Environnement virtuel

david-b

C'est l'automne, et les feuilles volent jusqu'à ses pieds, tandis qu'il rentre à son appartement, l'air un peu blasé comme d'habitude, ce n'est pas forcément le temps grisâtre qui le rend triste, mais plutôt sa vie et sa banalité.

Le verre d'eau à la main, il contemple les tours citadines qui s'élèvent aux abords du parc, cette vue assez impressionnante qu'il a depuis son balcon. L'air n'est pas trop froid encore, mais bientôt il ne pourra plus sortir. Plus les années passent, et plus les hivers sont rigoureux.

Ce n'est pas son appartement. C'est celui de son père, décédé quinze jours plus tôt, qu'il n'avait plus vu depuis dix ans. Unique héritier, il s'est ainsi retrouvé à loger là. Il passe ses journées à fouiller dans ses affaires. Il est parfois amusé de découvrir certaines choses qu'il ne connaissait pas sur lui, c'est étonnant que son père n'ait pas tout raconté dans ses réseaux sociaux. C'est quelque chose qui demeure encore chez les gens de cette génération, à dissimuler certains faits sur eux, à une époque où tout le monde dit tout sur Internet. Aujourd'hui la discrétion n'a plus de sens, au contraire garder des secrets paraît ridicule, c'est un peu montrer une méfiance vis-à-vis de la société, des gens qui nous entourent...

Et parmi toutes ces affaires, il finit par retrouver l'une de ces anciennes stations de simulation. Celle-ci doit bien dater d'il y a au moins quinze ans. C'est l'un des tout premiers générateurs d'environnements virtuels créé par Sega. Il le branche, et pose le casque sur sa tête. Les petites diodes devant lui s'allument successivement selon une séquence prédéterminée, ses yeux se ferment et il quitte la réalité.

Il se retrouve dans une petite salle, le hall d'entrée. En consultant les différents menus des écrans autour de lui, il comprend qu'il est dans un environnement virtuel créé par son père. Il avait un rôle assez important chez Sega, entreprise pionnière de la simulation virtuelle. C'était cela qui les avait éloignés, et désormais c'est ce qui lui permet de se rapprocher de lui.

Cet endroit, cet environnement virtuel, c'est un espace unique, aux contours irréels. Une fois sorti du hall d'entrée, il est étonné de voir autant de gens encore présents en ces lieux. Il reste un moment à contempler les alentours, à scruter les visiteurs, puis il repart.

Il revient le lendemain.

Il revient le jour d'après.

Et il revient le jour d'après.

C'est assez fascinant d'observer un tel paysage, totalement irréel et pourtant aussi impressionnant visuellement. C'est comme aller à la plage, et contempler l'océan, ressentir l'immensité de toute cette eau. Ici, ce n'est pas la plage, ce n'est pas l'océan, mais les sensations sont similaires, voire plus fortes. Peut-être est-ce parce que ces lieux ont été créés par son père, que chaque ligne de cet endroit a été tracée par cet être qui l'a quitté. Pourtant, le fait qu'il y ait tant de gens ici, le fait que cet espace ne soit pas seulement virtuel, l'éloigne de lui. Marcher ici, c'est un peu comme se rapprocher et s'éloigner de son père, c'est faire son deuil en foulant ses créations envahies par d'autres gens qui ne sont pas de sa famille.

Il se rend ici tous les jours, et plus le temps passe, plus il s'éloigne de ce qu'il a pu être, de sa famille et de la tristesse qui était en lui.

Il y a cette fille, qui vient également chaque jour dans cet environnement. Elle n'est pas seule, elle vient avec quelques amies. Allongée sur l'herbe d'une prairie irréelle, son regard perdu dans les lignes lointaines qui se courent après, elle semble étrangère à l'effervescence des lieux, alors que ses amies discutent gaiement. Un jour, il s'approche pour leur parler.

Salut ! Vous faites quoi ici ? Vous venez d'où ?

Et toi ? Ah oui.

Il sympathise avec les trois filles, et avec cette fille qui l'attire, ils se lancent des regards ambigües. En croisant ses yeux, il a l'impression de s'éveiller à autre chose. Quelque chose d'étrange, mais d'extrêmement attirant.

Un jour, elle vient seule. Ils marchent un peu, ensemble, font le tour de cet espace extraordinaire. Et soudain, quand les parois changent de couleurs, il la prend dans ses bras et l'embrasse. Ses lèvres se posent sur elle, et tout se fige. Autour d'eux, les parois coulent, se diluent, disparaissent tout en demeurant présentes, c'est un bug, l'environnement virtuel a bugué et ils sont désormais bloqués, voués à s'embrasser là à jamais, parmi l'évanouissement et le renouvellement de ces couleurs fantastiques, quel magnifique moment, voués à se découvrir éternellement...

Jusqu'à ce que quelqu'un débranche l'un de leurs deux générateurs, et qu'ils meurent tous deux emportés par l'émotion trop vive de ce sursaut de virtualité. Ce baiser infini, fatal et pourtant artificiel. Tous deux partis, ils ne pourront plus revenir.

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