Equilibriste

Il était tard, mais pas suffisamment pour que la nuit ait pointé le bout de son nez. J'étais épuisé après une grosse journée de travail, et avais décidé de m'isoler du monde, sur une berge du fleuve, difficile d'accès. Étant étouffé par la chaleur, j'ôtais mon maillot m'autorisant un bain de soleil, alors que les poissons chatouillaient la surface de l'eau, et que je voyais les oiseaux aller et venir dans leur pêche habituelle. 

En face de moi se trouvait un îlot. J'y remarquai une petite embarcation qui, je le pensais, avait dû être apportée là par le fleuve. Puis je remarquai du mouvement. N'ayant jusqu'alors pas fait attention, je vis une femme en équilibre sur une corde accrochée à deux arbres. Elle s'entraînait -ou s'amusait- sur cette corde. Allant et venant, saltos, sauts, le long de ce fil maintenu entre deux troncs solides. Ce qui m'a marqué était sa pureté. Elle était une, mais il n'y avait là aucune vulgarité, j'y ai vu une femme absolument magnifique, un magnifique serpent était tatoué le long de sa jambe, enserrant celle-ci dans une tornade verte. De longs cheveux attachés en une queue de cheval dansaient, suivant ses sauts et mouvements divers. J'admirai son corps entier, son visage semblait apaisé, détendu, elle avait l'air de flotter au dessus de sa corde, merveilleuse danseuse. Elle n'était ni svelte, ni grosse, elle avait un peu d'embonpoint, un second tatouage dans le dos, scorpion avec une fleur au bout de la queue, une fleur de cerisier japonais. Je ne sais plus combien de temps je l'ai regardée, je la dévorai des yeux, chacun de ses mouvements était d'une infinie beauté, naturelle, sans faux-semblants. 

J'attendis longuement. Regardant de longues minutes, peut-être étaient-ce d'ailleurs des heures... Je l'ai vu s'arrêter, se rhabiller, puis reprendre son embarcation pour atteindre la rive un peu plus loin. Elle me regarda alors, j'ignore si elle m'avait remarqué avant, un peu surprise, ses joues rosissant doucement alors qu'elle prenait la direction de la route. Elle passa non loin de moi, je sentis un parfum fleuri alors que le vent poussait son odeur vers moi...

Alors qu'elle était derrière moi, je me sentis comme obligé de lui dire:

"Brillante prestation. Vous étiez magnifique"

Elle s'est arrêtée, je ne sais ce qu'elle a pensé, et honnêtement, je m'en fichais un peu, je l'ai sentie se retourner:

"Vous avez tout vu?"

À ce moment là, je me retournai pour lui faire face, ses yeux étaient interrogateurs, sans gêne, sincères. Je lui répondis:

"Presque"

Elle me sourit, rosissant à nouveau, ses grands yeux gris entourés de sa chevelure noire me fixèrent avec intensité, quelques secondes passèrent avant qu'elle ne me dise simplement:

"Merci."

Me tournant le dos, elle disparut alors dans les fourrés qui dissimulaient l'accès, me laissant avec ce souvenir, des étoiles dans les yeux...

La reverrai-je..?