émissaire

Vincent Vigneron

photographie de Richard Misrach


laissons le mâle au pré, il est vieux, il a servi comme il pouvait la cour ancestrale

ses sabots et ses cornes ont martelé chaque compte-à-rebours qui menait aux réjouissances

il mérite de sentir la longévité suer tranquillement dans l'herbe

les pauvres fanes et les légumes d'avant-hier lui sont jetés par la fenêtre

son corps comme un cadran solaire tout autour des couleurs au repos

vient bêler une heure, marquer une méridienne


retirons le mâle du pré

il n'est plus utile comme avant

les amphores brisées de la fête seraient encore trop grande faveur pour sa nourriture

regardez son anatomie, fresque bizarre de tendons

il ne tient pas la route et moins encore les virages d'une maison bien cossue

bien respectable


prenons le mâle du pré et chargeons-le d'un héritage

lourd d'un adultère, de trois vols à l'étalage

de la centaine de parjures d'une centaine d'habitants

chargeons-le donc dans le pick-up jusqu'aux portes du désert

pour faire bonne mesure une volée de gueules fusantes, de pierres nettes sur la carcasse

si jamais il fait mine de se retourner

de chercher le foyer et la brique tiède de son enclos

abruti de coups laissons-le galoper avec la faute

le temps que son regard dans l'azimut déréglé se perde pour de bon


et rentrons maintenant vers la civilisation


(tempête de sable)


notre bouc avance sans se démonter

aura-t-il un écho pour son sabot

alors que la fournaise le force à rétrécir

à se revoir franchement nu devant un feu de racines avec des cris grandioses qui le baignent

à peine sorti du placenta

d'un sac à sommeil provisoire

le voici au milieu du no man's land

nulle colline

pas de roche concave où le cuir est battu, attendri, pour poser sa tête

une silhouette simplement

un champ-contrechamp

une symétrie comme le visage allant boire se rencontre

une femelle venue d'un village lointain

ou une femelle lointaine venue d'un village

elle aussi chargée comme une mule de chimères

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