Equisse II

mysteriousme

Parce que certaines personnes m'ont suggéré d'écrire une suite... à laquelle il y aura certainement une autre suite... et peut-être un jour, une vraie fin ?

Il scrutait son téléphone sans cesse. La petit loupiote verte annonçant un nouveau message se déclencherait-elle ?

Il avait osé. Oui. Lui. Il avait osé inviter Enora à une soirée dans un musée. Il faut dire qu'il avait eu la chance d'être averti par un ancien collègue croisé par hasard :

"Et alors, toujours artiste dans tes temps libres ? Tiens, au fait, tu sais qu'il y a une conf' au musée de l'agglo sur 'les arts dans le temps', je crois... C'est... peut-être bien la semaine prochaine." lui lança-t-il au milieu de la conversation.

Le sang d'Igor ne fit qu'un tour. Enfin un prétexte pour inviter Enora, lui déclarer sa flamme, la prendre dans ses bras, l'embrasser... Le film passait en couleurs derrière ses rétines, à l'abri des regards indiscrets.

"Ah non, je ne savais pas, merci hein ! A bientôt, vieux !"


Revenant à lui, il se trouvait toujours cloué à l'angle de la rue de Grenade, un sourire béat sur les lèvres. Le film qu'il se fabriquait de toutes pièces lui plaisait beaucoup. Il était en immersion totale. "Encore mieux que la réalité virtuelle" se dit-il.

En quelques minutes, les yeux rivés sur son téléphone, après avoir repris conscience du tumulte qui l'entourait, il navigua sur Internet et trouva l'information.

"Conférence 'Les arts visuels à travers les époques - Rétrospective et perspectives' organisé au Musée de l'agglomération, 122 rue du Chemin Vert".

Il était déterminé, toutes ses émotions s'entrechoquaient dans son coeur et sa tête commanda ce message maladroit à ses doigts : "Slt, ca va ? Tu fé koi le vendredi 29 au soir ? Je vx t'inviter à la conf de l'agglo. Igor"

"ENVOYER"... puis "Envoyé à l'instant" s'affichèrent sur son écran de smartphone.

Il avait eu de la chance que la prof de dessin propose un échange des numéros de téléphone des élèves en début d'année dernière. Il n'avait sauvegardé que celui d'Enora, en plus de celui d'Emilie, d'ailleurs.


Maintenant que sa fierté d'avoir osé l'inviter était passée, il culpabilisa et entendit vrombir en son for intérieur comme un coup de tonnerre : "Ca va pas, non ? Tu n'aurais pas pu attendre ? Ca ne se fait pas de la déranger comme ça ! Abruti ! La belle Enora n'a pas que ça à faire de s'occuper de ton cas, pauvre débile !"

La réprimande intérieure était sèche et froide comme une pluie de novembre... Comme la météo du jour, en fait.

Il se remit en marche et alla acheter un bouquet de fleurs (il ne savait même pas lesquelles) en s'imaginant rentrer chez lui - le coeur battant la chamade - et les tendre à Enora qui l'attendrait une tasse de café brûlant à la main.

"Plaisir d'offrir ?" demanda le fleuriste en bon professionnel.

Sursautant presque, car brutalement tiré de sa rêverie, il répondit "oui" banalement, sans sourire, d'un air contrarié.

Au pire, il ferait de cette composition une nature morte ou un pot pourri s'il venait à l'oublier.


Il faisait froid. Le genre de froid qui vous amène à regretter votre écharpe posée négligemment sur votre canapé. Rentrant son cou dans son col, il poussa son téléphone sur vibreur machinalement. Comme si le fait de le mettre sur ce mode allait lui apporter spontanément la réponse d'Enora.

Une fois chez lui, il alluma puis posa le bouquet sans entrain sur le plan de travail encombré de la cuisine.

Il ôta sa veste trempée, l'accrocha dans l'entrée et dégagea les fleurs du blister, ruisselant de petites perles d'eau.

Dans un grand verre, il les disposa. Cela rendait bien malgré lui. Sens de l'esthétique ? Manque de vase ? Peu lui importait.

Il se regarda dans le reflet vitré du placard d'où il venait d'extirper son verre. En le refermant, deux larmes perlèrent à ses paupières.

Une immense vague de détresse s'empara de lui et fit jaillir un lourd chagrin. Il se laissa tomber sans force, abattu dans son bridge de cuir rouge.

"MERDE, MERDE, MERDE !" hurla-t-il à tue-tête après quelques longues minutes à se morfondre. Les tempes bouillonnantes, la gorge serrée par les sanglots.

Son jugement demeurait catégorique : cette fille n'était qu'un fantasme, une chimère. Il n'avait qu'à passer à autre chose. Il n'avait qu'à déménager. Comme si changer de région lui ôterait de l'esprit sa présence subtile et si agréablement parfumée. Peut-être qu'il réussirait à draguer sous d'autres latitudes ?

Avec des yeux de lapin russe et la goutte au nez, il retourna à la cuisine pour attraper de l'essuie-tout. Déchirant une feuille sans respecter les pointillés, par pure rébellion, il effleura un pétale de rose aux allures de nacre.

Enora.

D'un bond, il se précipita à sa veste qui séchait sur la patère de l'entrée.

Loupiote allumée : "1 nouveau message".


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