Episode 2 : rencontre du troisième croc
lunule-campanule
Izi ferme les yeux quelques secondes. Elle lâche le menton de sa fille pour prendre son visage entre ses mains et la regarde droit dans les yeux.
- Ce n'est pas grave. Ce ne sont que des dents un peu longues et pointues, d'accord? Ce n'est qu'un effet de ton dysmorphisme. D'accord, tu n'es pas un vrai vampire, il fait jour et tu vas très bien. Tout iras bien, d'accord ?
Isaure laisse couler quelques larmes en bafouillant des "d'accord" à peine intelligibles, puis éclate en sanglot dans les bras de sa mère. Au bout de quelques minutes, l'adolescente se calme.
- Bien, maintenant, fais attention à ne pas t'écorcher avec tes dents, et si cela ne va vraiment pas, on essaiera de te donner une aspirine, d'accord.
Isaure hoche la tête en essuyant son visage. Son frère passe maladroitement ses bras autour d'elle, hésitant sur la conduite à tenir. Ses dix-sept ans ne l'aident guère dans ses rapports avec sa sœur ainée.
Sa fille calmée, Izi monte sur la table de pique-nique et scrute le parking. Il ne lui faut pas longtemps pour repérer ce qu'elle cherche : un coffre de toit grand volume.
- Restez là, je vais prendre contact avec le vampire. Restez ensemble, d'accord ?
Les enfants acquiescent, toujours enlacés. Pendant qu'elle s'éloigne, ils changent de pose, Isaure tournant le dos à la foule et donnant des conseils à Benoit sur ce qu'il doit observer en priorité.
Izi s'approche prudemment du véhicule, elle en fait le tour à une distance respectable afin de s'assurer que la conductrice est seule. C'est une femme à l'air décontractée, vêtue d'un jeans, de basket et d'un tee-shirt bariolé. Elle ouvre les portières de la voiture d'un air détendue mais Izi ne s'y trompe pas, l'inconnue a fait un tour d'horizon. Elle ne devrait pas tarder à la repérer. Izi s'avance donc vers la voiture sans hésitation. La femme rattache son abondante chevelure rousse et bouclée en chignon en la regardant avancer. Son expression, comme celle d'Izi, est neutre. Elles se regardent en chien de faïence pendant une bonne minute puis Izi, d'un geste un peu hésitant, porte la main à sa bouche, l'encadrant de son index et de son majeur, puis fait voler ses doigts écartés à son cœur. La femme sourit et d'un geste furtif, fait courir son majeur du haut de son front jusqu'à son cou.
- Bonjour, je suis Barbara, séide de Dagan, de la horde de la Pierre du Dragon.
- Enchantée, je suis Isaure Martin Primeval, sorcière.
Elles se serrent chaleureusement la main.
- Et bien, cela une éternité que je n'ais pas croisé quelqu'un du monde, mais sur cette route, …
- C'est le contraire qui serait étonnant. Vous avez quitté votre Terra?
- Il y a des années. Je préfère le vrai monde.
- J'avoue que je connais peu les sorciers, vous savez, les vampires évitent de se mêler à eux.
- Il est vrai qu'on gagne à nous éviter, mais il y a des exceptions à toutes règles. Et puis, je ne pouvais que vous trouver, votre compagnon a provoqué une belle poussée dentaire chez ma fille.
- …
- Dysmorphisme. Les sorciers aussi ont leurs maladies rares.
- Heu, navrée. C'est étrange comme maladie.
- Bof, ce sont des choses qui arrivent. Et vous, qu'est-ce qui vous amène dans ce relais d'autoroute?
- La même chose que vous, j'imagine, faire une pose pendant le trajet.
Les deux femmes se sourient d'un air entendue, complices dans leurs dissimulation réciproque. Izi reprend :
- Vous n'aviez aucune raison de vous arrêtez dans ce lieu précis?
- Dans ce relais en particulier? Non. c'était juste le moment de faire une pose. Vous êtes en famille ?
Izi jette un coup d'œil vers les bancs de pique-nique. Elle a déjà mentionné Isaure et un seul vampire et sa séide ne représente pas un grand danger.
- Ils sont là-bas. Je vais les chercher.
En s'éloignant, elle réfléchit. Les rapports entre les sorciers et tous les autres sont toujours conflictuels, les sorciers estimant, unilatéralement, qu'en tant qu'êtres supérieurs, il est naturel que tous les autres obéissent. Pourtant, cette Barbara lui a paru bien disposée à son égard.
Isaure se regarde dans son portable, sourcil froncé parce que ses canines déforment son menton et son frère est plus occupé à se moquer d'elle qu'à guetter. Machinalement, elle regarde les alentours, au cas où Paul serait revenu, mais il n'y a que trois adolescents qui regardent dans leur direction. Elle s'assoit auprès d'eux.
- C'est bien un vampire.
Ses enfants pouffent involontairement devant l'évidence.
- Sa séide s'appelle Barbara, elle m'a plutôt bien accueilli. Elle n'a pas du rencontrer beaucoup de sorcier. Et je ne sais pas ce qu'ils font ici.
- Je croyais qu'ils se déplachaient en bande?
- Ça dépend. Et puis une caravane de break avec coffre de toit attire l'attention, alors …
Izi agite négligemment la main.
- Tu lui as dit, pour papa ?
- Non. pas encore. Mais je vois mal un vampire se compromettre dans ce genre d'enlèvement alors ils sont surement plus digne de confiance que des sorciers.
- Pourquoi tu dis ça?
Isaure a compris avant son frère et c'est elle qui répond.
- Parce que maman n'a plus d'allié et que cha fait longtemps qu'elle n'est plus au courant de ce qui se passe. Alors elle va demander de l'aide.
- Allons la rejoindre.
Isaure cache sa bouche derrière son portable et sa main et dés qu'elle arrive à la voiture de Barbara, elle s'assoit sur le siège avant, hors de vue. Izi sent tout de suite que quelque chose a changé dans le regard de Barbara.
- Au fait, où allez-vous ?
Barbara sourit devant cette question sans détour.
- Et vous ? en route pour Terra Purpura ?
- Vous êtes très bien informée, pour une séide.
- Je suis très bien informé tout court. Vous êtes quelqu'un d'intéressant, m'as-on-dit.
- Nous étions bien en route pour Terra Purpura.
- Nous essayons de trouver une secte.
- Mon mari a disparu. Pourquoi la traquez-vous ?
- Ils s'en sont pris à des Candidats Potentiels. Depuis quand ?
- Après le déjeuner, ici. A quoi ressemblent-ils ?
- Ils sont discrets. Mais on pense que certains d'entre eux circulent sur cette route. Ils sont toujours à l'affut de jeunes victimes. Vous avez une piste ?
- Y a des types chelous qui m'ont parlés, tout à l'heure.
Les deux femmes se tournent vers Isaure, qui hausse les épaules devant leur air furieux.
- C'était pour aider.
Elles reprennent leur tête à tête :
- Aucune piste. Si je vous aide …
- Dagan et moi-même vont apporterons notre aide.
- Je vous apporterais mon aide et mes enfants aussi tant qu'ils ne risquent rien.
Elles scellent leur accord d'un simple signe de tête. Barbara se tourne vers Isaure :
- Qu'est-ce t'appelle des types chelous?
- Deux garçons et une fille. Ils sont venus me parler tout à l'heure. La fille tirait la gueule.
- Il y avait trois ados, là-bas…
- Pourquoi t'ont-ils paru bizarres ?
Demande Barbara en ignorant Izi.
- Ils sont venus me parler, déjà. C'est bizarre sur une aire d'autoroute. Et puis, ils étaient habillés pareils, enfin tee-shirt unis, jeans bleu et baskets blanches. D'habitude, les gens portent pas exactement les mêmes vêtements.
- Tu as vu avec qui ils étaient?
- Non. ils étaient à coté d'une grosse voiture grise mais je n'ai pas vu d'adultes.
- C'est surement eux, et s'ils sont encore dans les parages, c'est que tu leur as tapé dans l'œil.
- Alors ça, c'est une chose qui ne me plait absolument pas.
Barbara hausse les épaules.
- Nous ne sommes pas sures de ce qu'ils cherchent dans leur victime mais on pense qu'ils essayent d'abord de les convaincre. Avant de les enlever.
Izi fait une grimace, guère rassuré par les suppositions de Barbara.
- Benoit et moi allons repérer ces mécréants, veillez sur ma prunelle ou il vous en cuira.
Ils s'éloignent sous l'œil interloqué de Barbara.
- Elle parle souvent comme ça?
Isaure hausse les épaules, la mine renfrognée.
- Non, c'est juste quand elle est à cran. C'est comme ça qu'on parle dans les Terra.
Barbara observe l'adolescente qui regarde le sol, le visage entre les mains.
- Tu sais, tu peux les rétracter, les crocs. Pince-toi le nez et aspire un grand coup.
Isaure s'exécute en affichant un air sceptique, mais au bout de quelques essais, elle parvient à donner à ces dents une longueur plus confortable.
- Merci.
- Pas de quoi. Au fait, je m'appelle Barbara Ingleton.
- Vous êtes anglaise?
- Non, c'est la conséquence d'un mariage malheureux. Et toi, quel est ton nom?
- Isaure Martin.
- Comme ta mère ?
Isaure hausse les épaules, l'air las de répéter toujours la même chose.
- C'est un nom de fille ainée. Les sorciers sont obsédés par les noms.
- C'est intéressant comme coutume.
- Bof, le nom doit définir l'identité, donc plus le nom est porté, plus l'identité est diluée; pour tout les sorts nominaux … mais les sorciers ont des noms secrets …
Isaure se tait en pleine phrase, les yeux perdus dans le vague.
" Les noms sont tous et ils ne sont rien, Isaure, le tien, ton nom de fille ainée, n'a aucun sens parce que depuis temps immémoriaux, d'autres femmes l'ont portés en d'autres temps. Et pourtant, ce nom est tout, si je sais qui tu es, c'est pourquoi il faut aussi un nom secret, pour se prémunir des gens de magie, y compris ta propre famille. Pour les gens ordinaire, il suffit du prénom et du visage, mais pour nous, pour nous lancer un sort, il faut connaître le nom secret."
De l'importance du nom. Son père avait écrit pompeusement la formule avant de lui expliquer que connaître le nom, dans un sort, ne servait qu'à éviter de se tromper de destinataire et qu'il y avait une infinité de sortilèges capable de cibler n'importe qui correspondant vaguement aux critères du sort.
- Ca va ? tu as eu l'air … absente?
- Je pensais … je pensais aux sortilèges. Ma mère en utilise un pour … heu pour faire un truc avec … heu
Isaure est tellement divisée sur ce qu'elle peut ou doit cacher sur sa famille que Barbara prend pitié d'elle.
- Tu n'as pas l'air plus calé que moi en relations vampire/sorcière. Dis-moi juste à quoi tu viens de penser.
- Aux cameras de surveillance. C'est possible d'effacer des gens des bandes donc si c'est à cause de la magie, il sera pas sur les bandes.
- La magie l'aura automatiquement effacé ?
- Non, mais n'importe qui penserait à les effacer et si c'est un sorcier, il le fera par magie. C'est une idée … bonne ?
- Oui, c'est une piste à creuser.
Pendant ce temps, Izi et Benoit arpentent le relais pour repérer les trois adolescents. Presque malgré elle, Izi repère toute les jeunes femmes minces et brunes qu'ils croisent. Elle se fait ironiquement remarquer à elle-même qu'elles sont toutes largement plus jeunes qu'elle et qu'elle devrait se sentir flatté que ce psychopathe la trouve à son gout.
De son coté, Benoit, la nonchalance incarnée, s'affale de tout son long sur un talus. Quand sa mère lui demande sèchement à quoi il joue, il lui dit négligemment qu'il fait face à un gros monospace gris aux vitres teintées.
Pendant ce temps, à des milliers de kilomètres, un vieil elfe guérisseur hume le vent et jette une poignée de petits cailloux, de petits os et de petits bouts de bois en l'air puis étudie le motif obtenu en mangeant un petit animal.
Trouver quelqu'un rien qu'en regardant des visages dans la foule étant peu fiable, Izi s'est tranquillement adossé à un arbre et elle a ouvert son esprit. Ce n'est pas un sortilège à proprement parler, plutôt une sorte de talent, développé par des générations de paranoïaques doté de pouvoirs magiques. Sentir la foule, en discerner chaque composant, en deviner l'aura et l'odeur de ses cheveux. Les trois adolescents sont finalement facile à repérer tant leurs auras sont discordantes. Et ils ont manifestement le même shampoing. Izi fronce les sourcils, ils sont un peu trop prés de sa fille. Elle se concentre sur leurs auras si discordantes et si semblables. La bordure extérieure est d'un blanc légèrement bleuté et crépitante, masquant presque complètement les couleurs d'origines. Une adjonction agressive qui s'est faite sous la contrainte, probablement à l'insu des victimes. Une vieille pratique, tombée en désuétude depuis longtemps. Distraitement, elle laisse son esprit dériver dans la foule, se laissant ballotter d'une aura à l'autre. Fatigue, énervement, lassitude, colère mais aussi soulagement, joie, impatience, plaisir, rayonnent des auras multicolores de la foule. Elle grimace en effleurant Paul, son aura est sombre et piquante. Une bouffée de colère la fait sortir de sa transe. Quelques sorts cruels lui viennent à l'esprit mais sa fille est prioritaire pour l'instant. Le chauffeur de la berline est sûrement resté dans la voiture ou son aura n'a pas été modifié.
Peu versée dans l'art du tripatouillage d'aura, Izi décide de rejoindre les filles. Au passage, elle vérifie que son fils n'a rien de nouveau.
Isaure l'accueille en lui faisant un grand sourire réjoui, sans dents apparentes mais Izi commence par interroger Barbara sur la secte :
- Je suis à peu prés sure que vous ne m'avez pas tout dit sur cette secte, parce que sinon vous m'auriez parler des auras.
- Les auras ?
- Qu'est-ce que vous ne m'avez pas dit ?
- Rien … on ne sait pas grand-chose en réalité.
- Expliquez-moi cela, avec des détails.
- Euh, je ne sais pas si vous êtes au courant, mais le recrutement commence à la crèche et les Candidats Potentiels sont surveillés toutes leur vie, jusqu'à la Proposition. Evidement, la liste s'allége au fur et à mesure. Cela ne fait que deux mois qu'on s'est rendu compte qu'il y avait un problème avec les douze-seize ans. il y a eu des disparitions. Il y en a toujours, des fugues, des conflits familiaux et, parfois, des enlèvements. Mais il y a eu plusieurs disparitions, classée en fugue ou enlèvement et quelqu'un y a trouvé des similitudes. En creusant un peu, ils ont trouvé d'autres adolescents qui avaient disparu dans les mêmes circonstances.
- C'est-à-dire ?
- Au cours d'un déplacement en voiture, sur ou à proximité de l'A666. C'est la seule constante qu'on a isolée.
- Cela ne concernait donc pas uniquement vos Candidats.
- Non. On a étudié les profils, mais on ne sait pas pourquoi ils sont choisis.
Izi regarde sa fille en fronçant les sourcils. Celle-ci commence par lui retourner un regard interrogatif, mais son expression ne tarde pas à devenir agressive et quand elle entrouvre la bouche, Izi rompt le contact.
- C'était quoi ça, maman ?
Elle ne répond pas tout de suite, absorbée par ses pensées. Barbara insiste :
- Qu'est-ce que vous avez fait ?
- J'ai juste regardé son aura. L'aura est une porte ouverte sur l'âme. Nous, nous protégeons notre aura, entre autre parce que nous avons conscience de son existence et que nous pouvons la manipuler. Certains du vrai monde peuvent la percevoir mais pas agir dessus.
- Je ne comprend pas ce que les auras viennent faire là-dedans.
- Personne n'a regardé mon aura, je m'en serais aperçu.
Isaure accompagne son commentaire d'une grimace de dégoût.
- L'aura des trois jeunes est … je ne me rappelle plus comment on appelle ça exactement, mais il y a eu agression et contrainte. Leurs auras ne sont plus les leurs.
- Et comment on leur rend ?
- Je ne sais pas. Je ne comprends même pas ce qui passe. S'ils étaient choisis en fonction de leurs auras, Isaure s'en serait rendu compte mais alors comment et pourquoi y toucher.
- Vous n'avez pas l'air de vous y connaître beaucoup en aura, pour une sorcière.
Isaure lève la main, comme une écolière.
- L'aura est la première des leçons, celle qu'on apprend avant de marcher, de parler et d'être propre. Tous les habitants des Terra apprennent à protéger leur aura. Les sorciers et magiciens ne se manipulent pas entre eux par les auras parce qu'ils ne peuvent pas. Et donc, sans gens ordinaires à manipuler, pas d'enseignement poussé sur l'aura.
- Exact. Cela fait longtemps que l'on a laissé cela derrière nous, et je n'arrive pas à me rappeler si on a jamais créé d'objet permettant des occlusions dans l'aura.
Barbara réfléchit un moment à son tour.
- Et ça ne peut pas être un sorcier ou magicien, ou une autre créature ?
- Non. Nul autre que nous ne manipule l'aura, et si c'était un des miens, il ne laisserait pas autant de trace.
- Vous ne craigniez pas de vous surestimer, en tout cas.
Izi lui décoche un regard brutal, où se mêlent mépris, supériorité, et l'ombre d'une promesse de violence sans pitié. Bien qu'elle ait peine bougée, Barbara a un mouvement de recul.
- Je ne sous-estime pas les miens et vous feriez bien de réviser vos cours d'histoire avant de le faire.
Barbara hoche docilement la tête, déstabilisée.
- Je vais contacter le conseil, à propos des auras.
Isaure lui fait une grimace d'encouragement et un petit signe amical pendant qu'elle s'éloigne à reculons. Mère et fille échangent un regard et Izi hausse les épaules, un peu embarrassé quand même.
- Nous ne sommes pas « gentils », c'est comme ça et c'est tout. Au moins, elle se méfiera des autres sorciers qu'elle croisera.
- Et de nous.
Izi a un geste de la main qui signifie clairement qu'elle n'y peut rien. Isaure change de sujet.
- Pour papa, je pense qu'on devrait regarder les caméras de surveillance.
- Pour quoi faire ?
- Pour savoir s'il y est, déjà. Et puis, on saura peut-être ce qui s'est passé.
La sorcière hoche pensivement la tête, évaluant les différentes possibilités qui en découlent.
- Oui, c'est une idée. Une bonne idée. Je vais voir si Benoît a du nouveau. Fais attention à toi.
Benoît a l'air profondément endormi, la tête reposant sur son bras replié, couché sur le ventre. Sa mère s'assoit auprès de lui et feint de le réveiller en douceur. A voix basses, ils échangent des informations. Il y a au moins une personne dans la voiture, Benoît a vu son ombre bouger dans la voiture, mais autrement, personne ne s'est approché. Un plan germe dans la tête d'Izi, directement inspiré de Paul. Mais avant tout, il lui faut s'assurer que sa fille ne risque rien.
Barbara lui annonce que des renforts sont en route et que le conseil la remercie grandement de son aide et que la suite est du ressort des vampires. Elle répond tout aussi formellement qu'elle accepte la reconnaissance du conseil et que si la suite l'exige, elle est prête à apporter son aide. Mais pas tout de suite.
Sur cet échange de politesse, Izi expose son plan : ensorceler Paul le psychopathe pour qu'il montre les vidéos de surveillance à Benoit, lui-même rendu indiscernable par magie et bien sur, en ayant tissé un sort de protection autour d'Isaure. Elle ne précise pas à Barbara pourquoi elle a choisi Paul, ni que son sort sera tragique. Cela, elle ne le précise pas non plus à Isaure.
Quelques minutes plus tard, elle est à l'œuvre dans un coin discret, son être divisé entre deux réalités, le monde physique et le plan astrale. D'abord, elle tisse de ses blanches mains diverses protections autour d'Isaure, pour protéger mais aussi détecter les attaques, puis, sur Benoit, elle lance un sort de discrétion étendue. Enfin elle passe aux choses sérieuses avec Paul. Pour lui, elle laisse la puissance l'envahir, l'exalter. A lancer un grand sort, l'excitation la gagne et une joie profonde l'envahie, la joie d'une sorcière exerçant son art. Ses doigts virevoltent en créant un lien avec l'homme, puis elle envoie le sort de contrôle, comme une flèche rouge vif et chatoyante qui s'enfoncerait directement dans la colonne vertébrale de Paul. Quand elle sent que la flèche est profondément enfoncée, elle lui fait sortir ses barbillons et commence à lui envoyer ses instructions. Touche par touche, elle formule des ordres très précis et très strict. Un peu de maladresse, quelques lapsus bien placé, des réflexions troublantes pour l'isoler des autres et le rendre suspect ; des désirs insatiables qui rendent imprudents et l'échec dans toutes ses entreprises. Quand enfin elle est satisfaite, qu'elle sait que sa toupie tournera jusqu'à la mort de sa victime, elle se désengage doucement et réintègre le vrai monde. Encore enivrée de magie, elle passe le coin de la station juste à temps pour voir Paul y rentrer. Elle distingue à peine Benoit, protégé par son propre sort de discrétion.
Dés que Benoit a sentis le sort de discrétion l'envelopper, il s'est tenu prés à suivre Paul. Sa mère l'a prévenu, ce sera à lui d'éviter les gens. C'est comme une danse, il tourne autour d'une poussette, esquive un homme pressé accroché à son portable, se faufile dans l'ouverture de la porte, se glisse dans le sillage du psychopathe et devient une ombre dans son dos. Ce dernier entre dans le local de surveillance, en laissant la porte ouverte un peu plus longtemps que nécessaire. Il envoie le responsable boire un café et, sous l'œil attentif de Benoit, commence visionner les bandes.
Entre temps, alors qu'Isaure s'acharne de nouveau sur son portable et que Barbara passe un coup de chiffon sur son pare-brise, elle se fige soudain :
- Isaure, tes dents, elles ressortent.
Non seulement les dents d'Isaure ont pris leur longueur maximale, mais son visage est crispé dans une expression de colère et empreint de méchanceté. Elle fait simplement un signe de tête, toujours concentré sur son téléphone.
- Je devrais peut-être … chercher ta mère.
Signe négatif. Barbara voit les trois ados qui fixent Isaure et un profond malaise l'envahit. Elle sent que quelque chose se passe, que la jeune fille subit une agression, mais elle craint que la réaction de la sorcière ne contrarie le conseil. Elle sursaute quand elle reconnaît le profil d'Izi passer juste derrière eux. Elle semble ne pas les voir mais son index est dressé vers le ciel, traçant une ligne dans le vide.
Aussitôt, Isaure s'apaise, sans cependant rétracter ses dents.
- Coucou !
Barbara pousse un cri de surprise quand un géant à la barbe blonde lui tombe affectueusement dessus.
- Boris !
Malgré la contrariété du à l'effet de surprise, Barbara se sent infiniment soulagé. Le géant s'est tout de suite penché, la main tendue, vers Isaure, qui le regarde avec des yeux ronds.
- Voila donc une des sorcières, enchanté, Boris pour vous servir !
- Heu, non enfin oui, voici Isaure Martin …
- Et c'est une nouvelle recrue des plus intéressante…
Sous des airs bon enfant, le regard est perçant et il s'est tout de suite posé sur les canines.
- Ch'est pas permanent.
L'adolescente se décide à lui serrer la main, perplexe devant la façon dont il la regarde. Sur un sourire enthousiaste, il entraîne Barbara un peu à l'écart.
La jeune fille n'est pas au bout de ses surprises quand elle repère sa mère à une dizaine de mètre. Elle se dépêche de rétracter ses dents pour suivre la parade diplomatique à son aise. Elle l'observe faire le signe des vampires à divers individus qui lui font le signe des sorcières en retour. Elle les voit faire cercle autour des trois ados, toujours concentrés sur elle, en transe. Elle réalise que sa mère est en train d'attendre que Boris ait fini sa conversation avec Barbara.
Quand ils se rejoignent, elle est frappée par leur maintien rigide et formel, bien différent de l'attitude de Barbara. Elle surprend aussi le regard appuyé dont ils la gratifient. Barbara la rejointe, aussi ignorante qu'elle de la suite des événements.
- Finalement, c'est pas de la blague, la politique des sorciers. Mon père m'en avait parlé mais j'ai cru qu'il exagérait.
- Moi aussi, le peu qu'on m'en a dit, j'ai cru que c'était gonflé pour bizuter la novice.
- Ah.
- Mais il n'y a pas de bizutage chez les vampires. J'aurais du m'en souvenir.
- C'est qui, ce Boris ?
- Un membre du conseil. C'est un érudit, aussi.
Isaure frissonne soudain.
- Benoit ? t'es là ?
Elle regarde autour d'elle en plissant les yeux, mais son frère réapparaît derrière elle, sur la banquette arrière de la voiture de Barbara.
- C'est impressionnant, comment as-tu su qu'il était là ?
- C'est parce que je lui ais soufflé dans le cou, sinon, il n'y a qu'Izi qui aurait pu me capter. Qu'est-ce qu'elle fait ?
- Elle parle avec Boris. C'est un grand chef des vampires alors, s'teuplait, boucle-la.
- Il va nous aider ?
- Non. Je crois pas. Ils doivent s'occuper de la secte. Et puis, tu sais, toutes les histoires que papa nous as raconté sur les sorciers, je crois qu'elles sont toutes vraies.
Izi et Boris les rejoignent enfin.
- Benoit ? enchanté de te rencontrer. Il est plutôt grand pour son age, non ?
- Y a t'il des choses que vous ignorez sur nous, très cher ?
- On se tient au courant, vous savez ce que c'est, très chère. Et puis, la ressemblance est frappante.
- Aurais-je raté quelque chose ?
- Juste quelques petits secrets de famille, chère Barbara. La confiance n'est pas vraiment innée chez les sorciers.
Benoit se dandine, mal à l'aise. Sa mère lui fait discrètement un signe négatif et enchaîne :
- Et les vidéos ?
- Ha, oui. Il y a assez de caméra à l'intérieur, même si pour l'extérieur, on voit rien.
- Alors ?
- D'après les cameras, papa n'a jamais mis les pieds ici. On nous voit très bien passer à la caisse. Mais il n'y a que nous trois.