Entre elles (court métrage)

Olivier Ducray

Une femme prend la fuite.

ENTRE ELLES

Ndr : L’action n’est vécue qu’à travers le regard du protagoniste par le procédé de caméra subjective ; elle est portée par une musique originale, mélange de différents genre électroniques, qui utilise également les sons « on ».

 

 

1 – Salle de bain (appartement « Elle ») – Int. Jour 

La glace d’une salle de bain vole violemment en éclat avant qu’on ait eu le temps d’apercevoir le moindre reflet. On voit juste une main se retirer, puis cette main ensanglantée, sous le filet d’eau du lavabo. Ce qui reste de la glace pend au-dessus. L’eau et le sang se mélangent parmi les bouts de verre. Râles douloureux.

2 – Salon (appartement « Elle ») – Int. Jour

Dans le salon. « Elle » s’énerve. On ne voit pas sa tête ; tout juste sa main bandée. Tandis qu’elle s’agite dans tous les sens, on voit balancés, puis s’échouer à travers la pièce, différents objets, cadres, bibelots, photos. Papiers éparpillés, bouts de verre. Une télé qui marche toute seule. Même râles angoissés. La fenêtre est ouverte. « Elle » la fixe, presque hésitante. Sa main tremble. On voit au loin le haut de la Tour Eiffel. Coups de pied haineux dans les objets qui jonchent le sol. « Elle » attrape un petit sac à main et se dirige vers la porte d’entrée.

3 – Palier (immeuble « Elle ») – Int. Jour                       

« Elle » ouvre la porte d’entrée, sort, claque la porte, et reste un instant le nez fixé dessus ; « elle » arrache ensuite violemment l’étiquette sur laquelle est inscrit son nom puis se retourne. Juste en face d’elle, sur le palier du sixième et dernier étage, s’ouvre alors l’ascenseur. Dedans, il y a une femme qui la regarde. Pâle, accusatrice, macabre. « Elle » ne porte aucune attention à cette femme et se jette en courant dans les escaliers.

4 – Cage d’escalier (immeuble « Elle »)  – Int. Jour        

« Elle » descend quatre par quatre les marches de l’escalier qui s’enroule autour de l’ascenseur, tandis-que l’on entend le bruit de ce dernier ; « elle » fixe successivement toutes les portes des paliers et ses pieds pour ne pas tomber. Bruit d’ascenseur de plus en plus pressant. Arrivée en bas, « elle » se prend les pieds dans la moquette décrépie de l’escalier et s’étale dans le hall, au pied de l’ascenseur qui s’ouvre à l’instant ; on voit des pieds de femme, collant noir, chaussures fines, noires, à talons. La femme passe au-dessus d’elle.

5 – Façade Immeuble / Rue Paris – Ext. Jour

Dehors, dans la rue. Bruit, valses de gens, de voitures. On ne voit que des pieds, des roues, de la fumée d’échappement, le bitume ; « elle » est aveuglée. Son regard trouble ne s’arrête sur rien, sinon de temps en temps sur cette main bandée et douloureuse qu’elle secoue nerveusement. « Elle » ne bouge pas et se tient toujours devant la porte d’entrée de l’immeuble; le bandage est de plus en plus imprégné de sang, entièrement rougi. De plus en plus nerveuse, « elle » fait finalement demi-tour et pénètre à nouveau dans la cour de son immeuble.

6 – Cage d’escalier – Int. Jour                                          

Arrivée au bas des marches sur lesquelles « elle » s’est échouée quelques instants auparavant, « elle » constate qu’il n’y a personne en parcourant le lieu vide du regard. « Elle » ouvre la porte de l’ascenseur, rentre à l’intérieur referme la première porte derrière elle. « Elle » appuie sur le bouton « 6 ». Le volet métallique claque devant son nez. L’ascenseur monte lentement. « Elle » retient son souffle. Les étages défilent. La cage d’escalier est sombre et silencieuse.

7 – Palier (immeuble « Elle ») – Int. Jour                       

Le volet métallique claque de nouveau, pour s’ouvrir cette fois. « Elle » pousse la première porte de l’ascenseur et se retrouve une nouvelle fois nez à nez avec sa porte d’entrée. Après une hésitation, « elle » fouille dans son sac ; un petit miroir tombe par terre. « Elle » le ramasse, le remet dans son sac et se saisit de la clé qu’ « elle » introduit immédiatement dans la serrure de la porte. Sa tête se met alors à tourner, ses yeux se troublent, s’emplissent d’une lumière aveuglante, tandis qu’ « elle » donne un coup de pied dans la porte qui s’ouvre immédiatement.

8 – Terrasse (rêve « Elle ») – Ext. Jour                           

« Elle » est sur une terrasse qui donne sur une barre d’immeubles modernes et assez glauques au milieu desquels se détache la Tour Eiffel. Bruits en provenance de sa droite ; c’est le bruit de couverts qui raclent une assiette. « Elle » dirige lentement ses yeux vers ce coin de la terrasse. Là, la femme livide, toute de noir vêtue, celle qu’elle avait rencontré plus tôt sur son palier, est assise devant une petite table ronde de jardin. Elle finit paisiblement de manger en regardant « elle ». La femme prend son assiette et la lèche en ne quittant pas « elle des yeux. Après une brève hésitation, « elle » court vers la table et se jette sur la femme. « Elle » retombe de tout son corps sur la table ; la vaisselle se brise. Il n’y a aucune femme à cette table.

9 – Salon (appartement « Elle ») – Int. Jour

Dans le salon bien réel de son appartement, « elle » se relève péniblement. « Elle » était avachie sur sa table. « Elle » tente de remettre sa table en place puis regarde par la fenêtre. Au loin, « elle » aperçoit en effet la Tour Eiffel, bien plus loin qu’il n’y paraissait sur cette terrasse rêvée. « Elle » concentre son attention sur le haut du monument à peine visible.

10 – Rues Paris – Ext. Jour

Dehors, malgré la lumière qui l’aveugle à nouveau, « elle » se met à marcher. Par moment, « elle » passe sa main bandée devant ses yeux. Vision de pieds, de roues, de fumées d’échappement, du bitume. De temps à autres « elle » se retourne pour voir si « elle » n’est pas suivie puis poursuit sa route lentement, comme portée. « Elle » approche bientôt de la Tour Eiffel

11 – Esplanade Tour Eiffel – Int. / Ext. Jour

« Elle » est à présent sous le corps de l’immense monstre de fer. La vue du dessous est saisissante. Méfiante, « elle » regarde devant, à droite, à gauche, si « elle » n’est pas observée. N’osant pas se retourner pour s’assurer qu’ « elle » n’a pas été suivie, « elle » sort de son sac son petit miroir ; « elle » le tend devant elle et l’incline légèrement. Dans le reflet, apparaît la femme, livide, noire, froide et arrogante. « Elle » se retourne brusquement et cherche de tous les côtés. La femme a disparu.

12 – Esplanade Tour Eiffel – Int. / Ext. Jour

« Elle » est prise de spasmes violents. « Elle » replonge le petit miroir dans son sac, fixe un instant le bitume manquant de vomir puis repart. Démarche houleuse. Dans une allée boisée à proximité du monument, « elle » est attirée par un buisson derrière lequel elle court se réfugier. Agenouillée,  « elle » se met à vomir, jusqu’à s’étouffer presque. Râles qui recommencent. Puis se redressant avec peine, « elle » se dirige vers un guichet où l’on vend des tickets d’entrée pour le monument. « Elle » s’introduit dans la file d’attente. Les gens, les choses autour prennent des contours flous.

13 – Esplanade Tour Eiffel – Ext. Jour

Sa main saine saisit un ticket. Puis « elle » s’avance vers l’escalier, immense ; sans assurance. « Elle » a de plus en plus  peur. Impuissante. Aliénée. Regards confus autour d’elle, au dessus, partout. Il n’y a personne. Ou plutôt, « elle » ne voit personne. La montée des marches est interminable. « Elle » souffre. Bruits obsédants et exagérés d’ascenseurs ainsi que, confus, de la circulation et de touristes qui discutent en montant.

14 – Troisième étage Tour Eiffel - Ext. Jour

En haut. Enfin. Reprenant sa respiration, aveuglée, saisie. Prise de conscience progressive du lieu ; Paris, immuable, gris. Brume ou pollution ; pluie fine. « Elle » fait le tour du pallier d’une rambarde à l’autre, en jetant des regards lointains. Cris, rires ; pleurs. Au milieu du palier, apparaît la femme qui la fixe et la défie à nouveau. Encore. Glacée, provocante ; angoissante. Comme un cauchemar dont elle ne parvient jamais à sortir.

15 – Tour Eiffel / Esplanade - Ext. Jour

Regards affolés vers le bas. « Elle » s’est élevée. Montée sur quelque-chose ? La rambarde. En dessous d’elle, le vide ; deux cent mètres environ. Quelqu’un accourt pour la retenir. Elle se jette. Chute. Images nombreuses, mélangées, rapides, alternativement celles du sol plus ou moins net qui se rapproche inexorablement, et celles de tout son trajet, accéléré, dans le sens inverse, avec des temps morts. Durant ces temps morts, par intermittence, on a des flashes de quelques scènes récemment vécues mais vues cette fois à travers le regard de la femme fuie.

15a (11 bis) – Esplanade Tour Eiffel - Ext. Jour

Premier flash. On voit ainsi « elle » de dos, sous la Tour Eiffel, sortir un petit miroir de son sac et le tendre devant ses yeux.

15b (8 bis) – Terrasse - Ext. Jour

Deuxième flash qui ponctue ce retour en arrière. On voit « elle » debout sur la terrasse d’un immeuble moderne avec en fond l’extrémité d’une barre d’immeuble. On ne voit pas le visage d’ « elle ».

15c (4 bis) – Cage d’escalier – Int. Jour

La femme passe par dessus « elle » étalée face contre terre dans le hall d’entrée de l’immeuble. La femme effleure de ses talons fins et noires les cheveux d’ « elle ».

15d (3 bis) – Palier – Int. Jour

Vue d’ « elle » de dos, le nez contre sa porte d’entrée qui s’affaire à arracher l’étiquette sur laquelle est inscrite son nom.

Durant sa chute, les derniers instants de la vie d’ « elle » sont donc revus très rapidement, entrecoupés de flashes qui nous font découvrir le point de vue de la femme fuie. On remonte ainsi le temps jusqu’à la salle de bain d’ « elle » où on devine presque son visage dans le reflet de la glace tout juste heurtée par le point.

Bruit sourd, abominable.

16 – Esplanade Tour Eiffel - Ext. Jour

« Elle » est par terre. Etalée. Le regard dans le bitume. Pluie. Des gens se pressent autour, horrifiés. Pas, chaussures, voix confuses. Dégoût. Sang qui coule lentement. Gens qui reculent. Silence total.

17 – Esplanade Tour Eiffel - Ext. Jour

Les gens s’effacent. La femme est là. A nouveau apparue. Seule. Sa main, bandée également, tient un objet luisant. Un miroir. Elle l’approche, soulève la tête écrasée au sol. Les yeux sont ouverts, immobiles. La femme glisse le miroir sous cette tête. Dans le reflet, le même visage. Son propre reflet ; le même que celui de la glace de la salle de bain que l’on voit maintenant nettement par flash. La même femme. Elle lâche « sa » tête, laisse tomber le miroir, le piétine, avec le talon de sa fine chaussure noire, avant de s’éloigner. De s’effacer. Sifflets ; sirènes. L’eau et le sang se mélangent parmi les bouts de verre.

FIN

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