En contre plongée

Fani Christine Ekome

Prologue: partie 2

Déjà trois ans que sa mère et son frère les avaient quittés son père et lui, et pourtant, il aurait aisément cru que ce fut la veille que l'orage avait eu raison de leur weekend au camping. Chaque moment lui revenait, de la chanson Like a butterfly de Simon Gregory que passait la radio, au regard affolé de sa mère alors qu'elle perdait peu à peu le contrôle du véhicule. Depuis, il ne se passait pas un jour, pas une nuit, sans qu'il ne pense à eux, sans qu'il se demande ce que serait sa vie si cet accident n'avait jamais eu lieu. Il se sentait seul sans Merrill, leurs parties de foot en binôme dans le parc, mais aussi moins en sécurité depuis qu'il n'était plus là pour veiller sur lui. Il avait moins de raison de sourire sans les taquineries de sa mère, il n'avait faim de rien depuis qu'il ne pouvait plus manger de ses plats à elle, c'était comme s'il était mort en même temps qu'eux, et qu'il vivait l'enfer, une éternité à contempler ce qu'était une vie sans eux.

Depuis qu'ils s'étaient retrouvés seuls son père et lui, leur relation, déjà très tendue, était allée en s'empirant jusqu'à ce qu'elle devienne quasi inexistante, ils se saluaient, s'échangeaient des « comment tu vas » et des « et ta journée », se disaient « bon appétit » et enfin, se souhaitaient « bonne nuit », s'en était devenu plus que monotone. Ces pensées le torturaient de plus en plus chaque jour, il en souffrait tant que des larmes auraient pu s'échapper de ses yeux en de gigantesques cascades salées, mais hélas, longtemps avait passé depuis que sa dernière larme avait perlée sur ses joues pâles sous le coup de grâce du chagrin.

Son réveil le sortit finalement de ses pensées, « pin…pin… », 6 :15 AM. Il poussa un soupire en passant une main tremblante dans sa chevelure châtain claire avant de saisir son sac à dos accroché à une patère près de son bureau. Doucement, il sortit de sa chambre, son sac en mains et le regard fixé sur le sol.

Le salon était immense, fait de murs blancs décorés de motifs floraux noirs et de meubles en bois vernis et de verre encastré, posés sur un sol où reposait un marbre blanc impeccablement poli. Aéré par quatre fenêtres coulissantes, il s'éclairait au fur et à mesure qu'avançait le jour. Un sofa en cuir noir de six place ornait le centre de la pièce et jouxtait deux autres sofas de quatre places chacun et deux grands fauteuils. Au milieu d'eux trônait une table basse en verre que décoraient de multiples bibelots en porcelaine à l'effigie d'animaux domestiques de toutes sortes. Ils faisaient partie de la décoration de la maison depuis son achat, à certains endroits, on pouvait voir des fissures, apparues avec le temps, et des morceaux manquants, résultat des quelques mille et unes espiègleries de Conrad et Merrill durant leur enfance.

En le voyant, Conrad, qui s'était arrêté dans les escaliers, se souvint de l'époque où ce même salon était coloré et décoré avec goût, ces trois dernières années, il avait viré progressivement au beige, au gris, puis, au noir, et n'avait pas bougé depuis. Lorsqu'il pénétra dans la pièce, Conrad trouva son père déjà habillé et chaussé, son corps svelte et longiligne recourbé sur une pile de dossiers, il feuilletait le contenu d'un classeur posé sur la table basse du salon, et jetait de temps à autres un œil sur sa montre, remettant inlassablement sa paire de lunettes de lecture en place. En voyant Conrad, il cessa toute activité et rangea ses documents, l'on aurait dit qu'il l'attendait :

 

_ Bonjour papa. Avait presque murmuré le jeune homme.

_ Bonjour, il fait frais dehors, tu devrais mettre quelque chose de plus chaud, avait bafouillé ce dernier en rangeant ses classeurs.

_ Ma veste est accrochée dans l'entrée, je la passerai en sortant, le rassura Conrad.

_ Bien, dans ce cas, allons-y. Avait-il simplement répondu en se levant.

 

Le trajet en voiture jusqu'au lycée se fit comme à l'accoutumé, Conrad les yeux rivés sur le paysage qui défilait de l'autre côté de la vitre, installé strictement dans le siège passager, tandis que son père fixait la route à travers le parebrise embué, les deux mains sur le volant, dans un silence mortuaire. Sur le chemin qu'empruntait la voiture jusqu'au lycée où apprenait Conrad, des dizaines de pâtés de maisons se succédaient sur quelques centaines de mètres, toutes semblables à la sienne, de grands murs blancs, un grand jardin, de belles fenêtres de verre et de grands garages d'où sortaient des voitures magnifiques. Puis, des magasins et des restaurants jonchaient le trottoir le long de la rue principale. Conrad laissait son regard aller et venir sur leurs murs, ricocher sur leurs couleurs et s'attarder sur les passants tous plus pressés les uns que les autres, tandis que la voiture tournait à gauche après la bibliothèque académique Charles & Matthew et, quelques mètres plus loin, Conrad vit apparaitre au loin les gigantesques murs vivement colorés de bleu et de vert qui constituaient les barreaux de la prison qu'était son lycée.

 

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