Emotion-globine

franekbalboa

C'était une nuit noire et blanche. Noire et sans lune pour le ciel. Blanche et sans sommeil pour moi. Le temps était très clair, et le silence pesant. Une nuit d'été banale, où la torpeur m'usait autant qu'elle me tenait éveillé. Elle était accompagnée de douleurs lancinante dans une côte que je m'étais fêlée quelques jours plus tôt.
Tout était silencieux. Y compris la télé, sur laquelle je jouais sans conviction à un RPG japonais bien connu, en maudissant la météo et son surplus de degrés.
Il devait être une ou deux heures du matin, je me lève douloureusement pour prendre une infusion de cannelle, quand mon téléphone portable sonne.
Je regarde l'écran, un appel, inhabituel, et l'appelante était tout aussi inhabituelle. Non identifiée nominativement, mais un numéro que je connaissais par cœur. J'ignorais pourquoi elle m'appelait. Je décrochais malgré tout:
"Allo?
-Bonjour, euh, c'est Caro...
-Oui, je sais. Que se passe-t-il?
-Euh, je veux pas t'embêter... *sanglots*
-Tu m'embêtes pas, j'aurais pas décroché si c'était le cas. Tu le sais parfaitement.
-Je *sanglot* j'ai peur et j'ai froid...
-Dis-moi ce que tu as fait."
Elle pleura de plus belle. Mon ton était ferme. Je savais que je manquais de douceur, mais je souffrais énormément, j'étais épuisé par une ou deux nuits d'insomnie, et je n'ai pas toujours apprécié les coups de téléphone.
Elle pleura de nouveau de plus belle. Je me décidai.
"Tu es à ton appartement?
-Oui *sanglots* Je ... Tu ... Enfin... Je ... Tu peux venir?
-J'arrive d'ici vingt minutes."
Elle pleura encore quand je raccrochai le téléphone.
J'enfilai rapidement un ensemble dépareillé, et commença à descendre les escaliers. Je marchais très lentement, canne à la main, boitant énormément. Elle vivait à environ 500m de chez moi. Ma démarche claudicante me donnait des airs de grand blessé. La canne me fut d'une grande aide bien que je dus m'appuyer du côté de la côte douloureuse, intensifiant encore cette dernière. Arrivant sur place, je tapais le code que je connaissais par cœur et monta les marches lentement, jusqu'au second étage de l'immeuble amiénois. Tapant à la porte, j'entendis une voix sanglotante me dire d'entrer. En me voyant les larmes cessèrent de couler, je vis dans ses yeux verts clair une peur immense et une surprise de me voir. Son regard dévia sur la canne, le mien sur ses bras.
Elle commença à s'excuser, je levais la main pour la faire taire. Ses bras étaient lacérés, une lame de rasoir traînait sur le lit, ensanglantée. Elle était une habituée de le scarification, mais là elle ne s'était pas doutée que je viendrais. Peut-être avait-elle regretté son appel, je n'en sais rien. Elle se remit à pleurer alors que je laissais tomber la canne, et la relevais du lit, ce qui me demanda un effort colossal. Je la tirait vers sa salle d'eau et l'installa dans son bain. Je pris soin de désinfecter les coupures, je nettoyais délicatement chacune des fosses qui avaient été creusées par ce rasoir. Je ne dis pas un mot ce faisant, elle continuait de pleurer. Je lui installait des compresses, des bandes, de l'adhésif, des pansements de fortune. Une fois fini, je remarquais l'incroyable saleté de ses jambes. Je choisis de la dévêtir, elle ne fit pas un geste, ni ne protesta. Je saisis le pommeau de douche, et entreprit de nettoyer les jambes noircies de cette femme.
Après de longues minutes, je lui demandais enfin de se relever. Je n'aurais pas pu la lever de nouveau. Je saisis un drap de bain qui traînait par là, et épongea les jambes. Je pris un short de pyjama et lui enfilai. Toujours sans mot dire. Elle était très belle malgré tout, malgré cette scène d'horreur que j'avais vue. Son teint trop pâle jurait avec ses draps blancs maculés de sang. Nous changions les draps, et je l'installais alors dans le lit. J'étais lessivé, mais elle avait encore besoin de moi. Je m'assit à coté d'elle. Elle trouva la force de se relever, et me prit dans ses bras. Elle embrassa tendrement ma joue, les larmes toujours aux yeux, silencieuse. Je posais mon dos le long du mur, perclus de douleurs, et elle enserra mon buste, et s'allongea, la tête sur moi. Elle mit du temps à s'arrêter de pleurer, encore plus à s'endormir. J'eus l'impression que la nuit n'en finirait jamais, et aux premières lueurs du jour, alors qu'elle avait fermé les yeux depuis longtemps déjà, j'abandonnais mon corps, la douleur et la fatigue, et rejoint enfin Morphée pour un sommeil peu réparateur. Après quelques heures, je me réveillais, elle était alors auprès de moi, massant ma jambe endolorie avec une huile, ses cheveux châtains brillaient avec le soleil et lui donnaient une impression d'avoir une aura autour de la tête, ses yeux plongèrent dans les miens, j'avais été déshabillé, sans doute par elle pendant mon sommeil, et installé confortablement, elle s'était également changée. Elle avait mis un ensemble blanc, qui laissait l'impression d'avoir simplement des manches longues, mais c'était simplement ma vision douteuse sans mes lunettes, puisqu'en m'y attardant, je remarquai quelques traces rouges.
Un peu honteuse, très reconnaissante, enfin lucide, reposée, les bras bandés, elle murmura simplement:
"Merci pour cette nuit, rendors toi, tu sembles épuisé"
Elle veillait sur moi, je m'effondrais de nouveau et m'enfuis dans un sommeil noir.

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