Engrenages...

khaoulatity

Je l'écoutai aussi attentivement qu'il ne l'est humainement possible.

Aucun de ses mots, quoique aussi concis que d'habitude, ne m'échappa. Je perçus clairement la pointe de colère ou d'ennui, ou peut-être les deux, dans ses yeux et son ton, et je fus persuadé qu'elle croyait les bien masquer.

Elle ne voulait pas de cette conversation, et étrangement, moi non plus. Pourtant, ce fut bel et bien et moi qui provoqua cette rencontre, un jour où j'eus le ras-le-bol de cette situation, et réalisai, trop tard, que j'étais allé trop loin dans mes paroles et qu'il n'y avait plus de retour possible...

 

Je m'attendais à ce qu'elle me dirait avant même qu'elle n'apparaisse devant moi ce jour-là et ne fit mon cœur sur le point de s'exploser tellement la pression était insoutenable.

Pourtant, plus elle parlait, plus une colère sourde me submergeait, mélangée avec une immense lassitude.

Elle me sortit un bien gentil discours parsemé de mots bien comme il faut.

"Ma manière d'être", "tu comptes pour moi", "si tu as besoin de moi je serai là"...

Des mots comme il faut...

Croyait-elle réellement que c'est ce que je cherchais?

Une colère diplomate et des mots gentils, servis sur un ton se voulant aimablement ferme?

Quand elle termina, elle se tut, et me regarda avec ses yeux miels recouverts de cils infinis, s'attendant sans doute à ma réponse, mais sans la moindre trace d'enthousiasme.

Je ne pus formuler le moindre mot.

Et que pourrais-je dire?

Lui répéter ce que je lui avais déjà dit, et qu'elle, soit ne comprit pas du tout, soit décida de tout simplement ignorer?

Peut-on dire qu'on ne veut pas compter mais être aimé?

Peut-on clamer qu'on ne veut de "suffisamment d'efforts" mais un intérêt simple, sincère  et spontané?

 

Que pourrais-je lui dire qui ne me donne pas l'air lourd et pathétique?

 

Elle n'avait pas répondu à la moindre de mes questions cependant nombreuses, mais son discours m'enleva presque toute envie d'en connaître les réponses.

 

Je lui avais demandé ce qu'elle savait de moi durant cette dernière année, et si elle jugerait une telle ignorance tout à fait normale. A quoi elle répliqua que son manque de question ne signifie pas un manque d'intérêt et que, si un besoin de parler me prend, elle m'écouterait volontiers à tous les coups.

Ne comprend-elle donc pas que ce que je cherchais par cette question n'était pas mendier sa présence, mais bêtement son avis sincère sur son comportement à elle? Je voulais voir ce qu'elle voyait, comprendre comment elle se qualifiait,… et même de ça elle me priva...

Je lui avais demandé d'être en colère contre moi, de me traiter de tous les noms pour mes messages interminables et idiots, je lui avais demandé des émotions crues et vraies, et tout ce que j'ai eu est une colère grossièrement cachée par des mots… gentils…

 

Il ne me resta plus d'autres choix que d'avouer enfin ce que je savais depuis fort longtemps: ça ne sert strictement à rien.

Elle sera toujours cette boule mystérieuse et lunatique, tellement proche et tellement loin, m'aimant les bons jours, m'ignorant les mauvais. Je serai toujours cet autre qu'elle n'avait jamais choisi mais que la vie a fait qu'il était là. Nous partagerons des cafés gentils autours desquels nous nous dirons des choses gentilles, et à la fin desquels chacun ira vers son vrai monde complètement à l'abri de l'autre.

Je découvrirai toujours ses voyages sur des photos trouvées par hasards, et ses aventures dans une conversation avec une tierce partie où elle sera mentionnée par hasard.

Elle ne me dira jamais volontairement le nom de son copain, et ne pleurera jamais ses chagrins sur mes épaules.

Je ne courrais jamais lui annoncer mes petites bonnes nouvelles idiotes, ni lui demanderais son avis sur quelle cravate choisir.

 

Cette résignation ne me fût d'aucun soulagement. Elle ne me donna que le goût amer d'un échec cuisant.

L'échec qu'on ressent quand on abandonne une cause en laquelle on a cru.

Et en elle j'avais cru.

Ou serait-ce en moi et en mon amour sincère?

De toute manière, que cela changerait-il…

 

Mon silence se faisant trop long, elle se racla la gorge me réveillant de mon hébétude.

"Je sais que tu es avec quelqu'un, depuis un bon bout de temps déjà. Félicitations"

Son air surpris et légèrement embarrassé, me donna une satisfaction malsaine, qu'en d'autres circonstances j'aurais eu honte d'avouer. Mais aujourd'hui, les sentiments politiquement corrects sont le dernier de mes soucis.

"Euh... Je n'ai pas eu l'occasion de t'en parler"

"Je l'ai quand-même appris... Pas par toi... Sur ce, je dois filer, j'ai des trucs à faire.

Merci pour le café, et d'avoir pris le temps de répondre à mes idioties. Le mieux serait d'oublier tout ça et d'avancer! Un autre jour tu me raconteras ta version de l'histoire sur ce copain mystère qui, comme tu le vois, n'est pas vraiment un mystère, hein?"

Sourire forcé "oui, oui, bien-sûr"

 

Nous nous sommes dit au-revoir, qui pour moi avait plutôt l'air d'adieu.

 

Je savais enfin sans la moindre marge d'espoir que ce que je nous voulais était déjà fini.

Je nous voulais vrais.

Elle nous voulait gentils...

Signaler ce texte