Encore un effort !

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Moquerie qui fait du bien à l'endroit des nouveaux médecins de Molière : les sociologues.

Lycée Les Colombes

une leçon citoyenne de leadership partagé


Créé en 1923, le lycée Les Colombes, à Gagny, a longtemps fait figure de parangon des écoles à l'ancienne. Autoritaires et despotiques, ses différents proviseurs ont longtemps tenu sous leur joug un personnel enseignant qui cherchait pourtant à exprimer sa voix et à faire valoir ses compétences pédagogiques. A l'initiative de Matthieu Kassos, jeune sociologue de terrain, et de Rémy Pleggie, nommé directeur de l'établissement en 2022, les choses ont bien changé. Cet exemple illustre la capacité des jeunes à prendre en main leur destin, à valoriser leurs compétences intrinsèques et à dessiner pour l'avenir une organisation sociale plus humaine, fondée sur le leadership partagée autour d'une activité fédératrice et mobilisatrice.

La genèse

En Seine Saint-Denis, le taux de scolarisation atteint 100 %. Ce formidable résultat social s'accompagne, malheureusement, d'un niveau d'échec au bac de près de 12 %, très en dessous de la moyenne nationale. Entre les années 1980 et 2020, les pouvoirs publics et les pouvoirs enseignants ont exercé un leadership contraignant qui a bridé la créativité naturelle des jeunes élèves. Lorsque Matthieu Kassos est arrivé sur le terrain, à la demande de Rémy Pleggie, qui souhaitait rénover l'approche scolaire des publics réputés moins faciles, le jeune sociologue a rapidement pointé du doigt l'origine des difficultés que rencontraient la plupart des lycéens : « Nous ne parlions pas la même langue. Mon premier contact avec les jeunes de la cité qui constituaient l'essentiel des élèves du lycée a été un peu rude. J'étais, il est vrai, le représentant d'une société blanche et sûre de soi qui les excluait systématiquement. Mais, au bout de trois semaines, à ma sortie de l'hôpital, je me suis adapté et les choses se sont arrangées. Farid, un des élèves de terminale, m'a mis au diapason des règles locales, érigées en résistance contre une société foncièrement laïque et, de fait, intolérante à l'islam. « Tu dois prêter ta diligence à l'émir Ifik en bon uniforme » m'a-t-il expliqué, avec un remarquable esprit de collaboration. C'est donc en djellaba que je me suis rendu auprès de Tahir Ifik, élève de terminale qu'il m'avait été impossible de croiser au lycée dont ses activités le retenaient éloigné ».

Favoriser l'expression créative

« Fort de cette rencontre et désormais assuré du soutien collaboratif de l'émir Ifik dont j'avais juré sur le coran de devenir le client régulier, précise le jeune sociologue, j'ai pu affiner mon analyse et identifier les raisons du désintérêt relatif de mes interlocuteurs pour l'école ». Pour Matthieu Kassoz, les choses sont claires : ces jeunes sont les victimes d'un système qui écrase injustement leur potentiel d'entrepreneurs. La plupart ont d'ailleurs été renvoyés, à court ou long terme, du lycée pour vente de produits illicites. « Ce sont pourtant des commerciaux extraordinaires, constate le jeune sociologue. Personne ne refuse d'acheter leurs produits, c'est dire. Ils font preuve d'une conscience de classe très élevée pour leur âge. S'ils ont bien un chef formel, l'émir Ifik, celui-ci n'interfère en rien dans leurs affaires. Son avis est consultatif et il se contente de 50 % de leurs bénéfices. Ensemble, animés par un véritable esprit de collaboration et de partage du leadership, ces jeunes exercent à tour de rôle la responsabilité d'organiser à un go-fast à Amsterdam, choisissent ensemble leurs nouvelles gammes de produits et se partagent démocratiquement les fruits de leur commerce ». Fort de ce constat optimiste, Matthieu Kassos et Rémy Pleggie décident, en 2022, d'appliquer ces règles de leadership partagé au sein de l'école Les Colombes. Le leadership fraternellement partagé Jusqu'alors, le professeur en charge des cours avait toute autorité sur les élèves. Il incarnait la figure de pouvoir et l'exerçait le plus souvent jusqu'à traumatiser les élèves, brisés dans leur découverte du jeu démocratique. Le professeur était au centre de tout, seul son savoir comptait et les élèves n'avaient pas voix au chapitre. Dans l'incapacité d'exprimer leur personnalité profonde et d'opposer à un discours normatif la fraîcheur de leur spontanéité naturelle, les élèves décrochaient et se réfugiaient, pour certains, dans le salafisme, leur seule planche de salut dans un occident dominateur et laïc. Appuyés par une équipe enseignante mobilisée et très engagée, le jeune sociologue et le nouveau directeur de l'établissement ont veillé à faire évoluer ce dispositif contre-productif. Déclarant nul et non avenu le leadership autoritaire des professeurs, tous ont incité les élèves à prendre la parole et à faire valoir leur savoir et leur précieuse expérience de la vie auprès d'un personnel enseignant déconnecté des réalités de la vie moderne.

Une coresponsabilité citoyenne

Comme l'explique Sophie Del Castro, professeur de langue française, de technologie et de sport appliqué, « cette révolution copernicienne a bousculé nos vieilles habitudes. La première fois que j'ai été exclue de mon cours pour manque de respect au prophète (j'avais attribué, par contumace, un 8 sur 20 au devoir de l'émir Ifik), j'ai été un peu surprise, c'est vrai. Mais, en me rendant chez le proviseur pour faire signer mon bon d'exclusion, j'ai senti dans ma chair les humiliations que nous faisions vivre à ces jeunes depuis tant d'années. Par la suite, j'ai surveillé mes propos et, au dernier trimestre, j'étais presque acceptée comme l'une des leurs par mes élèves ». Cet exemple illustre, s'il en était besoin, les impacts positifs d'une attitude d'ouverture et d'écoute dans une perspective de véritable partage du leadership pour un partenariat de performance scolaire. La supériorité de ces jeunes, observe Matthieu Kassos, réside dans l'incroyable développement de leur sentiment citoyen : « Tous se sentent et s'appellent frères et sœurs. C'est une coresponsabilité qui est ainsi instaurée entre tous. Vous ne verrez jamais ici une élève en jupe courte : chacun a pieusement conscience des limites de la liberté individuelle et des bienfaits d'un engagement collectif autour de valeurs claires et partagées ».

Conclusion

Depuis que l'école Les Colombes a ouvert la voie, de nombreux établissements ont suivi son exemple en Europe. A Berlin comme à Barcelone, on trouve aujourd'hui des lycées autogérés qui assurent eux-mêmes la production et la vente de leurs biens. Dans un esprit d'entreprise rénové et innovant, ils ont réussi, en quelques années, à conquérir les parts de marché hier détenues par des exploitants autochtones, sans conscience de leur culpabilité coloniale et de leur responsabilité vis-à-vis de cette jeunesse dynamique qui constitue l'avenir durable de nos sociétés.

Ce qu'il faut retenir

1 – Les pires élèves sont prêts à s'engager au lycée pourvu qu'on leur propose des activités en lien avec leurs centres d'intérêts.

2 – Même dans un esprit de leadership partagé et de co-collaboration, il est fortement déconseillé de monter à moto en djellaba.

3 – En adoptant les codes culturels et sociaux des jeunes lycéens, on parvient à dépasser la structure autoritaire qui prévaut dans l'éducation nationale pour négocier le gramme de cannabis à moins de 5 euros le gramme.

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