c'est cette immense créature qui respire. Elle commence à bouger, tout doucement. Elle libère ma tête, mais s'accroche au reste. Je comprend tout à coup. Cette créature, immense et horrible soit elle, me laisse ma tête pour que je puisse réfléchir. Quelle genre de monstre fait ça ? Le genre de monstre qui n'en est pas totalement un, ou qui ne vous veut pas autant de mal qu'on pourrait le croire. Mes pensées et mes réflexions se libèrent en même temps que ma tête. Je sais ce que je dois faire. Mon esprit se relie à mon corps, mon cerveau à me jambes. Je commence à marcher, comme si de rien n'était, vers la falaise. Elle est toujours là, accrochée à moi, sur moi. En moi. J'ai l'impression qu'elle rentre en moi, qu'elle s'engouffre dans mon corps, qu'elle prend possession de moi. Elle entre par tous les pores de ma peau, par toutes les entrées qu'elle peut trouver. Elle s'immisce en moi, prend possession de chacun de mes organes. Elle n'est plus contre moi, elle est en moi. Nous ne faisons plus qu'un. Je suis elle et elle est moi. La douleur commence à s'atténuer à chaque pas que je fais. J'arrive au bord de la falaise, qui s'est par miracle calmée et qui offre à ma vue un spectacle silencieux, magnifique, irréel et lugubre, macabre. La bête féroce revient à la charge, tout à coup. Ses forces reprennent le dessus. Je ne suis plus rien, je suis son esclave, elle fera de moi ce qu'elle veut. Elle prend le contrôle de mes mains, de mes bras, de mes jambes, de mon corps. Mais elle laisse ma cervelle et mon esprit en paix, ou en conflit avec eux-mêmes. Pourquoi ? Pourquoi cette bête, si féroce, me laisse-t-elle le champs libre pour réfléchir. Je comprend soudain. Elle n'est pas là pour me tuer, pour m'achever, mais pour me retenir. Mais elle n'est pas assez forte. Il existe quelque chose de plus fort que cette bête: ma douleur. Celle que je ressens au plus profond de mes entrailles, à chacun de mes souffles, à chacun de mes gestes, à chacune de mes pensées, partout, tout le temps, sans relâche, toujours. Je sais. Je sais ce qu'il faut faire, je l'ai au fond de moi toujours su. La douleur prend le dessus sur la bête féroche qui m'enlace. Je vois l'eau au-dessous de moi. Je lève un pied, puis l'autre. Je ne sens plus rien, sauf le vent qui m'indique ma longue chute vers l'eau, ou plutôt vers quelque chose que je ne vois pas. La douleur n'est plus. La bête féroce m'a quitté, elle m'a laissée en paix. Elle qui m'a retenue, elle qui m'a étouffé, elle qui m'a immobilisé. Elle qui m'a pris par surprise. Cette créature. La peur.

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