En mâle de dialogues

Charles Feit

A : Tu m’écoutes oui ou non ?

B : Mais oui, j’écoute, qu’est-ce que tu crois que je fais. Je suis là depuis une heure et j’ai que ça à faire t’écouter.

A : Mais dis-le, si je t’emmerde vas-y.

B : Mais non ça n’a rien à voir. La seule chose, c’est que moi aussi j’ai des problèmes, et moi aussi, je suis pas bien.

A : Et bah quoi, tes petits malheurs sont plus importants que les miens ?

B : Pfff, non j’ai pas dit ça, je dis simplement que oui je t’écoute, j’essaye de te répondre, de te conseiller, de comprendre tes problèmes …

A : Ah bon, et bien je trouve que t’as l’air un peu distrait, et justement, tu donnes pas l’impression d’écouter.

B : Ouais bah j’ai un peu lâché sur la fin j’avoue, mais…

A : Quoi, mais ? C’est bon j’ai compris, je t’emmerderai plus avec mes petits problèmes, puisque ça t’intéresse pas. Je pensais pas que t’étais égoïste à ce point, je suis vachement déçu.

B : Égoïste, je suis égoïste, mais tu te moques du monde, je t’écoute depuis une heure et c’est moi l’égoïste mais écoute-toi déjà, tu parles que de toi, tout le temps, toi toi toi, ta principale occupation est de parler de toi.

A : Sérieux, c’est degueulasse ce que tu fais. Je suis pas bien et tu m’enfonces encore plus. C’est un peu facile ce que tu fais. Je te signale au passage que pendant ton divorce, j’étais là, j’ai essayé de t’aider, j’ai écouté, et j’ai fermé ma gueule.

B : Mais attends, ça n’a rien à voir, tu compares mon divorce avec tes petits problèmes de cœur, sérieusement, c’est un blague ou quoi ?

A : Voilà, tu me reproches exactement, ce que tu fais là. Tu te fous de moi, oui c’est grave pour moi, mes petits problèmes de cœur comme tu dis et si tu comprends pas ça…

B : J’essaye de comprendre mais tu te prends la tête, avec tes analyses de tout, tu décortiques tous les comportements, le moindre mot, les petits gestes. C’est pas ça l’amour…

A : Ah bon, maintenant t’as des grandes idées sur l’amour ? T’écris des bouquins avec des conseils ?

B : Oh merde, tu me saoules, on peut pas discuter avec toi…

A : Ca fait une heure que j’essaye de discuter avec toi, mais pour discuter, il faut être deux, un qui parle, un qui écoute et puis on change les rôles, voilà c’est comme ça une discussion. Là, je parle dans le vide et tu me regardes, tu penses à autres choses,

B : J’en reviens pas que tu puisses comparer mon divorce, avec la fin de ta petite amourette à deux francs.

A : T’es encore là-dessus ?

B : Oui, je suis toujours là-dessus car tu compares des trucs incomparables, et … et, de toute façon tu peux pas comprendre.

A : Ah ouais, ok je peux pas comprendre, il faut être marié et divorcé pour savoir ce que c’est l’amour et la souffrance de la perte de l’autre, c’est ça ? Mais tu crois quoi ?

B : Oui, je pense que si tu t’engages pour la vie et bien quand tout s’arrête c’est beaucoup plus dur et ça tu peux pas le comprendre si tu l’as pas vécu.

A : Mais je te parle d’amour tu réponds divorce. Je dis pas que ça n’a rien à voir, mais simplement que le divorce je m’enfous, ce qui est dur c’est de se rendre compte qu’il n’y a plus d’amour, et …

B : Le divorce c’est le déchirement total, les avocats s’en mêlent, tout le monde donne son avis, sur ce que tu dois faire, la femme que tu as aimé devient ton ennemi et te déteste…

A : Mais je te parle d’amour tu comprends ce que je te dis, je te parle de la fin de l’amour à quel point il est difficile de se dire que l’être aimé a disparu et comment comprendre pourquoi tout s’arrête.

B : Je dis simplement que quand j’ai dû venir chercher mes meubles dans ce qui fut notre appartement et bien c’est que j’ai vécu de plus dur de ma vie, et se battre pour savoir si les CD de Radiohead sont à moi ou à elle, et bien je peux te dire que c’est horrible, moi-même je ne me reconnaissais plus.

A : Je comprends pas comment j’en suis arrivé là, quand je la regarde, je ressens plus rien, il y a encore quelques semaines, elle m’excitait, elle me faisait rêver, rire, pleurer, j’étais jaloux et fier d’elle, et maintenant rien, tout ça a disparu si rapidement, je peux pas comprendre comment ça m’arrive à moi.

B : Ouais, moi, j’ai chialé dans le camion en bas de chez moi, avec mes quelques meubles, ma télé, je devais emmener tout ça dans un ridicule studio, que j’avais loué en vitesse. J’étais une merde.

A : Ouais, moi, hier, je suis rentré, elle était en petite culotte dans l’appartement, elle traversait les pièces en téléphonant, et je suis resté planté là, sur le paillasson à la regarder, et je me disais merde, je suis plus amoureux de cette fille…

B : J’étais une merdre à la première confrontation avec les avocats, sans le mien, je me faisais bouffer tout cru par cette poufiasse, et…

A : Hein ? Poufiasse, mais de quoi tu parles, tu m’écoutes ?

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