Envie d’ailleurs ou Gadé douvan
Sonia Taguet
C'est décidé ! Je quitte l'île, comme on quitte un homme, dont l'amour est chevillé au cœur. Je quitte mon île dont le goût de la terre me reste en bouche. J'en mâche les saveurs comme on mâchonne de la canne à sucre. Je la quitte! Les tripes à l'air.
Souvenir enivrant d'épices. Mon île comme un homme, qui marque le cœur l'existence de son empreinte ! Alors pourquoi partir me direz-vous ? Pour ne plus vivre à l'ombre de mon soleil, l'ombre des miens. Je me surprends juger avoir fait le tour de la question, le tour de mon île. Me surprends à penser connaître tous les coins, recoins de son être et pourtant. Un brin trop sûre de moi, un soupçon de prétention au combien mal placé !
Dire qu'à mon âge on croit connaître la chanson ! On se permet même de donner des conseils aux jeunes ! Quelle honte ! " Trop vu ! Trop de m'as-tu vu ! ″ D'un coup, je me suis sentie en survie. Soif ! Assoiffée de nouveautés. Happée vers un ailleurs. Ne sachant où donner de la tête : Bouts de terre tout autour de moi ? Le Vieux Continent ou la Terre Ancestrale ? Mon cœur balance ! À mon âge, je sais, vous allez dire que j'en parle sans arrêt… Mais la femme d'âge mûr que je suis, devrait savourer d'être posée. Appréciée ma situation du " déjà accompli ". J'ai eu beau retourner tout cela dans ma tête. Une seule solution, la seule qui s'impose à moi. L'évidence même ! Changer de vie ! Changer les couleurs du quotidien… Mettre un bon coup de pied dans la fourmilière ! J'ai toujours fait le nécessaire pour rentrer dans le moule, dans le convenable.
Aucune vague ! Un petit parcours calme, trop calme certainement ! Je projette de quitter mon île cependant je ne peux que l'aimer dans sa diversité.
Cela semble de l'extérieur être toujours la même chose, et bien, détrompez-vous ! Folie douce qui s'opère en moi ! À la simple idée de partir ; tout ce dont je ne me souvenais plus, ressurgit ! Jeunesse, tout ce que j'aime, tout ce que je déteste ou m'ennuie.
Avalée par ma Langue, par ma Terre, les usages, mes traditions familiales et insulaires.
L'Histoire… L'HISTOIRE de mon papillon, l'histoire des miens ! Découvrir un ailleurs, pour voir si ce que l'on me raconte, est vrai ! Découvrir qui je suis hors de chez moi. Il n'est pas encore trop tard ! Du moins, j'ose l'espérance… J'en parle un peu avec mon amie de toujours Marta.
Aucune compréhension. Pas de jugement dans sa bouche. Non, uniquement la stupeur !
- Qui peut accepter une telle attitude, si ce n'est le dieu de la malice ?
Crois-tu que ton homme va t'accorder le droit à ces délices du voyage ? Misère ! C'est folie douce qui te touche ! À moins que tu joues les cachottières… Tu pars avec quelqu'un ? Son faux sourire m'agace.
À mon soupir de dédain, elle insiste :
- Tu devrais te demander qui te veut du mal ! Qui peut avoir envie de te voir partir ? C'est sorcellerie !
- Je te dis, en toute simplicité, que mon désir est de quitter l'île … Pas Mondoux ! C'est elle, je ne peux plus la voir en peinture ! Pas lui !
Marta s'amuse toujours de moi :
- Ah oui ! Mondoux va te suivre où bon te semble bien sûr ! Hi hi ! Tu veux aller rendre visite à tes grands, c'est ça ?
- Tu n'y es pas du tout ! Marta, je ne suis pas claire quand je dis que je veux juste quitter l'île ? Pour moi, cela veut dire quelque chose alors que toi, tu cherches les tracas qui me pousseraient à partir ! L'important n'est pas là. N'en parlons plus, tu veux !
Mon mari … Ah ! Mon homme ! Tous les jours, je me dis que je dois lui parler…Et puis, j'oublie !! Si sa réaction est dans la même énergie, que celle de Marta, je ne vais pas bien le prendre !! C'est certain, même ! Quoi lui dire ? Comment lui présenter les choses ? Mondoux, suis-moi, je quitte l'île. Où sont nos sacs à dos ? Nous partons ! Je ne sais pas encore où je vais… Cela se dessine doucettement ! Oh ! Je sais bien que cela ne m'est pas possible de l'emmener …C'est à la quête de moi-même que je pars, pas de nous ! J'ai un ou deux sous devant moi, reste à trouver ″ Où ″ selon mes moyens. Faudrait un coup du sort…Un clin d'œil de la Vie !
Mon souci : Bizarrement depuis ma décision de m'en éloigner, mon île me donne palette d'émotion, un arc-en-ciel de saveurs. Mon corps absorbe un maximum de ressentis. Cadeau ! Pour moi qui me sentais lasse, tellement lasse de ma vie monotone. J'en arrive à me questionner sur l'énergie que me procure le fait de me sentir en partance. J'ai déjà beaucoup voyagé dans les souvenirs des autres !
Difficile de trouver la Destination Idéale ! Vous savez, quand j'ai commencé à me rappeler tout ce et tous ceux que j'aime ici, j'ai eu la larme à la joue ! J'ai failli faire machine arrière…
À l'idée de rester, ma lassitude regagne sa place. Mes yeux n'ont de cesse de regarder au-delà de la mer ! Aucune délicatesse, aucune attention ne me touche plus. Besoin impérativement d'assumer mes envies profondes. Écouter ma voix intérieure … J'arrive à peine à culpabiliser. Une continuité. De grands espaces, endroits définitivement différents. Sillonner le monde. Un pari tardif ! Surgit en moi, le surnom dont m'affuble Mondoux ″ Va–nu–pieds ″ ! Il m'appelle ainsi depuis notre première rencontre ! J'ai beau avoir de belles & confortables chaussures, rien ne me plait plus que de marcher pieds nus, en contact direct avec le sol. J'aime les mettre dans les bassins d'eau douce, sentir la terre, les herbes, le chaud et froid. C'est le pied ! Attention, je sais m'équiper !
Les baskets pour aller dans la mangrove ou monter saluer le volcan. Des chaussures fermées pour visiter ma sœur ; elle vit avec la pluie ! J'ai celles pour l'église et les cérémonies, celles pour le marché et surtout celles pour aller danser ! Je vous le dis, une véritable collection, mais étonnement, les trois quarts du temps, Mondoux me voit pieds nus ! D'où mon joli sobriquet… Si vous saviez, c'est un vrai tendre Mondoux ! Vingt ans que nous nous pratiquons. Toujours un mot doux, un geste d'affection, un compliment. Ses petits travers me font rire, ses grands peuvent me blesser mais il me ménage !
Mondoux, Jacob, La vie ne l'aura pas épargné ! Gardant allant et sa tendresse pour sa famille.
Il n'est pas mon doudou ; il est Mondoux pour nous tous ! Comprendra-t-il mes motivations, qu'il n'y est pour rien dans mon désir de départ ? Sa maxime ″ Gadé douvan ″ qui signifie " Regarde devant ". Et bien, il est grand temps pour moi de l'utiliser. Tête haute, fière comme un I, je dois trouver la force de lui parler. Il va encore prendre cela pour de la fantaisie. Il me trouve fantaisiste !
Si être fantaisiste, c'est de mettre de la couleur dans la vie … Si c'est de mettre des épices dans la cuisine du couple … Si c'est aimer s'élever …
Alors je réponds Oui ! Je le suis ! Vous auriez dû voir sa tête, le jour où j'ai voulu apprendre le Gwo Ka, en même temps que Siméon, notre aîné. Jouer du Gwo Ka, apprendre à marquer !
Outré par mes désirs, Mondoux sortit de ses gonds :
- Une femme ne marque pas ! Cela ne se fait pas ! Où as-tu vu qu'une donzelle marquait ?
Siméon souriait ne sachant à qui donner raison. Je connais maintenant les rythmes et j'adore ça. C'est pas mal au vu des conditions dans lesquelles j'ai appris ! Nous attendions la moindre opportunité d'être seuls. Une fois, connectés, le son jaillissait des tambours. Chanter. Jouer avec Siméon. Perles de bonheur de partager ces instants avec la chair de sa chair ! Si pour Jacob, ça c'est de la fantaisie … Il est dans la vérité, je suis fantaisiste et pour mon plus grand bonheur ! Mais, ce qui m'a le plus surprise : la réaction d'Inaya. Elle se rallia à son père, me lança un regard sombre :
- Si tout le monde se met à faire ce que bon lui semble ! Si on ne prend plus en compte, les traditions, les lois ancestrales ...C'est le dawa ! Le fiasco total ! Mondoux a raison ! Ça ne se fait pas ! Pour calmer le jeu, je l'ai emmenée au musée Gerty Archimède. Sacrée Madame !
Après cette dérive dans les souvenirs, je reprends chemin, le même, depuis que je suis femme. Autant dire une éternité ! D'où peut-être ma lassitude !!
Mon pied devient léger sur certaines musiques dont je croise la route. Je vis dans une ville de bruit, de paroles lancées fort, de musique. Je dois marcher vingt bonnes minutes avant de regagner le calme. Ma case est dans les hauteurs de ville. Rentrer c'est toute une aventure ! Y'a ceux à qui on hoche la tête pour saluer, ceux à qui on fait des grands coucous, ceux à qui on destine les " Yeah Pa ! ". Y'a ceux qui viennent vous tenir au courant des derniers maquerellages et ceux que l'on rencontre au hasard et qui réchauffent le cœur … Enfin le morne ! Le ruisseau …
Aux manguiers pomme, je tourne à droite, là, je profite pour me déchausser, ramasser un beau fruit que je déguste sur la fin du sentier. Ma case n'est plus très loin, cachée par la végétation abondante !
De ma chambre, je vois un bout de morceau de ciel étoilé. Je l'aime ma case ! Je la transporterai bien avec moi. Elle nous ressemble. Nous avons trimé mais elle nous plait. Jacob sur le pas de la porte attend. Il m'embrasse, tout en prenant de mes mains, mes chaussures ! Ma vie se passe sans anicroche. Dans mes nuits, je me vois prendre l'avion, apprêtée souriante et légère, un brin enjoué ! Je ne pars pas en vacances. Je vais voir les racines de mes voisins. Savoir qui je suis … Voir les marchés d'ailleurs, des paysages en forme de carte postale !
Je ne rêve pas je m'imagine tout bonnement ! Le sommeil me prend au petit matin malgré moi ! Le réveil devient alors de plus en plus difficile… Quatre jours par semaine, je vais au lever du soleil chez ma tante Man Luce. Je travaille avec elle sur le marché. Man Luce est la sœur cadette de maman. Elle tient l'étal d'épices et potions. Des couleurs en veux-tu en voilà ! Odeurs piquantes, chatouillis du nez… Des poudres, des écorces, élixirs ou liqueurs. Des racines, des noix… Et nous, au beau milieu ! Chaque marché a ses habitués, ses curieux…Ceux qui posent toute sorte de questions ; ceux qui nous regardent en coin. Les uns passent commande en un clin d'œil, d'autres attendent leur préparation habituelle ! Man Luce a toujours sur elle deux carnets : celui des comptes et commandes ainsi que le Sacré : celui des recettes, propriétés des plantes. Elle ne s'en sépare jamais. Ce que je préfère quand je travaille avec elle, c'est que tout ce qu'elle me dit à l'air de secrets d'alcôve ! Elle me raconte les nèg mawon, Ti -Jean l'horizon, l'homme au bâton … Elle m'initie au vaudou, ses prières, ses Dieux et Déesses. Les différences entre les magies. Le monde des anciens. Comment parler avec eux ! Elle me raconte l'humain. Dieu. M'apprend, me transmet les pouvoirs des graines, racines, poudre à tout va, poudre de perlimpinpin, la confection de philtre de potions magiques. M'enseigne les effets des marées, de la lune, du soleil et des vents sur les hommes. Elle me raconte le fil de la vie de la famille. Elle est Parole. Elle est Mémoire. Partir car je ressens qu'elle me lègue tout d'un bloc. Trop lourd à digérer, à porter ! Man Luce me parle tellement, que le soir quand je pose ma tête sur l'oreiller, je l'entends toujours. Sa voix danse dans ma tête ! Ses paroles se tatouent au plus profond de mon être. Je frémis à l'idée de lui dire, mon désir de voyager. Peut-être, devrais-je faire un repas avec Man Luce et Mondoux pour leur annoncer ensemble !
Oh lala ! Comme vous me voyez là ! J'ai l'impression de redevenir une fillette ! Je m'allonge quelques temps sur le lit. Mondoux s'amuse en cuisine. Il chantonne cette même mélodie quand il nous concocte des plats aux milles saveurs. Je sais que plus d'une femme, dans l'île désirait vivre l'amour, la vie avec Mondoux. Je devrais pouvoir lui parler sans crainte. S'il y en a un qui peut me comprendre, c'est lui. Pourquoi j'ai comme un vieux doute ? ! Les enfants ont aussi le gène de la partance. Ils l'ont fait bien plus tôt. Siméon a choisi le Québec, Inaya la métropole …
Mondoux me rejoint, s'allonge à mes côtés et enchaîne : - Pendant que le plat mijote, tu me dis ce qu'il ne va pas, Va–nu–pieds ?
L'heure de vérité vient de sonner. Je ne me sens pas prête … Je finis par lâcher le morceau. Lui demande ce qu'il en pense … Il reste là comme accroché au lit
- Ma réponse … Mes pensées importent peu à vrai dire ! Ce sont tes motivations que je suis en hâte d'entendre !
Je m'assis sur le lit en tailleur pour plaider ma cause en toute ma sincérité :
- Je me sens étouffée dans notre île. Ne me vois-tu pas m'éteindre ? J'ai besoin de faire connaissance avec moi. Me découvrir dans un ailleurs. Mondoux, nos enfants sont loin … Ce que nous vivons n'est que rengaine !
- Dis-moi Va–nu–pieds, tu me quittes comme tu quittes notre île, notre chez-nous, nos racines ?
- Ne prend pas la situation au tragique, tu veux ! Je ne te quitte pas ! Tu n'as pas l'air au courant que tu es Mondoux, mon époux, mon homme et rien ne va changer à cela…
- Angèle, je ne te comprends pas. Pourquoi veux-tu vagabonder le monde ? C'est l'affaire des jeunes comme nos enfants. Ici, c'est ton île, ta terre. C'est là que tu es née, les tiens comme les miens, et crois-moi, rien ne va changer cela non plus ! Reconnais que ton désir est surprenant, non ? Je peux me questionner sur tes raisons de vouloir faire table rase … Qu'est-ce qui t'arrive ma belle ? Tu as trop joué avec les potions et élixirs de Man Luce ? ! Toi et moi, nous avons passé tellement de jours avec ou sans soleil. On se connaît depuis tellement de lunes. Je n'arrive pas à croire que tu vas me laisser là tout seul … Tu m'entends ?
Je n'arrive pas à le croire Je baisse la tête et soupire avant de reprendre ma tirade :
- Je te raconte mon for intérieur. Je me raconte à toi parce je t'aime et que si une personne peut me comprendre c'est toi ! Je ne veux en rien te blesser.
- Tu en as de bonnes, tu ne veux pas me blesser. Tu veux savoir ce qui me blesse ! J'ai la sensation que tu rumines seule depuis fort longtemps … restons en là, je retourne à ma cuisine !
Je ne peux plus me cacher dans mes rêveries. Finies les récréations cérébrales. Un séisme vient de secouer la famille. Man Luce m'ignore depuis trois semaines. Ses yeux ne quittent plus le large. Mondoux est triste. Ce n'est guère dans ses habitudes. C'est toujours Mondoux mais en triste ! On pourrait croire que cela va me stopper, il n'en est rien ! La machine est lancée. Reste à trouver ma destination. Je penche vers l'Amérique du Sud, peut-être Caracas, l'Amazonie, le Mexique ou bien l'Equateur… Man Luce se détend depuis que j'évoque l'Amérique du Sud. Elle note, griffonne sur un nouveau carnet ; où elle a inscrit, en gros sur la page cartonnée mon prénom " Angèle " Je n'ose pas lui demander ce qu'elle écrit … Je la trouve plus gaie. Comment a-t-elle pu penser que je reprendrai le flambeau ? Que je deviendrai quimboiseuse ? Mondoux est rentré avec une carte immense des Amériques. Il l'a étalée sur la table du salon. Pour la tenir, a posé des gros cailloux à chaque extrémité. Il fredonne son air favori du moment et disparaît dans la cuisine. Je veux l'ignorer. Je ne peux pas. Elle m'attire. Le silence s'accroche à moi. Mes yeux parcourent ces belles immensités. Le Chili. J'aime sa longueur, sa forme. Je finis par m'installer pour mieux regarder. Mes rêveries m'accaparent. J'en ai la chair de poule. Une émotion que je ne connais pas. Amazonie, je frémis rien qu'à énoncer son nom. Frémir même si je ne m'y vois pas. Un doute … Pourquoi un endroit plus qu'un autre ? L'imaginaire … Chargé de nos peurs, de nos fantasmes même de nos idées reçues. Chaque nom, chaque bout coloré devrait m'évoquer quelque chose. Pas tous. Reste ceux sur lesquels je pulse. Où je pulse vraiment ! Mon cœur s'emballe sur le Nicaragua. Jacob me rejoint.
- Alors, Va–nu–pieds, tu trouves ton bonheur ?
Il est beau joueur ! Il se mettrait en quatre pour me rendre heureuse. Comment rester insensible ?
- Merci. La carte est très belle et bien faite. C'est une très belle attention de ta part.
- Quand pars-tu ?
- Ta question est brutale !
- Tu me dis que tu veux partir. A t'entendre, c'est presque une question de vie ou de mort. Je t'ai écoutée. C'est pour cette raison que j'ai choisi les Amériques. Je sais, Angèle, que tu as retiré tes économies. C'est vrai ou pas ? Et le comble : on m'a rapporté qu'on t'a vue rentrer dans une agence de voyage à petit bourg ! En fait, tu me dis juste les choses qui t'arrangent quand ça t'arrange. C'est moche ! La mauvaise foi ne fait pas habituellement partie de mon caractère. Prise en faute ! Oui, il a raison et après ! Aucun mot ne franchit mes lèvres. Aucun son, pas même un souffle.
- Ecoute-moi bien, Va–nu–pieds, je ne veux pas qu'on vienne mes colporter tes affaires. Avoir l'air déconfit ce n'est pas mon truc. Faire parler de nous, non plus d'ailleurs … Tu le sais ! Alors j'aimerai que tu me parles, que tu t'étales comme cette carte sur tes projets !
- Je n'ose pas. Je n'ai pas envie de te blesser, de t'ennuyer. Peut-être aussi que je suis égoïste, que ma démarche est personnelle … j'ai envie de te parler de concret... Je tâtonne, cherche ce qui correspond à ma quête. Je ne veux pas driver pour driver ! Je veux juste aller vers moi. Tu comprends ?
- En vérité, je ne comprends rien ! Comment espérer qu'en un seul coup d'avion, tu vas te trouver ? Enfantillages ! Tout apprendre, tout savoir de toi ! Tout saccager surtout oui ! Tout ce que nous avons construit ensemble ! On s'accompagne, on marche main dans la main depuis longtemps... Difficile de croire que tu veuilles marcher seule, subitement, sans raison.
- Quoi te dire ? Car, ce n'est ni notre couple, ni notre histoire que je remets en question. Je veux partir. Je n'ai jamais dit que je ne reviendrais pas. Sois honnête, Jacob s'il te plait ! Si je décidais de faire une retraite monacale, cela te dérangerait autant ? Si je partais voir l'un de nos petits, tu viendrais avec moi ? Eh bien ! Tu peux te dire pour mieux le vivre, que je pars en retraite spirituelle mobile !
Son corps tout entier se crispe :
- Angèle, je n'aime pas la tournure que cela prend ! Ça va trop vite. Il y a encore peu de temps nous goûtions au bonheur d'être ensemble. Là moi, je me sens tout chaloupé, en dérive…
- Comment te rassurer ?
- Oui, comment vas–tu faire ? Il coupe court à notre conversation.
Je suppose pour retourner à la préparation de son plat. Cuisiner le détend ! Il dit qu'il en oublie ses soucis !
À cet instant, à vous dire vrai ! Je ne songe qu'à sortir m'aérer. J'entends la voix de Man Luce ! À se demander s'ils ne se sont pas concertés pour gâcher mon beau projet ! Je vous décris le tableau : Elle, assise face à Mondoux, lui servant une infusion de citronnelle. Ils se chuchotent leurs paroles. Je pris courage et les rejoins. Ma présence brisa leurs cachotteries ! Man Luce se lève pour m'embrasser.
- Merci de ta visite Man Luce ! Que nous vaut cet honneur ?
- Je suis venue te parler ma fille…
- Allons-nous installer dans le salon. Nous serons mieux pour converser, si tu le veux bien…
Bien sûr qu'elle était d'accord pour me suivre !
Mondoux préféra sa cuisine. Un Coup d'œil vif sur la carte ; elle s'assit les fesses au bord du fauteuil. Mal à l'aise toutes les deux ! Là, j'ai l'impression d'être une ado qui attend l'accord de ses parents pour quitter le nid familial. Mon cœur bat la chamade. Ma main droite titille ma longue jupe … La parole de cette madame a toujours compté pour moi. C'est ma deuxième maman. Man Luce tenait fermement sa tasse de citronnelle ; avant de la poser sur la carte… Sur le Chili, sur Mon Chili ! J'y vis là un signe. L'acquiescement des mes anges gardiens, de mes protecteurs. Elle m'offrit un sourire, un rayon de soleil. Eclatant.
Mon palpite se ralentit. Je me calme. Cela ne s'arrête pas là … Elle sortit de sa besace, le petit carnet, où mon prénom s'étalait, de tout son long " Angèle "
Quel cadeau ! J'adore l'écriture de Man Luce. Les lettres dansent sur le papier. Toujours un bloc, une liste rédigée droite, et puis, les annotations savoureuses ! Des justesses rajoutées. Ce qu'il faut retenir. Elle n'utilise pas de crayon de couleur, pas de surligneur néanmoins tout est limpide. Elle peut écrire petit comme gros ! Depuis longtemps, je garde dans une boite en fer, ses notes. Liste de courses avec des recettes, des débuts de secrets… Impatiente de savoir le contenu de ce petit carnet. Man Luce rompt enfin le silence ! Elle s'assit plus confortablement. Peut –être a-t-elle sentie que je me baladais dans mes pensées ? En chapée ! Je fais toujours comme elle. Du mimétisme sûrement !
- Ma fille Angèle, tu as toujours marché dans mes pas. Naturellement, je me figurai que tu allais reprendre mon affaire en temps et en heure ! Que je te laisserai mes carnets. Mais puisque tu pars… j'ai pensé qu'il t'en faudrait un personnel. Ton propre carnet, enfin c'est à toi de voir ! De savoir si tu veux le prendre dans tes déplacements !
- Merci Man Luce. Merci. Vraiment ! C'est très gentil ! Je pense savoir où je pars !
L'impression qu'elle le savait déjà… Me souriait. Elle me donna une bourse à tisane. Moi, qui attendais mon carnet ! Elle m'incita à la préparer avant de m'endormir. Selon elle, au réveil, je n'aurai que des certitudes.
Elle m'offrit enfin, le fameux carnet, avec comme recommandation de ne l'ouvrir, qu'une fois sur le point de partir … Subitement, elle parut agacée. Elle clôtura notre entretien en deux temps, trois mouvements ! Je n'en saurai pas plus aujourd'hui ! Jacob dresse la table. Malgré quelques chocs, dans l'ensemble, nous vivons dans une atmosphère douce. Comme si de rien n'était ! Difficile pour moi, un tiraillement constant.
Prête à exploser ! J'en oubliais ma fameuse tisane ! Certainement, je désirais vivre dans mes rêveries, mes frasques imaginaires !
Au fond, Jacob a raison : pourquoi partir si on se trouve bien là où nous sommes nés ? Après maintes remues méninges, Santiago du Chili s'est imposé comme destination. La Cordillère des Andes… Je ne parle plus je réfléchis. L'avion ? Le bateau ? Aucune certitude. Je me tourne alors vers le savoir de Man Luce ; me prépare sa potion. Je me suis adoucie avec Mondoux, le rassure.
L'essentiel est dans le sentiment. Je ne peux envisager une séparation… La rupture. Non ! Décidément c'est inconcevable !
C'est moi qui me déplace, pas mes sentiments envers lui. Je sais, vous allez me dire que je veux tout !
Oui, c'est la réalité. Je veux tout. Ce n'est pas mal ! Je n'ai besoin d'aucune raison …
Plausible aux goûts des autres ! Avant de m'endormir, je bois la recette miracle !
Embrasse tendrement Mondoux, lui rappelle mon estime, mon amour pour lui. Quelques étirements, je me réveille en douceur. Seule… Bien seule dans notre grand lit, dans notre case ! Quelle heure peut-il être ? Tard ! À en croire les rayons chauds du soleil que je savoure ! Je regarde la chambre avec de nouveaux yeux. Je respire chaque coin, recoin de ma case. J'y traîne mon corps. Tout mémoriser son odeur, ses défauts, le temps son évolution …
Je réalise que je me quitte un peu aussi d'une certaine manière !
Comme si j'enlevais une vieille peau. Immersion en moi en allant vers les autres. M'ouvrir au monde. Le Chili, un bon commencement !
Vaste, long et étroit avec des diversités extrêmes. Je me prépare dans ce qui me reste de commun, de quotidien. M'imagine préparer mon sac pour cette belle partance. Commencer un pense-bête. Je m'apprête à rendre visite à Marta. Nous parlons peu de ma décision de quitter l'île.
" C'est tout bonnement impensable ! Inenvisageable ! Pure folie ! Un caprice ! " Pour la citer !
Il est grand temps d'aller en bavarder car mon départ devient imminent. Je sais, vous allez me dire que je vais bien vite en besogne ! Pas de billet. Rien de prêt sauf Moi… J'arrive enfin devant notre snack préféré. On y boit les meilleurs jus de fruits de l'île. Du pur régal. Marta m'attend. Robe rouge. Divine.
À ma vue, elle sourit. J'avance vers elle. Elle se lève pour m'embrasser.
- Ah ! Enfin te voilà ! Je m'impatientais à l'idée de te voir ! J'ai déjà commandé.
- Tu vas bien ? Tu te trouves bien enjouée ! Et attention la robe … tu t'es mise en élégance !
- Je te retourne le compliment, Angèle … On ne va pas se laisser aller parce qu'on a dépassé la quarantaine !
- Tu as raison et le laisser aller, ce n'est pas vraiment notre genre !
- C'est vrai mais installe-toi … La table te convient ?
- Super …
Nos longues politesses n'en finissaient pas !
Cela accentue le malaise. Nous sommes sous-tension. Heureusement le service est rapide, nous apprécions nos jus avec doubles délices … Leur goût et le silence. C'est Marta qui relance la conversation :
- Angèle, tu sais, je suis au courant quant à ton départ !
- Je m'en doute ! Ici tout se sait ! mon départ est imminent …
- Et comment cela se passe avec Jacob ?
Angèle soupire :
- Ça va sans aller ! Il ne comprend pas pourquoi je veux quitter l'île et encore moins sans lui !!
- Angèle, c'est normal ! Mets-toi à sa place du jour au lendemain ta femme chérie et aimée décide de mettre les voiles. Cela ne doit pas être facile à accepter pour lui qui a toujours été et est toujours auprès de toi, non ? Tu ne crois pas ?
Angèle joue avec son verre, son visage est sombre :
- Tu t'es déjà réveillée un matin, Marta te disant que tu ne te connais pas… Enfin pas vraiment ?
Marta ressent le malaise de son amie de toujours :
- Non, mon amie je ne me pose jamais ce genre de question. Et crois-moi, tu t'en poses beaucoup trop ! T'as peut-être pas assez de problèmes alors tu t'en crées ?
- Ils sont tous balayés par mon besoin de partir de cette île ! Mais t'es raide, on ne peut pas dire que tu me soutiennes !
- Ah ! Ne prends pas ça mal ! Moi, ce que je te dis, c'est ce que tout le monde se chuchote ! Ce n'est pas pour t'embêter ! Je pourrai faire semblant d'être contente pour toi, comprendre. Rire, faire des pia-pia avec toi comme si de rien n'était… Aussi légère que ma robe !! Mais, toi et moi, on se connaît depuis fort longtemps maintenant, et, je suis ton amie alors rêve pas, Angèle, je ne te comprends pas… Je te trouve sur tes grands airs, bien ancrée sur ta jolie personne. Pas trop confiance en toi ni même dans les autres ! Je ne te reconnais pas. Qu'est ce que tu nous fais un genre de crise d'ado sur le tard ?
Angèle se décompose, lance tout de go :
- Là, tu es carrément dure avec moi ! Bon, allons à l'essentiel ! Est-ce que l'on mange ensemble ou on continue à se piquer ? Je suis affamée
- Moi aussi ! Commandons comme d'habitude…
Un sourire d'Angèle, l'œil pétillant :
- J'aimerai bien changer pour une fois…
Enfin, elles rirent ensemble et partagent ce moment dans la complicité et l'affection qu'elles ont l'une pour l'autre. La vitesse supérieure s'est enclenchée.
Je choisis le bateau avec des escales assez longues. Je suis ravie de mon choix. Tout me plait dans ce voyage même ses longueurs !
Avec Mondoux les liens se distendent. Il organise sa vie sans moi ; j'aimerai lui crier que je suis toujours là ! Cela me met dans tous mes états, vous devriez me voir, me morfondre face à son indifférence. Oh ! Vous pensez certainement que je l'ai cherché ? Peut-être auriez-vous raison mais c'est raide même à vivre ! Ma liste des choses à ne pas oublier, se raye, se rallonge. Ma trousse à pharmacie que Man Luce me prépare… Mes papiers… Dicos de poche. Eh oui, j'apprends des rudiments d'espagnol, revois mon peu de notions d'anglais ! J'examine la carte du Chili et regarde d'un peu plus près mon parcours en bateau, mes escales. La date du départ est arrêtée. Mes affaires se préparent. Les enfants sont au courant. Siméon ne dit rien. Quant à Inaya, ma belle et fougueuse Inaya, elle croit tout bonnement que sa mère est en pleine révolte… Que je veux me sentir une femme libre. Alors qu'avec son père, je me suis toujours sentie femme libre. Nous nous sommes connus jeunes. Est-ce qu'on ne s'est pas mutuellement influencés ? Jacob s'accomplit… Moi, il me manque une pièce dans mon puzzle et c'est à la quête de celle ci que je vais. Aucune révolution féminine, ma douce Inaya ! Non, Juste une vie à vivre … Ma vie en entier… Avec Mondoux, nous avons réussi à tomber d'accord sur une date de retour souple. Cela le rassure. Pourquoi pas ? Cela va me stimuler dans mon voyage. Il est plus compréhensif… Il sait que je ne prends pas une semaine de vacances. Notre négociation : 6 mois. Avec bien sûr des rendez-vous téléphoniques, épistolaires et bien sur la nouvelle technologie… Man Luce réagit un peu à la version de Mondoux.
Elle s'organise, je suis déjà partie ! Elle me rabâche que c'est pour ceux qui restent que c'est le plus dur ; que moi je n'aurai pas assez de mes deux yeux pour tout découvrir. ! Eux n'auront que mon souvenir dans leurs yeux …
Jour J -4
Je m'autorise une journée pour aller saluer le volcan. Je pars en mini expédition, j'ai décidé de faire l'ascension à pied. D'habitude, je prends le bus ou la voiture qui facilite la moitié du chemin.
Aujourd'hui je veux prendre mon temps… Savourer les beautés de ma terre, son côté luxuriant, lui dire au revoir. Mon île. Elle me manque déjà ! Son odeur, son ciel, j'aime ces temps où nous sommes vraiment dans l'endroit. Ancrés dans le temps et le lieu. Cette journée coupée du monde m'a fait un bien fou.
Le silence urbain, silence humain … Quel bonheur ! Depuis quelques temps, un défilé de proches et moins proches s'est fait à la maison. Ils viennent me saluer ! Le bouche à oreille a fonctionné à merveille !
J'ai l'occasion de revoir des âmes dont l'existence m'avait échappée !!
En rentrant de mon escapade volcanique, je téléphone à Marta pour lui dire au revoir. Je la sens fâchée. Elle ne m'en veut pas ; je la sens consternée que j'aille jusqu'au bout. Elle a pris cela pour une tocade. Elle ne m'a pas prise au sérieux.
Pourtant, on se connaît, on se reconnaît. Partage et échange. Elle n'a rien vu venir ... Mondoux, lui, est des plus charmant ! Une journée d'émotions ; de vagues de sensations. Cela me bouleverse, rien que d'y repenser. Mon homme veut me changer la couleur de mes idées. Il me laisse une heure pour me préparer …
Tout en prenant ma douche, je songe que j'attends toujours ma trousse à pharmacie de Man Luce. Elle se fait introuvable !
Mon sac de voyage se boucle, mon bagage à main en prend tournure mais plus lentement ! Reste les papiers, un livre à choisir, mes dicos, la papeterie à acheter type enveloppe by air pour que mon courrier arrive …
Me faisant jolie, je fais une mise au point sur mon pense-bête. Mondoux s'impatiente …
Enfin prête ! Manque l'essentiel. J'entends Jacob qui me crie " Va-nu-pieds, tu les trouves tes maudites chaussures ? " J'adore ! Une soirée merveilleuse : nous commandons un sandwich végétarien au camion près de l'embarcadère. Les meilleurs de l'île !
Nous les dégustons sur les rochers. La mer parle avec les mats des bateaux amarrés ! La nuit est étoilée. Je me sens bien. Jacob m'emmène siroter un jus dans un de nos endroits fétiches. De la bonne musique dans un lieu calme, de l'espace pour danser avec vue sur la mer ! Au cours d'une danse collé-serré il me susurre de jolis mots ; un collier de perles de douceurs, de la poésie… Mon départ n'est pas à l'ordre de cette belle nuit éclairée par nos regards amoureux…
Jour J-3
Man Luce m'a levée à 6h30. Elle tambourine à la porte pour m'apporter la trousse de secours.
C'est une trousse de toilette énorme, remplie à bloc de ses propres décoctions. Des remèdes faciles à utiliser, à diluer ; plus une base élémentaire.
Attention ! Ne vous fiez pas aux apparences !
Elle est moderne ! Pansements de toutes tailles, un désinfectant, une bombe anti-moustique, brumisateur, huile pour mes cheveux, une autre pour ma peau et une crème solaire ! Elle sent bon la coco. Elle est fraîche et joyeuse. Bon début de journée ! Mondoux est toujours au lit. Fait rarissime. J'imagine qu'il va rester avec moi aujourd'hui. Mix up dans ma tête, je me sens fragilisée. Faut-il être sans cœur pour le laisser là tout seul ? Pas le souvenir que l'on se soit quittés plus de cinq jours d'affilés, et si peu depuis que nous vivons ensemble.
Si je reste je vais finir par le rendre malheureux, je lui mènerai la vie dure.
Serai imbuvable car je me serai perdue. Je deviendrai frustrée, toujours dans mon vaste questionnement nombriliste.
Je n'ai aucun doute je dois quitter l'île. Au fond, j'aimerai certainement que Mondoux me rejoigne dans mon périple … Plus tard ou qu'il m'attende … Comme les femmes des marins ! Je ne pars pas définitivement, pas cette fois ci !
Il se lève vers 8 heures, tourne en rond. Je le sens s'agacer, il part travailler deux heures plus tard. Moi, je m'organise prenant le temps.
Journée bien remplie par les préparatifs. Téléphone aux enfants pour leur dire comment j'envisage mon départ si proche et que je les aime.
Jour J-2
Mondoux est sombre au réveil. Cela le met de mauvaise humeur de voir les sacs de voyage d'Angèle. Non, vraiment, il n'est pas content ! Il en a bougrement assez de cette histoire !
Il se lève avec le soleil pendant qu'elle dort du sommeil du juste ! Alors, il se fait sonore … Chante sous la douche, met la musique au volume le plus fort, en petit déjeunant et claque même la porte en partant ! Angèle sursaute, se réveille doucement. Elle a bien ressenti que son lever n'est pas des plus doux. Qu'a donc son homme ? Quel vent le pousse ? Elle s'assoit et s'étire. Respire l'air de la chambre. Elle adore l'odeur de sa maison au petit matin.
Elle se lève et avant de se préparer son thé à la citronnelle, elle note les points essentiels à régler avant son départ maintenant si proche. Deux jours avant l'embarcation, son cœur bat plus fort à l'idée… Elle se sent existée. Elle pense aux petits plaisirs qu'elle peut emmener avec elle, de la mangue, de la coco et goyave séchées, des gousses de vanille, des noix de muscade et piments oiseaux, du cacao et gingembre, bref, de quoi agrémenter son quotidien pendant son périple en bateau. J'aimerai bien aller voir Man Luce aujourd'hui… Lui dire un bel au revoir, la serrer dans mes bras.
Lui dire les mots qui d'ordinaire ne sortent pas de ma bouche. Elle me donne tellement. Je ne pensais pas que cela pouvait être possible. Tant d'amour. Tant de transmission. Ma deuxième maman. Je me prépare à ma dernière journée marathon dans cette île ! La mauvaise humeur de Jacob me tracasse. Je me décide donc de lui téléphoner pour prendre la température. Refroidie par le ton sec de sa réponse.
Il n'a pas de temps à me consacrer et raccroche. Que lui arrive-t-il ?
Drôle d'attitude soudain. Je pars vers le marché où j'espère trouver Man Luce.
Elle est là comme d'accoutumée au milieu du tout, avec un jeune homme Kooli que je ne connais pas. Elle est étonnée de me voir là. Je tombe mal ; elle n'oublie pas de me le dire. Je l'embrasse chaleureusement, lui promet de lui donner des nouvelles. Elle est froide et indifférente …
Il faut croire qu'ils se sont donnés le mot. Cours, cours auprès du temps… Toujours à faire, je rentre sur les genoux. Jacob n'est pas là. À ma plus grande surprise !
Il rentre tard, va directement à la cuisine. Prépare une collation légère. Aucune parole. Il part s'isoler une fois le repas achevé. Je reste seule ! Vivement demain ! Avec l'espérance que les tensions s'atténuent…
Jour J-1
Je vérifie mon pense-bête au premier lever de paupière, pose le pied au sol. Demain, c'est le grand jour. Mon grand jour ! Je ne peux plus attendre … Je me plonge dans mon guide de conversation espagnole. Je reste à la case. Pas envie de courir partout, de m'éparpiller. Une journée à me lézarder dans le jardin ; journée dans l'attente du lendemain …
J'espère le retour de Mondoux de bonne heure et mon vœu est exhaussé. Il arrive peu de temps après ma pensée. Il est plus détendu. Il swingue à son entrée. Je songe au temps encore si proche où il m'attendait sur le pas de la porte et me prenait mes chaussures des mains dès mon arrivée ! Il m'invite à m'asseoir auprès de lui au salon. Il me parle du départ ; me demande si je préfère qu'il vienne ou non m'accompagner au bateau. Je n'y ai pas pensé. Je ne sais quoi répondre. Je lui souris. Il me dit que nous pouvons couper la maracuja en deux !! Faire un bout de chemin ensemble, prendre le petit déjeuner non loin du port. Tant de délicatesse me touche, j'accepte volontiers sa proposition si douce. Cette fin de journée s'étale sur les souvenirs, dans les rires.
Vivres ces instants auprès de lui, de notre amour… Quelle Joie ! Cette intensité me réjouit, me donne des forces. La nuit tombe sur l'île. Le temps passe sur nos corps. Nous regardons enlacés le soleil se lever.
Nous savons tous deux que dès que nous bougerons ; la magie s'atténuera, elle restera dans nos mémoires.
Tout à construire pour notre relation qui connaît les affres de la mer ! Je me lève la première. Vais sans palabrer me doucher. Mon palpite résonne en moi comme un rythme de Gwo Ka !
Je respire profondément. Je savoure. Mondoux me stimule à me dépêcher … Pour que nous ayons le temps de petit déjeuner vers le port. Ne rien oublier. Mes billets ! Quelques photos prises au dernier moment … Jacob, Mondoux, mon homme, mon ami, mon mari Quelle classe !
M'accompagne dans chacun de mes gestes, m'aide dans le choix cornélien de mes chaussures de voyage !
Dire au revoir à ma case tant aimée. Au revoir, pas Adieu. Dire au revoir à mon île, ma terre, à ma vie d'ici…
D'un coup tout va vite, le petit déjeuner, mon dernier enlacement avec Jacob. J'ai un pincement au cœur.
J'arrive au bateau, j'embarque.
Un membre de l'équipage m'indique ma cabine. J'y installe mes affaires et me voilà sur le pont. Au loin, je vois Marta qui me fait des grands coucous.
Je lui réponds. Mon cœur pleure de les quitter tous. Ils ont fait ma vie. Man Luce est à côté de Mondoux. Ils me regardent. Je leur souris et leur envoie des baisers … Malgré ce qu'ils pensent, ils vont beaucoup me manquer ; chacun à sa manière ! Le bateau quitte l'île. Ils deviennent de plus en plus petits. L'île disparaît. Nous ne les voyons plus. Nous sommes conviés à nous rentrer dans la salle des repas.
Là, premier contact avec l'équipage au complet, la sécurité sur le bateau, l'organisation de notre séjour maritime et le buffet d'accueil. Je me sens bien comme un poisson dans l'eau !
À moi, le temps d'être avec moi, d'aller vers l'autre, les racines de mes voisins …
Une pensée vers ceux que j'ai laissé et j'aime. Une autre vers le Chili tant désiré…
Mon Chili, me voilà j'arrive ! J'entends la voix de Mondoux me glisser au creux de mon cœur ″ Gadé douvan va-nu-pieds ″…
Bye bye Gwadada, hola el Chili, ça donne envie de voyager, de s'en aller un peu, goûter le bonheur ailleurs sans oublier d'où l'on vient, jamais. Comment oublier ce beau papillon de toute façon;-)? Merci pour ce texte.
· Il y a plus de 10 ans ·Mélanie Courtois
Merci :)
· Il y a plus de 10 ans ·Sonia Taguet