En attendant le Père Noël

laure-morganx

Une petite histoire de Noël façon moi...

– Maman, je veux faire pipi…

Je tire sur son manteau.

– Maman, je veux faire pipi !

– Chéri, ça peut pas attendre ?

Parfois, ma maman a de drôles de questions. Je sens dans ma zezette que j'ai envie de faire pipi. Si je me la tiens, je peux tenir des minutes ou des heures peut-être bien, j'en ai aucune idée. Malheureusement, en public, maman me gronde parce « qu'elle ne va pas tomber » dit-elle . À la maison, parfois, c'est trop tard, parfois c'est tout juste. J'en suis encore à la phase expérimentale. Alors là, dans la foule, sans pouvoir mettre ma main où il faut. Je peux toujours tester les tortillements mais sans aucune garantie de résultat.

– Je sais pas.

– Il faudrait que tu te retiennes mon cœur parce que si on est là, c'est pour toi, pour que tu voies le Père Noël. Si on quitte la file d'attente, d'autres enfants vont te passer devant et il faudra refaire la queue.

Plus grand, j'aurai peut-être pu lui répondre que là, l'urgence, c'était justement ma queue. Mais à 6 ans un quart, je manque cruellement de répartie, d'autant que je serre les fesses et me balance d'un pied à l'autre pour tenter de faire reculer l'inévitable. Pendant ce temps, ma maman poursuit en se tortillant également (si ça se trouve, elle aussi a envie) :

– Regarde, mon cœur, UN, DEUX, TROIS… nous sommes à la quatrième place avant que tu puisses monter sur les genoux du Père Noël. Ça va aller vite maintenant. Tu vas pouvoir lui dire ce que tu veux comme cadeau.

Elle se retourne, m'entraînant avec elle, ce qui n'arrange pas mes affaires et continue de me prendre à partie :

– Et regarde derrière nous ! Il y a au moins cinquante enfants qui attendent. Si je te conduis aux toilettes, on est bon pour… On ne verra même pas le Père Noël en fait, ça ferme à 19H, il est 18H mon ange. Faut que tu te retiennes. Tu peux te retenir ?

Elle me fixe d'un air bienveillant et interrogatif. Je lis l'angoisse dans ces yeux. Je sais quand ma maman est inquiète. Elle a ce léger froncement des sourcils et ces yeux d'où une larme peut couler à n'importe quel moment. Elle est chouette ma mère, sauf qu'elle pleure facilement. Papa dit que c'est un truc de gonzesse. Elle pleure même quand elle est contente !

– J'essaie maman, je suis pas sûr de réussir.

Du coup, comme je suis fort en calcul, je compte à l'envers, trois, deux… Je me mords les lèvres, tire sur mon pantalon. Enfin, il est en face de moi. Le père Noël ! Le vrai ! Parce qu'il y en a des faux, faut le savoir.

Le véritable père Noël a une barbe qui ne se décroche pas quand on tire dessus et il porte des lunettes. Je le sais, je l'ai rencontré l'année dernière. C'était pareil qu'aujourd'hui : avec Maman, on a fait les courses puis on les a déposées dans le coffre de la voiture et on est reparti dans le magasin pour le voir. C'était forcement le vrai parce que j'ai eu exactement ce que je voulais. Un sabre laser ! Pas un véritable sabre laser, non ! une imitation, bien sûr, pour faire semblant, comme dans la télévision.

Je suis sur les marches, un lutin me barre le passage parce qu'une petite fille de mon âge est déjà sur les genoux du Père Noël. Bientôt ce sera mon tour. Pourtant je ne pense qu'aux toilettes. Je crois que j'ai des milliards de pipi dans ma zezette. Je regarde derrière moi. Ils sont pleins à attendre pour lui chuchoter ce qu'ils veulent cette année parce qu'ils ont été presque sages. Je vais pas me faire dessus maintenant ! Oh la honte ! Et je ne peux pas partir maintenant, maman serait déçue.

Il a dû se passer 1000 ans. 1000 ans pendant lesquels je presse mon zizi. Au diable la bienséance ! Je prépare ma course, je suis prêt. Dès que la petite fille sera descendue, je courrai, sauterai, lui glisserai dans le creux de l'oreille le vélo de grand dont je rêve tant, puis, sans attendre, repartirai le plus dignement et rapidement possible jusqu'à ma maman qui me portera aux toilettes en un sprint digne des jeux olympiques.

Tout se déroule presque comme prévu. La fillette a rejoint sa mère derrière l'estrade et je m'apprête à bondir lorsqu'il me prend de vitesse. Tel un bolide rouge, il s'éjecte de son siège et s'élance à fond à travers la galerie marchande, nous abandonnant, ma mère et moi, seuls, devant tout le monde. Complètement hébétés, sous fond de Jingle bells, je sens une vague de chaleur envahir mon entrejambe et le désespoir emplir mon cœur. Le choc est tel qu'une flaque odorante se forme à mes pieds sans que mes tortillements puissent y faire grand-chose. J'implore ma mère du regard, désespéré. Elle me prend aussitôt dans ses bras et m'entraîne, trop tard, en direction des latrines.

Je suis tout mouillé, tout souillé. Mon visage et mon pantalon. Elle m'essuie tendrement et me fait des bisous.

– Pardon mon chéri, ho pardon, c'est de ma faute. Je, je ne pouvais pas deviner qu'il allait partir comme ça ! Mais qu'est-ce qu'il lui a pris au Père Noël ? C'est pas grave chéri. Je t'essuie et nous allons refaire la queue.

Elle finit de me débarbouiller le visage et m'enlève mon pantalon et mon slip pour les faire sécher dans la machine qui fait beaucoup de bruit et essuie mal les mains.

– Tu sais, le Père Noël est ici demain encore, enfin je crois, nous serons le 24, voyons, je vais vérifier les dates sur le panneau, nous pourrons revenir demain, j'espère, je vais essayer de finir plus tôt et puis, de toute façon, tu lui as écrit donc…

J'écoute sa voix qui ne cesse de parler, qui cherche à me rassurer et pourtant je sais que, plus jamais, je ne remonterai sur cette estrade. J'ai fait pipi devant des milliers de personnes. Je suis mortifié à vie.

Le bruit de la chasse d'eau me fait sursauter et je me colle, cul nu, contre la cuisse de ma mère. La porte s'ouvre avec brusquerie et il sort accompagné d'une odeur nauséabonde. Il marque un temps d'arrêt durant lequel il me fixe et tente un sourire bienveillant qui se crispe en une affreuse grimace de douleur. Ses mains se pressent sur son ventre rebondi. Il fait un pas en avant puis recule prestement.

La porte claque.

Le père Noël m'a vu les fesses à l'air. Le comble de l'humiliation. Pourtant, je relativise. Il y a beaucoup plus grave dans la vie ! Je viens juste d'en être le témoin !

Le père Noël a la gastro. Si ça se trouve, les cadeaux, cette année, c'est râpé !

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