en périphérie de vous

hectorvugo

Je n’ai pas pour habitude de m’étendre sur ce qui fait le sel de  ma souffrance. Je trouve l’exercice trop impudique pour vous infliger la lecture d’un récit autobiographique.

Pour autant il faut que vous sachiez ce à quoi se rapporte l’origine de ce condiment intime issu de l’océan.

Quel océan au juste ?

Une mer démontée de joies, de drames dont vous êtes la colonne vertébrale.

L’ostéopathie de l’amour veut que les tensions du cœur se traduisent ailleurs et font, qu’au bout de compte, elles s’installent insidieusement dans le corps tout entier.

Le mien est en tétanie depuis de nombreuses années, au point de ne plus transmettre la moindre émotion sentimentale. Un peu comme les oueds asséchés du désert de l’atlas qui attendent désespérément que le déluge les délivre de l’aridité dans laquelle ils sont.

J’attends la pluie depuis si longtemps.

Depuis que je vous ai vu ce jour de juin. Depuis que j’ai su instantanément que je serai incapable de vous rejoindre puisqu’en périphérie.

Etre en périphérie de quelqu’un, vous ne savez pas ce que c’est. L’apercevoir sur une route parallèle à la vôtre, lui faire des appels de phares pour être remarqué.

Et pourtant, vous avez répondu à ces appels-là, car vous avez la disponibilité des gens aimables ainsi que leur conversation.

J’ai pu m’en rendre compte ce jour de juin.

A la jointure exacte du jour et de la nuit, dans ces moments étranges où la lumière se fait timide et pose sur nos visages, un masque de beauté. J’ignore encore si le mien mérite cette qualification. On est toujours le beau ou le laid de quelqu’un. Je me raccroche à cette citation philosophique sans trop y croire.

Ma foi s’est éventée au fil du temps. Pas celle en vous.

Retour en arrière. Nous étions le 20 juin précisément, à 24 heures de l’été. La température extérieure était 25 degrés, la mienne avoisinait les 38.

Un détail me le prouva : la moiteur de ma main droite. Etait-ce pour cela que je ne vous l’avais pas serrée ? Sans doute. Alors pourquoi avoir répondu aux avances de votre joue ? Pourquoi l’avoir embrassée ? Moi qui ne suis pas adepte de ces emportements buccaux. Sauf avec mes proches, les vrais, pas ceux que l’on caresse dans le sens du poil par besoin de paraitre. Je ne confonds pas amour et publicité. Jamais.

J’eus le plaisir de toucher votre peau. Je l’avoue. Et le souvenir de son parfum, de sa douceur s’est inscrit en moi. Si bien qu’il tient une place à part dans ma bibliothèque sensorielle.

Vous l’ai-je dit un jour ? Non

Vous aviez ouvert les hostilités entre nous par une question bien embarrassante, une de celles qui contient la réponse en son sein.

-          Nous nous sommes connus à l’université je crois ?

Par politesse je vous avais dit oui. C’était donc pour cela que vous m’aviez embrassé. Pour justifier une supposée amitié estudiantine. Vous étiez de ces femmes dont on n’esquivait pas la proximité. On adorait l’assumer, rien que pour faire enrager les autres.

Et les autres enrageaient, pour sur.

Votre mari en premier lieu.

Mais comme tous les membres de l’assemblée, votre homme affichait une humeur joviale trahie par une poignée de main agressive qu’il m’adressa.

Il me broya la main droite puis vous enlaça tendrement. On ne pouvait plus douter de votre couple en dépit des commentaires qui ici et là vous disaient en crise larvée.

-          Agathe, l’organisatrice la soirée, m’avait pris à part : Ne t’approche pas de Claire, son mari est jaloux. Il a le bras le long

-          C’est elle qui m’a accosté

-          C’est pire.

Par souci de discrétion, j’avais pris mes distances et vous observais de loin. Déjà en périphérie.

J’avais intégré un groupe de férus d’art, opinant parfois du chef devant leurs affirmations.

À 3 heures du matin j’avais quitté ce beau monde et regagné mon appartement.

Un quart d’heure de marche, deux étages à gravir me séparaient du sommeil.

Je ne dormis pas cette nuit-là, intrigué par la fenêtre d’en face, par deux ombres qui se débattaient. Un homme et une femme.

Etait-ce de la haine, de l’amour ou bien un jeu hybride entre eux ? Je l’ignorais. Mais devait-on passer par là pour éprouver encore du désir ? Ça me dépassait un peu.

Après moult chorégraphies, l’homme donna une claque à sa partenaire puis quitta le lit pour finir sa nuit dans le salon.

L’aube allait se lever.

A midi j’eus la stupeur de vous voir sortir de l’immeuble d’en face au bras de votre mari. Vous portiez des lunettes noires. Une rustine médicale collée sur votre joue vous donnait des airs de poupées endommagées.

-          Dans l’après-midi je reçus un appel d’Agathe : «  J’ai donné ton numéro de portable à Claire »

Une heure plus tard, je reçus un texto de votre part : C’est Claire. Pouvons-nous, nous rencontrer ? J’ai besoin de dire à quelqu’un que je suis malheureuse

Un rendez-vous s’en suivit dans un bar lounge de la capitale.

J’avais prêté mon oreille à votre confession et me trouva bien impuissant devant vos pleurs.

Vous vouliez le quitter mais vous ne pouviez pas, voilà en résumé ce que j’avais entendu.

Je vous avais encouragé à passer à l’acte. On se voyait une fois par semaine au même endroit. Je remarquais l’évolution de cette envie timide puis de plus en plus affirmée. Oui vous alliez le quitter pour de bon.

Un soir de juillet j’avais veillé à votre fenêtre et attendu que vos ombres se touchassent encore. Il n’y eut aucun corps à corps. Le lendemain matin, je vous vis valise en main, traverser la rue et rejoindre un hôtel deux étoiles.

Vous y êtes morte le 19 août 2003, étranglée par votre mari.

Depuis ce jour je regrette n’avoir rien dit ou fait qui ait changé la face de cette histoire.

Cela m’aurait sans doute donné l’occasion de vous aimer vraiment.

Et pas qu’en périphérie de vous.

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