Enfin j'ouvre les yeux (5)

Sandrine Darcos

Arrivée à Saint Domingue à vingt et une heure au bout d'un voyage de neuf heures où j'avais eu tous le temps pour dormir, manger, boire, écouter la radio ou regarder un film et surtout penser. J'avais beau m'étourdir avec tous ce qui était à ma disposition, mon esprit me rappelait sans cesse à ces derniers jours.
Sans aucuns doutes, je cherchais à comprendre sans pouvoir, cela me hantait et plus je m'éloignais de Paris, plus c'était intense. Certainement parce que je me retrouvais seule ? En fait, j'en sais rien. Ce rêve était très présent, dès que je fermais les yeux, elle était là. Son visage, les courbes de son corps, ses caresses. Mon esprit cherchait dans les méandres de ma mémoire à dessiner dans les moindres détails, trait pour trait le portrait de cette inconnue dont je ne savais que le prénom, Virginie.
 
A peine sortie de l'avion, dans les couloirs de l'aéroport je sentais une odeur d'humidité malgré l'air conditionné. Je suivais le flot des passagers, dominicains, résidents étrangers, touristes en mal de soleil. Tout ce petit monde arrivait par vagues successives pour récupérer les bagages et s'empresser de passer l'immigration et la douane. Encore quelques dizaines de mètres pour enfin arriver à la sortie.
Et là, la pesanteur de l'humidité me tomba dessus, m'oppressa un instant, le temps de reprendre mon souffle, mon corps avait déjà réagis en perlant de sueur. Mon taxi brandissait devant moi mon nom inscrit sur un papier.
-          Hola ! Bienvenida a Santo Domingo !
-          Hola ! Muchas gracias.
Incontestablement, j'étais bien en République Dominicaine, là je ne rêvais pas. Cet accueil chaleureux, ce sourire étincelant plein de gaieté, illuminait le visage métissé de mon chauffeur. Des collègues venus en vacances me l'avaient dit. "Ce peuple est d'une gentillesse incroyable. Spontané, souriant, toujours prêt à rendre service, aimant faire la fête...."
Pendant le trajet, je ne pouvais voir grand-chose de la ville. La nuit, les vitres teintées et fermées du taxi me coupaient de ce nouveau monde. Si mes yeux étaient frustrés, mes oreilles étaient remplies de décibels, sûrement de la musique locale, mon chauffeur en connaissait toutes les paroles. Un sentiment de bien-être m'envahissait et je savais que ce pays allait me plaire et me surprendre agréablement.
J'avais pourtant l'habitude de voyager pour mon travail mais là, c'était différent, je ne ressentais pas la même pression, cette petite boule dans la gorge, ce trac de savoir si j'allais satisfaire nos clients.
 
Il était huit heures du matin lorsque mes yeux s'ouvrirent sur ma chambre. Lit à baldaquin en fer forgé, habillé d'un discret voilage crème, encadrement de fenêtre en vieilles pierres de taille, certainement chargées d'histoire, fauteuils en rotin finement tressés, console en bois foncé sur laquelle, une généreuse coupe de fruits exotiques trônée et le sol en carrelage ocre, nuancé subtilement avec la couleur des murs clairs. Tout le long du chemin menant au frugal buffet du petit déjeuner, l'esprit colonial était bien présent, la bâtisse, classait par L' UNESCO datait de l'année 1502 et fut la résidence du premier gouverneur en Amérique, Nicolas de Ovando. Il était facile d'imaginer devant la diversité des petits patios, la grandeur de la conquérante Espagne de l'époque. Une place m'était réservée, heureusement, la salle était comble et en savourant mon premier petit déjeuner, j'avais tout le loisir d'observer les tables environnantes. Petit monde très cosmopolite, costumes cravates parlant d'affaires, appareil photo plan et casquette de musées, alliances de la nuit de lune de miel et un petit groupe derrière moi, sûrement deux hommes et une femme semblaient préoccupés par une enquête judiciaire.
-          Madame Franck ?
-          Oui, c'est bien moi.
-          Votre taxi vous attend.
-          Merci, juste une minute, j'arrive.
L'heure était au travail, fallait que j'arrête de me disperser, je me croirais presque en vacances alors qu'un important client attend mes services. Cécile, ressaisis toi et bouge-toi ! J'avalais rapidement ma dernière bouchée de pain avec la dernière gorgée de café, me leva et eu juste le temps de remarquer des regards se tournant sur moi avec insistance, pas très aimables c'est trois-là.
Enfin, je voyais Saint-Domingue de jour, nous quittions la zone coloniale pour nous engouffrer dans la circulation très dense et bruyante de cette capitale de trois millions d'habitants. A part les grandes avenues clairsemées par de grands carrefours, je ne voyais pas encore le charme de cette ville et surtout pas celui de la conduite, à Paris nous sommes des enfants de cœur à côté !
Arrivant sur les lieux de mon travail, un accueil chaleureux m'attendait. J'étais touchée par leur simplicité et cela a tous les échelons hiérarchiques. Très à l'aise, je commençais ma première formation sur la gestion de stock de cette entreprise importatrice en produits pharmaceutiques. J'avais une audience très attentionnée pour mon premier cour théorique et c'est là que je me rendais compte de toutes les nuances de couleurs de peaux de ce peuple. Du visage noir africain au blanc occidental, il y avait le métisse plus ou moins claire avec des traits fins ou plus grossiers ou même les deux, des yeux noirs mais aussi quelquefois très clairs, c'était incroyable. Quel brassage de races !
A l'heure du déjeuner, le PDG m'invita et m'en appris davantage sur ce pays qui était en plein essor. Le tourisme était un enjeu très important et pour cause, il devenait la première destination des caraïbes. Tout était mis en œuvre pour attirer les investisseurs étrangers avec des avantages fiscaux non négligeables. La plupart des lois étaient régies par le « code napoléon », vestige d'une occupation française de courte durée. Apres un passé mouvementé par plusieurs dictatures, le pays se targue désormais d'une stabilité politique.
Après cet intermède fort instructif, mon après-midi destinée à la mise en application de mon enseignement matinal était à la hauteur de mes espérances.
Je m'imaginais déjà, profitant de mes derniers jours à flâner. Pensée qui ne pouvait me quitter, allongée sur un transat au bord de la piscine. Je ne pouvais y résister, à peine entrée dans ma chambre, j'en ressortais avec maillot et paréo, les derniers instants d'ensoleillement étaient comptés.
 
La nuit tombée, l'hôtel s'était tamisé de lumières. La douceur de cette atmosphère sublimait la grandeur de son histoire. En frôlant ses murs et ses pierres, j'aurais aimé les entendre me murmurer, me confier quelques secrets anciens. Peine perdue, ils n'avaient que leur chaleur à me donner, celle emmagasinée durant la journée, comme celle que mon corps qui perlait sur mon visage. Une brise légère se levait, tourbillonnant dans les patios, rafraichissant les paseos et asséchant la moiteur de ma peau. Je respirais a plein poumons le bien être de cet instant. Une fois assise, je m'octroyai un cocktail de fruits frais, après tout, autant savourer ce moment avec les saveurs des fruits locaux, incomparables aux notre. Me délectant de ce breuvage, laissant mes pensées vagabonder, mes yeux regardant sans voir le monde m'entourant, une voix me redonna la vue. Une femme, debout devant moi.
-          Pardonnez-moi de vous importuner mais je voudrais m'enlever d'un doute.
-          Voilà, je me présente, Me Leonard, et vous vous êtes Cécile Franck c'est bien ça ?
-          Non du tout, je vous en prie installez-vous.
-          Oui tout à fait, mais venez en au but, vous aiguisez ma curiosité. Nous sommes nous croisées ? Laissez-moi deviner c'est vous ce matin qui étiez avec deux autres hommes et.....
-          Exactement à l'annonce de votre nom, nous avons tous trois étaient interpellés.
-          C'est bien ce que j'ai remarqué mais vous savez des Franck, il y en a à la pelle.
-          Oui je vous l'accorde, mais pas des Cécile, sœur de Hervé du même nom. Je dois vous avouer que votre prénom m'a été confié par le concierge de l'hôtel.
-          Et bien je vois que je n'ai plus rien à vous cacher, lui répondis-je d'un ton sec.
Son intrusion commençait à m'exaspérer.
-          Ne vous emportez pas mais la coïncidence est curieuse, il se trouve que je viens de Colombie pour mon travail où j'ai collaboré avec votre frère ou plutôt le contraire.
-          Je vous arrête tout de suite, je n'ai plus de contact avec lui depuis de nombreux mois et puis après tout, je ne vais pas vous raconter mes histoires de famille.
-          Ecoutez, là n'est pas la question....
-          Je ne sais pas où vous voulez en venir mais je n'aime pas votre façon de faire, j'ai l'impression de subir un interrogatoire, c'est agaçant à la fin !!!!
-          C'est une déformation professionnelle chez moi, je travaille pour Interpol.
Les yeux écarquillés, mes oreilles n'en revenaient pas. Mon frère, Interpol, ce n'est pas possible je lis un mauvais roman de série noire. La dernière fois que nous nous étions vu, il était bien confortablement assis derrière un bureau en tant que bras droit du patron d'une boîte d'import-export. Nous avions un contentieux entre sa logique de travail et la mienne. Notre collaboration s'était arrêtée là. Ni lui, ni moi avions céder et surtout bien trop fier l'un et l'autre pour s'appeler et passer l'éponge. Voilà comment par fierté mal placée nous sommes restés depuis dans le silence.
-          Je suis désolée de vous dire cela comme çà, mais j'ai encore autre chose à vous annoncer.
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