Entre deux vies

bey

Écrit en québecois, comme d'habitude.

—   Réveille, le frère. 

La voix de Nick réussit pas à me faire ouvrir les yeux. Le fond de bière tiède que je reçois en plein visage, lui, oui.

—   Ah ! Tabarnac ! Nick ! Qu'est-ce tu fais ?

—   Hahahahaha !

—   Calice je… ah va chier, ça colle, osti de cave !

—   Y'a pas juste ça qui colle.

Le grand frère sort de la chambre, satisfait, et me laisse pas le temps de comprendre son dernier commentaire. Faut avouer qu'il a été efficace. En un instant, je suis passé du sommeil profond à un état d'alerte complet. Je suis réveillé, ça y'a plus de doute. Assez poqué par ma mauvaise nuit, je contemple l'état de ma chambre, assieds dans mes draps. Des bouteilles vides ici et là. Un couple qui dort au pied de mon lit. Découragé, je me passe la main dans le cou. Et je m'arrête sec. Une substance visqueuse, un peu croûté, entre en contact avec mes doigts. Je les retire en panique. Ah tabarnac ! Veux-tu ben me dire ce que je fais avec du sperme sur la nuque ?

Dans le salon, un gars barbu dort sur le divan. Un autre couple utilise le tapis d'entrée comme matelas. Sept autres personnes se répartissent aléatoirement le plancher du salon et de la cuisine. Évidemment, il y a des bouteilles partout. Quelques pots Masson, aussi. 

La micro-onde affiche 7h42. Ciboire.

Je cours dans la salle de bain. Me brasse rapidement les cheveux sous l'eau du lavabo. En profite pour enlever le sperme. Me brosse les dents en vitesse. Retourne à ma chambre. Sacre une poignée de change dans mes poches. Le grand frère s'accote dans l'embrasure de ma porte, son sourire bien affiché dans sa maudite face bien taillée. Sa chemise ouverte, montrant ses abdos épilés de player. Il a fourré, lui, hier soir, c'est clair.

—   C'tu toé qui m'a crissé du sperme dessus ?

—   Y'a ton roux qui t'attend à la porte.

—   Mon roux ? Y'a un nom, en passant. Le même que toi, d'aill…

—   Tu sortiras le sac à poubelle en même temps.

Encore une fois, il sort avant même que je puisse répliquer. Je vois son p'tit cul bien moulé d'enfant de chienne s'éloigner dans sa chambre. Et je me dis que la génétique n'a aucun sens de la justice.

Comme de fait, Nicolas — mon ami, pas mon frère — m'attend à l'entrée. Et comme de fait, un sac à poubelle rempli de vomis aussi.

—   Grosse nuit, Nathan ?

—   Aye, j'suis désolé Nico. Mon cadran a pas sonné c'matin et j'ai eu une nuit de marde…

—   Party du frère encore ? 

—   Party du frère encore…

Je prends le sac à vomis et on descend dans la rue. Fait chaud aujourd'hui. Je sens les vêtements me coller à la peau. Ce qui me rappelle que je me suis pas changé. Fuck. Pas le temps, on va faire avec. Je soupire et, un peu inquiet, je demande à Nick :

—   Penses-tu qu'on va arriver en retard ?

—   Pas mal certain, ouais. En plus tu pues. Mais genre vraiment beaucoup.

—   L'boss va pas être content.

—   Nope. Va falloir y acheter un billet de loto.

—   Tu penses ?

—   Il adore s'acheter des « Célébrations aux œufs d'or ». Pis y'est pas mal achetable, le bonhomme. Si on arrive avec ça…

—   … il va oublier le retard.

—   Ouep.

Direction vers le dépanneur le plus proche, donc.

—   Faque y'a fait un party, encore ?

—   Toujours, Nico. J'pense qu'en tout y'avait genre… vingt personnes. 

—   Dans un petit appart comme le vôtre…

—   …et avec le savoir-vivre de ses amis…

—   Tu sens l'alcool, d'ailleurs. T'as bu ?

—   Criss non… j'essayais de dormir, moi. C'est Nick qui m'en a versé une dessus.

—   Toujours une dick, ton frère, à ce que je vois…

—   Pis une dick qui fourre en osti…

—   Sa vie va beaucoup trop bien.

—   Ouais et il pourrit la mienne… Veux-tu ben me dire qu'est-ce qui m'a poussé à vivre avec lui ?

—   Il paye les trois quarts du loyer ? Et, à dix-sept ans, tu fais clairement pas assez d'argent pour aller vivre ailleurs ?

—   Ouais… 

—   À moins que tu retournes vivre avec tes par…

—   Non.

—   Non ?

—   Non.

Petit moment de silence. Puis je me prends la tête en gémissant de désespoir.

—   Si au moins il était pas aussi sex !

—   Ah…  sérieux Nathan ? Encore ça ?

—   Ouais… c'est plus fort que moi…

—   C'est très malsain tripper sur son frère, tu sais ?

—   Parce que tu penses que je fais ça pour le fun ?

—   Quand même… de l'inceste…

—   Non ! J'ai jamais parlé d'inceste !

—   Nathan. Nicolas, c'est ton frère ?

—   Ouais.

—   Tu le désires physiquement ?

—   Ouais…

—   Bah c'est de l'inceste.

—   ...Tu simplifies pas un peu trop ?

—   Ouais, j'avoue... Aye ! C'est Julie !

—   Qui ?

—   Julie. À la pompe juste là. En train de tanker son char. Elle était au même secondaire que nous.

—   Connais pas.

—   Tu connais personne, toi. J'aurais ben le goût d'y parler. Mais on a clairement pas le temps. À moins que…

—   C'est beau. Je vais acheter le billet pendant que t'essaies de te pogner une date.

—   T'es le meilleur ami du monde, Nathan, tu le savais ?

—   Mange un char.

Dans le dépanneur, je réalise que je traîne encore le sac de vomis. Je le mets dans la première poubelle que je trouve. Martine est à la caisse. Ah Martine… je pense qu'elle travaille là depuis l'ouverture de la station d'essence. P'tit cul, c'était à Martine que j'allais acheter mes bonbons. Martine c'est un patrimoine. Un patrimoine qui boite un peu et qui frôle la démence, mais un patrimoine pareil. 

—   S'lut Mart.

—   Oh Julien !

—   Non c'est Nathan…

—   Oh Nathan !

—   Je vais te prendre un sac de Layfles sel et vinaigre. Et je vais te payer en…

Je prends une poignée de change dans mes poches. Je laisse retomber le contenu sur le comptoir. Des dix cennes, des cinq cennes, des unes cennes… Fuck. Pas une criss de piastre. Même pas un trente sous ! Bon, va falloir compter… La tête encore un peu étourdie du réveil brutal. Et j'ai jamais été fort en math. Ça risque de prendre du temps. Un autre client entre. Je sens l'impatience derrière moi.

Deux et dix, deux et vingt, deux et…

—   Voilà Mart ! Deux et vingt-cinq !

Je repars avec mon déjeuner, satisfait. J'arrive pour sortir et je vois toujours Nico dans le stationnement. Criss, le billet !

—   Attends ! Je voulais te prendre un billet de loto aussi !

Un peu gêné, je reviens au comptoir, avec l'autre client qui semble sur le bord de m'arracher la tête. Le pire, c'est que j'arrive même pas à me souvenir de la sorte que le patron aime. Une Miniature ? Non. 9/46 ? Non. Dans l'hésitation, je me dis que je pourrais en essayer un nouveau. Le patron pourrait peut-être aimer. Je demande à Mart de m'expliquer celui avec des dessins de moutons. Puis finalement, j'allume. Célébration aux œufs d'or.

—   Ah non je veux celui-là, juste là !

Je replonge dans mes poches pour payer le cadeau. Je fouille plus en profondeur et je trouve une pièce un peu plus grosse que les autres. J'avais un deux piastres depuis le début. Je paye. Je sors. Le calvaire est terminé.

Je trouve Nico dans le stationnement, qui m'attend, seul. J'agite le billet dans les airs et je lance :

—   Voilà l'artefact sacré !

—   Avec un peu de chance, ça va nous sauver du renvoi.

—   Pis, avec Julie ?

—   C'est mort.

—   Mort ?

—   Ouais, elle était mal à l'aise tout le long. Elle a toujours été le genre de bitch qui juge. 

—   Pis t'as clairement pas assez de swag pour elle.

—   Utilise pas ce mot, c'est dégueulasse.

—   Hahaha !

—   Ayoye… On va-tu rester puceau toute notre vie ?

—   Bah j'ai reçu du sperme sur la peau, aujourd'hui. Ça compte pour du sexe, non ?

—   T'es con, Nathan. Tu le sais-tu ?

—   Ouais. Pis ça me comble de joie.

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