En hommage à
arthurm
Je m'étais dit qu'à force de répéter à qui voulait l'entendre qu'il existait un auteur, je ne sais plus son nom, qui avait réussi à écrire des chefs d'oeuvre sans jamais sortir de chez lui, au contraire de Kessel, London, Cook et autres.
Cet homme n'avait jamais dépassé le seuil de sa maison et c'est assis dans son salon, un salon cossu et somme toute banal, qu'il pondait, à un rythme propre à lui, de véritables pépites, sans jamais épuiser son imagination et son lecteur.
J'avais entendu dire qu'il était capable -pour preuve un de ses romans en était le thème- de raconter un bouquet de fleurs sur près de deux cents pages. Un simple bouquet.
En grandissant, cette histoire je m'en rendais compte se faisait de plus en plus diffuse, confuse dans mon esprit, car parait-il, à chaque fois que l'on touche à un souvenir, on le modifie quelque peu et ainsi, plus on l'utilise, plus on l'embellit. Alors phantasme et réalité se mêlent, s'emmêlent si bien qu'on ne peut plus trop discerner le vrai du faux dans tout ça. J'en arrivais à me dire, ne rencontrant personne qui avait eu connaissance de cet homme prodigieux, que peut-être l'avais-je tout bonnement inventé. ou, autre hypothèse probable, que je parlais comme d'un propre souvenir un personnage évoqué dans un livre lu, m'appropriant la vision d'un souvenir de personnage inventé par un personnage de récit, lui-même inventé par une autre personne que moi, à savoir l'auteur.
Cela ne serait pas la première fois qu'une telle chose se produirait et que la réalité et la fiction s'embrassent car si vous demandez à quelqu'un ce qu'est devenue Anna Karenine, il vous dira, des larmes aux yeux, que la malheureuse s'est suicidée en se jetant sous un train, non pas que Tolstoï l'a fait finir de façon tragique. Anna est donc bel et bien une réalité, dans une certaine réalité convenue par tous. Elle a dépassé la simple roman et il en va de même pour les feuilletons populaires de tele novela ou autres soaps. L'acteur qui joue Frémont dans "plus belle la vie" a déjà annoncé dans une interview que certaines personnes l'avaient insulté dans la rue pour ce qu'il faisait subir à ses filles à l'époque où celui-ci interprétait un salaud notoire.
Cette histoire me restait en travers de la gorge, car j'ai toujours été fier de ma mémoire. Que l'on m'aime ou pas, peu nombreux sont les gens ayant été capables de me mettre en défaut et qu'il s'agisse affectueusement de "Wiki-Wiki" ou, moins gentiment de "monsieur-je-sais-tout" on me demandait souvent des renseignements.
Cette histoire était donc devenue peu à peu une sorte d'obsession. Il me fallait retrouver la source de ce souvenir. J'aurais pu lancer sur Internet des hameçons, mais les recherches associées à plusieurs mots clefs ne donnent que rarement de très bons résultats et surtout, je n'avais pas envie de me retrouver face à un échec direct. L'occasion me fut donnée, en retournant pour quelque temps chez mes parents, de me pencher sur ce cas.
Dans ma chambre, une grande partie de ma première littérature, et, à la bibliothèque du village, une grande part de ce que j'avais pu lire en plus. Ce qui était délicat, c'est que ce que je prenais pour vérité vraie, s'il avait été écrit par un autre que moi de manière fictionnelle, serait contenu dans un passage n'excédant pas une demie page, une page, peut-être, et j'avais près de cinq cents livres, au bas mot, à analyser. En partant du principe que c'était dans un livre que j'avais entendu parler de la chose, et non pas à la télévision, par exemple.
Ainsi débuta ma recherche fondamentale sur l'existence d'un souvenir.
J'écartais d'emblée tous mes romans de fantasy, de science-fiction, d'heroic-fantasy, de medieval fantasy, mes bédés, mes pièces de théâtre, ce qui me laissait face à encore une bonne centaine de livres. S'il me fallait me lancer dans la bataille de ma mémoire, j'allais faire appel à ma mémoire et plutôt que de lire tout, j'ouvrais en divers passages, lisait quelques pages, cherchant tout au fond de moi les ramifications pour m'indiquer où aller chercher ensuite dans le livre, en avant ou en revenant vers le début. en trois semaines, j'avais épuisé la quasi totalité de ma bibliothèque et je n'avais pas trouvé la moindre trace probante. J'essayais, autant que possible, de ne pas penser à ce souvenir de peur de le pervertir encore, mais l'exercice mental de se concentrer sur quelque chose sans y penser est aussi évident que celui de s'endormir en pensant à ne pas penser.
De plus, il faut là le signaler, je ne pouvais pas me consacrer entièrement à ça, mon père, vieillissant, demandant sans cesse mon aide pour ci ou ça, sans parler des obligations familiales et/ou sociales. Je peux le dire aujourd'hui, je n'étais pas des plus affables ou aimable lorsque je devais quitter le chevet de mes études et je posais des questions, vagues mais pouvant m'indiquer des pistes, à mon entourage. Mais mon ton n'incitait pas à la réponse et il faut bien l'avouer, ils ne lisaient pas grand chose, ces incultes de première classe. Au moins avaient-ils l'intelligence de reconnaitre leur infériorité culturelle, se remettant d'ordinaire à moi sur ces sujets là, ce qui me flattait évidemment, mais ne m'était pas d'une grande aide pour le coup. Ils me ramenaient aussi, sans en avoir conscience, à ma propre faillite et cela ne contribuait pas à mon humeur.
Au bout de trois mois je dus me rendre à l'évidence, aucun de mes livres et de ce que j'avais cherché en eux ne contenait ce que justement, je cherchais.
Une chose m'embêtait à la bibliothèque. La personne en charge avait changé, et il allait falloir à la fois me réinscrire (et donc payer) et demander à cette personne ma fiche, afin de retrouver tous les livres que j'avais bien pu sortir. Sauf que justement, avec l'ancien bibliothécaire, un ami proche, n'étant pas inscrit, non seulement je ne prenais pas le nombre réglementaire de livres autorisés, mais ils n'étaient pas notés.
Je vais passer sous silence les semaines dans ce lieu, accompagné par les remarques affligeantes de pauvreté intellectuelles de la bénévole et les commentaires des habitués, que je connaissais depuis ma plus tendre enfance, qui, outre le fait qu'ils n'avaient jamais entendu parler de l'auteur de ma recherche, me posaient des questions sur ma vie professionnelle et sentimentales. L'obligation d'y répondre de manière courtoise était une torture, aussi avais-je développé des réponses toutes faites que je donnais, en les personnalisant, à mes interlocuteurs, leur faisant à la foi comprendre que ça ne les regardait pas et qu'il valait mieux qu'ils arrêtent de me parler, sous peine d'incident diplomatique.
Sachez juste une chose, là encore ce fut vain.
Cela virait au drame. J'avais perdu beaucoup de poids, j'avais le teint cireux, je fumais beaucoup trop, je buvais bien trop de café, pour ne pas parler de choses plus fortes. J'avais perdu le sommeil, moi qui n'était déjà pas un gros dormeur. j'avais commencé à faire de l'hypertension, développé un début d'ulcère et une visite forcée chez le médecin m'envoya à l'hôpital. En maison de repos, plus précisément.
Je rencontrais des gens charmants, comprenant oh combien l'objet de mes recherches et m'aidant de leur mieux et malgré -encore une fois mais le monde n'est-il composé que d'imbéciles quasiment analphabètes ?- leur ignare état béotien je faisais contre mauvaise fortune bon coeur et les drogues, n'y étant certainement pas pour rien, je partageais avec eux tant ma culture que l'objet de ma convoitise.
C'est alors que l'improbable s'est produit. Une délicieuse patiente, s'étant à coup sûr entiché de moi, m'a apporté un livre de son père, Higashi Kurosawa.
Ce livre, dès que je le vis, fut une révélation. Car c'était là, oui, c'était là que j'avais pour la première fois entendu parler de ce génie reclus, l'homme qui publiait sous le nom d'Albert Carmin, qui en réalité n'avait écrit qu'un seul ouvrage sous ce pseudonyme, car il allait, plus tard, embrasser un destin tout autre sous un patronyme connu de tous : Albert Camus.
Je vous livre ici un des passages, bousculant le style de mon propre texte en écourtant tout ce qui m'avait mené à lui : la lecture d'Higashi, l'attente pour sortir de ce séjour halluciné d'anxiolytiques, la recherche effrénée mais désormais touchant au but dans les moindres librairies du coin et le téléchargement final du livre, sur Internet, au lien que je fournirai à la fin.
Le voici, donc, ce joyau d'intimité, ce bijou d'intimisme, ce trésor de huis-clos, entre l'homme et la plante, destinée à faner mais qui vivrait pour toujours désormais dans le coeur des braves l'ayant déniché..
"(...) C'était lui et moi. Couple éphémère mais tellement charnel. Chaque fleur possédait son prénom. j'avais fait moi-même le vase dans lequel elles reposaient. J'avais moi-même planté les rosiers, voilà quelques années maintenant. Et à chaque printemps, à la période de leur renaissance, c'était toujours la même émotion. Chaque bouton, sur lequel chaque nuance, ci un rose pale et délicat, là un pourpre profond et passionné, chaque bordure du pétale ramenant à la courbe d'une femme représentait la perfection. L'aboutissement de plusieurs mois de maturation pour une éclosion sublime. j'en avais le souffle coupé. je laissais mon regard dériver, s'attarder sur le moindre détail. La tige, d'un vert émeraude parsemée de fines épines brunes, la sublimation des feuilles, brodées et dentelées si finement que c'en était non plus de l'Art mais un battement de coeur qui saute à chaque vision. Un souffle plus appuyé mais retenu, à chaque respiration de la fragrance subtile qui émanait et emplissait la pièce. en ces jours pourtant chauds, je n'ouvrais pas les fenêtres pur éviter tout risque de perdre ce parfum qui accompagnait mes nuits. Je rêvais d'elles, et au matin, c'est tremblant que je venais les voir, animé de cette peur fondée qu'un jour elles ne seraient plus, que chaque chose qu'elles furent ne serait plus que souvenir, que le deuil devrait s'accomplir et que d'autres viendraient les remplacer, dans ce même vase, à cette même place, me renversant encore et toujours. Dans la mort même elles sublimaient la vie. Point de moisi ou pestilence comme les autres, non, leur senteur se modifiait mais ne tarissait pas, les pétales tombaient avant leur soumission complète au vieillissement, dans l'automne de leur âge, encore tendres sous la pulpe des doigts, moelleux comme le souvenir d'un gâteau d'enfance. Mais je ne voulais pas y penser. L'eau de leur bain, tempérée et légèrement sucrée, était l'objet d'une attention profonde. Pour le préparer, et pour les préparer, elles, à affronter la survie de la taille pour mon bonheur, je commençais par (...)"
Comment ne pas s'émerveiller ? Comment ne pas avoir plus de gens qui s'accaparent ce texte ? J'ai continué mes recherches, et nulle-part je n'en ai trouvé mention, dans les pseudos livres apprenant les techniques de l'écriture, la recherche de l'inspiration ou même sur les techniques de travail, parfois spartiates, qui sont le lot d'un auteur ?
L'on parle, à raison, de "la poétique" d'Aristote, et de bien d'autres, mais je trouve cela dommage, et dommageable, qu'un auteur, fut-il un pseudonyme, ayant travaillé sur un roman sans autre matériel qu'un bouquet de roses mérite qu'on y porte une attention particulière.
J'étais ravi, et au fond de moi, un sentiment d'aboutissement avait remplacé cette lutte contre moi-même, cette arche perdue du souvenir que je n'avais finalement pas rêvé.
Le comportement de l'âme est décidément une chose à part.
Pour plus de renseignements, je vous invite à visiter ce lien, afin de, qui sait, télécharger de façon légale le manuscrit entier :
http://www.albertcarmin.fr/premiereedition/mon-bouquet-de-roses.fr/telecharger/556834
J'espère que vous n'en voudrez pas à certaines longueurs dans mon récit, qui ne visait finalement qu'à mettre en lumière la simplicité et la beauté de l'extrait retrouvé. C'est la première fois que je m'attelle à cet exercice et il a été éprouvant, d'une certaine façon, de reconstruire cette aventure qui ne fut pas de tout repos.
Encore une fois, et j'en terminerais dessus, je ne peux qu'appuyer la symbolique de ce texte et je vous invite à me dire ce que vous en pensez et si comme pour moi, cela a changé votre vison d'appréhender l'écriture, l'imagination et la simple vision d'une brassée de roses dans un vase, posé là, sur la table de votre salon ou que sais-je..