émissaire
Vincent Vigneron
laissons le mâle au pré, il est vieux, il a servi comme il pouvait la cour ancestrale
ses sabots et ses cornes ont martelé chaque compte-à-rebours qui menait aux réjouissances
il mérite de sentir la longévité suer tranquillement dans l'herbe
les pauvres fanes et les légumes d'avant-hier lui sont jetés par la fenêtre
son corps comme un cadran solaire tout autour des couleurs au repos
vient bêler une heure, marquer une méridienne
retirons le mâle du pré
il n'est plus utile comme avant
les amphores brisées de la fête seraient encore trop grande faveur pour sa nourriture
regardez son anatomie, fresque bizarre de tendons
il ne tient pas la route et moins encore les virages d'une maison bien cossue
bien respectable
prenons le mâle du pré et chargeons-le d'un héritage
lourd d'un adultère, de trois vols à l'étalage
de la centaine de parjures d'une centaine d'habitants
chargeons-le donc dans le pick-up jusqu'aux portes du désert
pour faire bonne mesure une volée de gueules fusantes, de pierres nettes sur la carcasse
si jamais il fait mine de se retourner
de chercher le foyer et la brique tiède de son enclos
abruti de coups laissons-le galoper avec la faute
le temps que son regard dans l'azimut déréglé se perde pour de bon
et rentrons maintenant vers la civilisation
(tempête de sable)
notre bouc avance sans se démonter
aura-t-il un écho pour son sabot
alors que la fournaise le force à rétrécir
à se revoir franchement nu devant un feu de racines avec des cris grandioses qui le baignent
à peine sorti du placenta
d'un sac à sommeil provisoire
le voici au milieu du no man's land
nulle colline
pas de roche concave où le cuir est battu, attendri, pour poser sa tête
une silhouette simplement
un champ-contrechamp
une symétrie comme le visage allant boire se rencontre
une femelle venue d'un village lointain
ou une femelle lointaine venue d'un village
elle aussi chargée comme une mule de chimères