Entretien avec un rongeur
Yves Ergneau
-- Et tu n'as pas d'amis ?
-- Euh... plus !
-- Pourquoi ?
-- Pourquoi... parce que c'est comme ça.
-- C'est pas une réponse, ça ?
-- C'est la mienne...
-- Parler à un rat, ça ne te dérange pas ?
-- Depuis "Ratatouille", j'ai banni le spécisme du dico (rires). Un rat qui cuisine, c'est toujours mieux qu'un rat de la finance. Et pourquoi tu parles, toi ? Si tu peux éviter de bouffer mes chemises ; la poche grignotée, c'est pas encore tendance. Je te donne à becter et tu me lâches les abricots, OK ? Tu aimes le porto ?
-- Non... le Petrus !
-- Tu te fous de moi ?
-- Oui... (rires). Tu veux savoir mon nom ?
-- Non.
-- Hector !
-- J'avais dit non.
-- Pourquoi toujours non ?
-- Parce que tout ça n'existe pas. J'ai biberonné un peu trop, c'est tout. J'en suis arrivé au stade des rats philosophes. Demain, les rats reparleront le rat ; les chiens, le chien et les chats... le chat. Voilà ! Dernièrement, j'ai taillé une bavette avec une orange. On a parlé politique presque toute la nuit ; elle ne jurait que par l'Europe. L'Europe par ci, l'Europe par là. Elle m'a tellement dessaoulé que j'ai fini par la bouffer. Ça se mange du rat ? Du rat... goût, peut-être ? (rires)
-- Drôle. Le rat d'égout a la chair rebelle ; tandis que le rat d'Opéra a plutôt l'os en vitrine. Le rat de grenier, lui, se goinfre comme un malade de boules... à mites. On mange de tout ; même de la mort-aux-rats, l'aller simple pour où tu sais. La malbouffe, on connait aussi ; nos fast-foods, ce sont vos poubelles. Mais nous, on sait que ce sont des poubelles.
-- Purée ! Einstein avait raison : vraiment pas conne votre espèce. J'ai plus faim... soif encore un peu. Tu trinques avec moi, Hector ?
-- Volontiers.
-- Tu vois, Hector. Pour répondre à ta première question... ce soir, je crois que j'ai un ami. Peu importe que tu ne sois plus là au réveil. Tu es là, maintenant... Merci.
-- Santé !