En mode Brel

caroline--2

D'abord

Il y a celui qui marche

Et qui marche sans cesse

Les pieds sales et le corps 

Usé comme sa veste

Qu'est trop grande et qui pue

Lui

Qu'en a plus rien a faire

De nos regards tordus

Que la masse indiffère

Que la meute rend fou

Qui ne sait plus trés bien

S'il tient vraiment debout

Lui qui traîne au hasard

Prés dla gare saint lazare

Et qui parle tout seul

Et qu'on prend pour un fou

Lui qui s'endort par terre

Et même en plein hiver

Et qu'importent les flaques

De pisse du chien d'en face

Qu'on traite mieux que lui

Qui bouffe mieux que lui

Que l'on caresse parfois

Lui qui vivait, madame, 

Bien mieux que vous et moi

Lui qu'on appelais pas

Autrement que monsieur, autrefois

Lui qui a

Une maison et une femme

Belle et vide madame

Comme une coquille vide

Lui qui tous les matinis

S'en allait au turbin

Tout rempli de chagrin

Mais le coeur un peu fier

D'être quelqu'un de bien

Lui qu'a perdu sa vie

Et qui se laisse aller

Et lui qui me ressemble

Bien plus que vous, madame

Vous qui pensez tout bas

Et qui mentez tout haut

Lui il se fou de tout

Il n'a plus rien à perdre

Car il est libre enfin

Libre dans sa misère

Et moi je voudrais bien

Que s'ouvre en deux la terre

Pour m'allonger dedans

Et puis dormir enfin...

Car moi je suis, madame,

Un peu comme vous peut être

Courbée comme ces êtres

Qui ne tiennent plus debout

Et ne dorment plus du tout

Sans s'enfumer la gueule

A force de paraitre

Lui il me regardais

Avec ses yeux de fous

Il me gueulait tout haut

Quand je rentrais chez moi

Des phrases d'alcoolo

Des vérités, madame,

Que l'on garde pour soi

Quand on est bien dressé

Il disait que la vie

Est une chienne en chaleur

Qui vous léche et vous jette

Quand est passée l'envie 

Vous laissant comme en manque

De je ne sais troo quoi

Vous laissant comme un manque

De je ne sais trop qui

Alors je le regarde

Avec mes yeux d'aveugle

Et je vois bien madame

Que sa raison à lui

C'est la folie des autres

Et moi madame j'ai peur

Et je lui passe devant

Et je contourne son flanc

Avachi devant moi

Moi qui suis un peu lâche

Mais préfère ça encore

Que regarder son corps

Qui meurt ici par terre

De notre indifférence

Et de trop de misère

Car moi je suis usée

Usée comme une vieille

Qu'a les yeux délavés

A force de veiller

Moi qu'ai trop bu la veille

Et que ça fait marrer

Moi qui comme nous tous

Y croit quand même un peu

Que ça en vaut la peine

D'essayer d'être heureux

Autrement que tout seul

Sans penser qu'à sa gueule...

Il faut vous dire, madame,

Que c'est ainsi, chez nous

Que l'on ne peut se battre

Envers et contre tout

Et puis tenir debout

Sans vaciller, madame, 

Ni passer pour un fou...

Il faut vous dire, madame,

Que c'est ainsi, chez nous.

Signaler ce texte