En quatre actes
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Premier acte
L'acte de la mise à nu, de la déclaration, de l'ouverture. Sans lui, rien n'est possible. L'acte que jamais ne connaîtront les lâches, les charognards, les petites gens. Il ne s'adapte à aucun carcan, à aucun formalisme. C'est un coup de sang. C'est un battement de coeur. Je l'appelle "Un vent de papillons".
Elle vit un vers sucré tout habillé de bulles
Pleurer de sombres fleurs dans l'encre de son dos.
Glacée par les pétales de cette tarentule,
Elle plia le poème pour en faire son bateau.
Le drapeau plein de sève et la proue ruisselante
De nectar et d'alcool, le navire s'enroula
Sur le corps de la belle dans une danse lente,
Langoureuse, étoilée, jusqu'au bout de son mât.
De son souffle léger elle gonfla la voilure
De son tendre équipage qui sema le parfum
De son cou, ses poignets, le reflet des embruns
De ses tristes opales, la note claire et pure
De sa voix-confiture. Un vent de papillons
Lui embrassa le ventre doux, blanc, chaud, paresseux.
Heureuse, la princesse offrit son nimbe de rayons
Au tatouage, au poème... Au bateau amoureux.
Deuxième acte
L'acte de la mise à l'épreuve, du mépris, de la moquerie, de la fermeture. Sans lui, il n'y a pas de combat, pas de cour, pas de séduction. Il ne laisse pas présager de l'issue. Il dit juste que ce sera long et douloureux. Sa forme s'inscrit dans la restriction, la discipline, pour ne pas se laisser submerger, pour canaliser les gestes et le sang. Je l'appelle "Et tout en souriant".
Les doigts gantés du temps ont laissé du charbon
Dans les cernes de l'ange, comme si les années,
Lasses de ne pouvoir flétrir ses giroflées,
S'étaient parées de suie pour salir le Pardon.
Allongé sur ses ailes dans un lit de carton,
L'ange a les yeux rivés sur les voies éclairées
Que dessinent les bougies sur les lointains plafonds,
Les pupilles happées par les ombres percées.
Une bulle frissonne sensible à tous les sons,
Les rêves, les signes, les mots qu'elle a imaginés
Mais qu'elle ne respire plus comme des fleurs-affronts.
Elle descend de ses airs comme un soleil noyé,
Enferme, hisse l'ange dans son corps de savon,
Et tout en souriant, le ligote au buffet.
Troisième acte
L'acte du combat, du renouveau, de l'espoir. Sans lui, il n'y a pas d'issue heureuse possible, pas de bonheur à deux, pas de fierté envisageable. Il n'a pour seule raison d'être qu'un amour profond, durable, tenace. Il annonce l'éminence de la fin. Plus que jamais, c'est la vie contre la mort dans une forme contenue, réduite à un seul homme, réduite à un seul sonnet . Je l'appelle "Le début d'un voyage".
Une fin de voyage a de tendres saveurs.
Comme un soleil trop mûr dont la pulpe écarlate
Se gonfle d'eau de pluie, la mémoire se dilate,
Efface ses remords et dénude ses pudeurs.
La guerre et l'abandon tricotent avec les heures
Un lierre sans repères au sein duquel éclatent
Les baisers dégrisants comme des fleurs en nattes
Et les doux courriers comme des traits dans le coeur.
La bulle vole encore. Ses envies et ses peurs,
Ses souffles de savon, ses errances sans hâte,
Ses gestes de princesse, ses bouffées de frayeur,
Tout est peint dans l'encre et respire à l'intérieur.
Ses opales brillantes pleuvent sur l'ange mat...
Le début d'un voyage a d'exquises couleurs.
Quatrième et dernier acte
L'acte du dénouement, de la défaite, de la mise à mort de l'amoureux et avec elle l'abandon d'un amour orphelin. C'est l'acte dernier, il n'y a pas de boîte magique, pas d'horizon, rien d'autre que la victoire simple et définitive de la lente putréfaction. Celle qui reste est insensible, froide et tranquille. Celle qui reste connaîtra d'autres actes. Elle les attend. Mais pour cet amour-là, c'est la fin de l'histoire. Je l'appelle "Dans les plumes au sol".
Les secondes liquides ont baigné son espoir,
Ont coulé sur son coeur et ont trempé ses yeux,
Le voyage a duré le temps de peindre pour le soir
Sa muette prière et ses tristes adieux.
Les ailes de l'ange se sont fardées de noir
Et ses plumes fânées jonchent les mornes lieux
De sa mise au supplice, épinglé dans les cieux,
Saigné d'avoir aimé sans jamais émouvoir.
La bulle s'est lassée de ses larmes, de ses feux,
De ses braves promettre et de ses vains savoirs,
Méprisant la richesse de ses êtres et avoirs.
Elle garotte dans l'air d'un infectieux foulard
La tête de l'ange et tue l'homme déjà bleu...
Dans les plumes au sol, elle se repose un peu.