En quoi est-ce l'angoisse?

nambul

Le souffle court, je tente une percée dans un décor qui bascule. Trouver la source pour mieux lutter, l'issue des angoisses n'a rien d'évident. Vertiges incessants, c'est assez il faut retisser le lien entre mes jambes et mon cerveau, que tout ne se dérobe plus, que je sache où j'en suis. Ça goutte, c'est moite, c'est sueur et hurlements silencieux, c'est un cycle vicieux d'une poignée de secondes qui se répète, se répète, se répète, que je subis sans une once de contrôle et m'acharne sans succès à tenter de rompre. C'est la toute-puissance des échéances devant lesquelles je m'écrase bien qu'au fond, on peut en rire, c'est un impératif que je me suis imposé et que j'érige en jugement dernier, parce que je suis ma panique, je la façonne, la travaille à travers une infinité de détails et l'enfouis, la compresse et l'étouffe pour qu'elle éclate en nocturne et sans témoins, même si une fois passée je n'en tire aucune leçon, ravale la bile et cache le tout au fond de la gorge. Ils ont voulu m'aider, des réconforts en forme de comprimés, des trucs pour s'assurer de plus craquer, mais l'idée de tout noyer dans un compartiment à refoulement n'a fait que m'angoisser. Névrosé condamné, il suffit d'assumer, de se persuader qu'au fond on sait ce que c'est, ce que ça fait là, qu'on l'entretient parce qu'on sait pas faire sans.

Toute la peur que je suis, je l'ai montrée à Quentin, qui quand la nausée survient parvient à tout calmer, à remettre en place les éléments qui font que je suis ce petit bout de chose dans l'espace, le temps et hors névrose. Il rit de tout, de moi surtout, comme une formule qui résout tout, rebouche les trous et te rappelle que demain, peut-être, il fera beau. Rentrant du boulot, il balourde son sac à dos, et dans ses yeux mi-clos luit la haine du guerrier cerné par les lâches, prêt à en découdre d'un simple coup de hache tandis que moi, stupide studieux, nage dans mes feuilles et m'acharne à la tâche des étudiants, tout en sachant le grand rien qui m'attend puisque lui est déjà dedans. Il monte les marches, d'un pas lourd de colère, m'appelle Bobby et me tend une bière, je lève un regard sans doute trop vide, attrape la bouteille et dans un éclat de rire intérieur tire le plus grand trait possible sur mes cours de la veille. Moi dans la fac, lui dans le fast-food, on se soutient, on se maintient et surtout on se serre les coudes comme deux frangins qui seront épaves à peine adultes et qui le savent : au fond il y a l'abîme, où reposent les parents après trente ans de courbe-échine, quand un divorce ou une lettre de licenciement annihilent toute envie de voir, de connaître, et transforment, le temps d'un battement de cils, le monde en un dégradé de noir, en une source de mal-être. Aucune inspiration dans le Prozac, si je le vois venir de loin j'aime autant regarder ailleurs, vider mon sac sous son air railleur et inverser les rôles, l'entendre se plaindre et compatir avant de trouver ça drôle, rire pour pas m'éteindre et ne surtout pas peser nos paroles, on garde ça pour dehors.

On buvait des coups le soir avec le secret espoir que ça soignerait ma peur du noir mais quand j'y pense, c'est pas tant le noir que le silence qui créait l'effroi et changeait mes minutes de sommeil en longues heures de désarroi. Pas la bonne solution pour des nuits sereines, j'ai délaissé la dissolution quotidienne et compris que les vertiges valaient mieux que la gangrène. Je m'endormais dans le bruit, laissant tourner l'ordinateur, lançant un film ou un album pour rythmer ma nuit d'un cri infini de ventilateur, ça ne marchait pas trop mal mais au final l'astuce devint addiction et je me sentais un peu minable de partager mon pieu avec un tas de puces et de câbles, à vingt piges avouons-le on peut faire mieux.

Une fois rentré, j'errais dans cet appartement en centre-ville, relisais mes cours, ponctuant la séance de travail de quelques notes de guitare, grattant comme un sourd les jours de nerfs fragiles, ou encore trompais mon ennui sur quelque jeu débile, attendant que l'autre fêtard se décide à revenir. Je l'aimais bien l'appart, tout en hauteur avec de bas en haut cuisine, piaule-salle-de-bain-chiottes, et re-piaule, je tournais vite en rond dans une maison sans portes mais ça avait son charme de s'ennuyer en colimaçon et puis j'étais jamais seul bien longtemps, colocation salutaire, l'humeur en dents de scie mais les deux pieds sur terre et c'était le plus important. On a fait venir des filles, quelques histoires rarement d'amour, qui au pire partaient en vrille et au mieux tournaient court, des esquisses de romance pour s'occuper l'esprit mais pas de quoi se remplir la panse de bons sentiments. Histoire d'occuper les deux places du lit, d'aménager l'espace et parfois émergeait la poésie. Mais à la fin nous étions seuls, qu'importe le passage qui faisait vivre ces deux étages, les murs restaient marqués par l'éphémère et les rires lointains des grandes gueules.

Ainsi deux ans ont passé avant que je ne me décide à vider les lieux, à effacer ma présence trace après trace, à libérer l'espace, à le neutraliser afin qu'un autre puisse prendre ma place. Quentin n'a pas quitté son travail malgré ses menaces répétées et moi je me suis enfui un peu plus loin, un nouvel appart' à habiter dans un coin incertain, la peur de m'y casser les dents mais l'envie de m'y risquer, jouer à être un autre et voir où ça m'emmène, aller au bout même démasqué et faire de ma tête une boîte sereine. Alors commence l'histoire, celle, peu palpitante, des sorties du soir, des nouvelles rencontres qui ne remplacent pas ce qu'il y a derrière mais qui m'obligent à tourner le regard, à saluer ces nouvelles têtes qui se montrent, je commence à remplir les pages restées blanches trop longtemps, à forger et à sculpter la mélasse dans laquelle est englué mon cerveau, à contrôler ce corps qui flanche et qui se lasse des abus quotidiens.

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