Émotionnellement nue
enzogrimaldi7
Elle avance dans la ville la boule au ventre.
La chaleur l'incommode, la foule l'effraie.
La peur l'assaille, la lumière l'aveugle.
A l'aveuglette, elle tâtonne
dans un monde qui n'est pas le sien.
Sculpté à coups de décisions arbitraires
liées à une seule logique,
celle d'un illusoire profit.
Les cafés ne sont plus que des lieux exsangues,
les rues principales arborent
des enseignes absurdes
où l'artisanat a fait place à l'arnaquat.
Des tours sans fins symboles phalliques
d'une ville atrophiée barrent l'horizon
et les oiseaux meurent par millions.
Le pouls à 180, elle se fraye un chemin
d'ombres en ombres vers l'édifice promis.
La transaction, cruciale,
sera brève et primordiale.
Puis c'est le retour en sens inverse.
Le pouls est meilleur. La mission, accomplie.
Le soleil, moins envahissant.
Les sensations, plus soft:
le parking n'est plus très loin.
L'automate a fait son travail.
Le chèque est encaissé.
Le total avoirs est équilibré.
La voix métallique a déblatéré
son flot d'inepties.
La clim, seul réconfort polluant,
a investi les bronches.
Les portes glissières et les codes
ont été à l'unisson.
La lumière postiche a englouti les âmes.
Non sans mal elle atteint le sous-sol.
Entre deux odeurs acres.
Mélange de dioxyde de carbone
et d'urine jaunâtre.
La clim la sauve. Deux fois déjà.
Deux fois de trop pour la planète.
Elle s'engouffre dans son véhicule.
Piètre refuge ce pédoncule.
Mercedes conduit une BM.
Comme un pied de nez.
L'embouteillage bat son plein.
Son pouls remonte.
Les scooters dézinguent, frôlent, disparaissent.
Le feu est au vert mais la file est inerte.
L'hélico fredonne sa ritournelle.
Le paquebot dégaze. Le platane se meurt.
Mercedes est hypersensible. Elle ressent tout.
Puissance dix. Ses sens sont hypertrophiés.
Rien n'est à l'échelle des hsp.
Si ce n'est l'art. Si ce n'est le cinéma.
La littérature. La nature. Sans filtre.
Cent pour cent Stimuli. Tout le temps.
Une overdose des sens. Sensations aqueuses.
Acquisitions sentimentales.
Oblation continue.
Sauf que la souffrance est à vif.
Alors elle s'extrait du tambour
De la transe en permanence.
Oeillères vitales.
Mercedes est en confinement
quasi constant. Dans la ouate.
Avant de ressortir. Pour affronter leur monde.
Aphone mais assourdissant.
Morne mais aveuglant.
Vide mais vertigineux.
Sans arôme mais malodorant.
Emotive, elle s'oublie dans ses émotions.
Se perd dans Rimbaud.
S'arrime à ses vers libres.
Suit les pas du poète invincible.
S'arroge son accent, déroge à son aimant.
S'échappe dans ses rêves.
S'abime dans ses rimes.
Seule elle s'épanche.
Se retranche dans son habitacle étanche.
Se déshabille dans sa bulle.
S'éparpille, part en vrille.
Déchire sa dentelle. Lascive, elle l'appelle.
Soumise ou rebelle.
Peu importe, il faut qu'on la prenne.
Minuit quinze. L'heure de l'abandon.
Des frasques en jupons.
Des sérénades écarlates.
Du saut de l'ange.
Des copulations diaboliques.
Du chant des corps emmêlés.
Des aurores boréales.
Mercedes se cambre enfin.
Il l'allume. La fouille de ses puissances.
La renverse. La retourne.
Elle le chevauche, l'enfourche,
s'en entiche, se l'arrache. Se détache.
L'aube est là, elle s'en va.
Le soleil se lève. Le calme règne.
Silence. Moteur.