Erreur (partie 1)

fragon

Compte-rendu d'une erreur. ça fait parfois du bien.

Nous sommes entrés en contact un samedi de fin de juin. Comme souvent lorsque je me trouvais à quarante mètres de profondeur, il me fallait trouver quelque chose pour pouvoir remonter en surface.

Le dimanche, j'allais vers toi. Tu avais déjà réussi à négocier mon numéro de téléphone et insisté pendant un temps infini pour venir me rejoindre chez moi dans une urgence absolue. Tu me parlais de cinéma. Tu exigeais des photos. Tu négociais de nouveau une conversation. Tu répétais sans faiblir les mots que je voulais entendre.

As-tu envie de faire l'amour avec moi ?

Je t'accordais ma venue. Mes Stansmith aux pieds, un pull marine et un ciré jaune. Je ne pouvais être au plus près de ce que j'étais.

Je t'appellerai Emmanuel le divin, parce que ce sera le seul nom que j'accepterai de garder en moi. Celui que tu me donneras huit jours après notre première rencontre ne correspondra jamais à ce que tu représentas pour moi quand je t'ai vu pour la première fois. Le divin, parce que tu fus le dieu auquel je me pliais en renonçant sans aucune logique à tout ce que j'étais, juste comme ça, par le seul pouvoir de ton apparition.

J'aurais dû comprendre à qui j'avais affaire dès le premier mot que tu prononças alors que folle de mon attente irraisonnée je filais vers toi pied au plancher.

J'avais cru bon d'exiger une identité. Tu m'avais accordé un métier et un prénom. J'avais fait une recherche rapide, trouvé un homme qui pouvait correspondre. Ce n'était pas grand chose. Mais je me croyais maline.

A mon arrivée sur le parking au bord de la mer, je ne t'ai pas vu. Je ne savais pas où je me trouvais, je roulais au pas, le boule au ventre. Et alors que je te parlais au téléphone, cherchant à comprendre où se trouvait le lieu de notre rencontre que je n'arrivais pas à identifier, tu as dit « stop ».

« Stop ».

Un seul mot. Aucune autre explication. Et ce, de façon si autoritaire que je pilai net au milieu de la petite route qui longeait le serpent de mer. Tétanisée, j'essayais de comprendre comment tu pouvais savoir où je me trouvais. Je ne te voyais nulle part. Mais toi, tu m'observais.

Déjà, tu te cachais de moi. Présent et absent, ombre et lumière, tu me surplombais de toute ta force, de toute ton assurance, de toute la certitude que celle que tu désirais tant depuis la veille venait se donner à toi de son plein gré.

Je pilais donc et je descendais. Tu me guidais de ta voix et poursuivais en me demandant pour quelle raison je m'étais garée là . C'était une question absurde parce que j'estimais que j'étais garée correctement. J'aurais dû voir des signaux clignotants rouges électriques devant mes paupières mi-closes. Tu m'as vue avancer vers toi alors que tu me dominais installé sur une rotonde qui permettait d'englober d'un seul regard l'océan qui bordait le chemin côtier.

Je te rejoignais, intimidée. Je découvrais ta stature, adossé nonchalamment au muret de pierre, tu m'accueillais. Un homme, une barbe, un bermuda et un sweat zippé négligemment ouvert sur un polo de coton. Ta première phrase, - je crois bien- , a été de me dire que tu ne votais pas pour l'autre, dont tu te refusais à citer le nom. J'évoquais Marine croyant que tu me parlais d'extrême droite, tu citais le nom du président. C'est drôle, quand j'y pense, que tu te sois choisi le prénom d'une personne que tu abhorrais. Je n'aurai même pas eu la joie de te le faire remarquer. Que m'aurais-tu répondu ? Et aujourd'hui, je n'oserais pas . Je t'en ai déjà tant dit, et tant de méchancetés aussi. Malgré moi. Et en contradiction totale avec ce que je voulais te dire au plus profond de mon besoin.

J'ai déjà oublié le contenu précis de nos premiers échanges mais je suis sûre qu'il s'agissait de politique. Tu te mis à me parler des "gentils" et des "méchants". Vocabulaire étrange dans ta bouche. Tu redéfinissais le monde tel que tu le concevais. Tu m'assenais que mes pairs et moi, les enseignants, nous étions les responsables de la situation. Pourquoi n'ai-je pas fait attention ? Pourquoi t'ai-je laissé m'effleurer, te pencher vers moi, picorer ma bouche déjà avide de tes baisers ? Nous avons longé le chemin, j'ai pris de plein fouet la vue qui s'offrait en cette soirée chaude d'une fin de juin. Je savais que je te suivrais. Je n'avais plus qu'une seule idée en tête. Tu m'as proposé d'aller boire un verre, j'ai décliné l'invitation, je t'ai demandé d'aller chez toi. J'étais une femme libre. Tu étais venu à pied.

Tu es monté dans ma voiture et de nouveau, tu m'as indiqué le chemin à suivre. Il faisait nuit. Peu de temps après, nous sommes arrivés devant une maison. Je serais incapable de la décrire.

Une grande maison bourgeoise de bord de mer en bois jaune, à pignons et balustrades. Un étage, des pièces distribuées de part et d'autre, un escalier. Ta maison de famille était magnifique, un rêve concret. Polie par le temps, élégante, ajustée. Des œuvres d'art disposées avec soin, méthode, réflexion. Je me suis assise sur un petit fauteuil, tu as pris place sur le canapé. J'ai eu l'impression de revivre quelque chose de très enfoui, qui remontait à la rencontre avec un autre homme que j'avais tant aimé. J'ai refusé le verre d'eau que tu me proposais Au bout d'un petit moment, je suis venue m'asseoir près de toi, puis sur toi, et tu as soulevé ma chemise pour voir mes seins. Les fenêtres sans rideaux ni volets nous auraient offerts au regard de qui serait passé. Je t'ai demandé d'aller ailleurs. Tu m'as entraînée vers ta chambre. On a monté l'escalier. Je n'ai rien vu ou presque. Je ne savais pas encore que ce serait la seule fois où il me serait donné d'entrer dans cette maison.


Le lit n'était pas fait. Je remarquais que tu ne dormais qu'avec un seul oreiller et je t'en demandais la raison. J'aurais dû être attentive à ta réponse qui me donnait les contours du cadre dans lequel tu placerais désormais notre relation. Un homme, un oreiller. Pas de place pour autre chose.

Je t'ai laissé m'aimer. De temps à autre, j'émergeais. Je ne suis pas très sûre de tout ce qui s'est passé. Il me reste le souvenir de cette force avec laquelle tu saisissais mes hanches, ta façon avide de t'emparer de moi, de me tirer à toi, de me tourner dans tous les sens. Tes grognements de satisfaction, mon silence.

Près de ton lit, une photocopie était collée au mur. On y voyait une femme et son fils. Au pied du mur, juste en dessous de la photo, d'autres clichés posés en demi-cercle comme pour une prière muette.

Qui colle une photocopie sur le mur de sa chambre ?

Je t'interrogeais doucement. Tu m'informais que ta mère était morte en décembre ou en janvier. J'écoutais. Je jetais un bref regard vers la photo alors que tu entrais de nouveau en moi. Je pensais à la douleur que m'avait causé la perte de ma propre mère. Je me laissais chavirer. Je ne cessais de penser. Mon plaisir se résumait à cela : me laisser aimer, me taire obstinément et me concentrer sur tes gestes. Il me fallait partir, ne pas rester dormir.


A minuit, je t'ai informé que je ne resterais pas. Tu tentais de m'en empêcher. Tu me parlais de m'emmener écouter du jazz à Marciac, tu évoquais un déplacement au festival d'Avignon. Tu m'offrais cette eau précieuse comme si elle n'avait pas de prix. Et moi, je t'écoutais. Le cœur affolé, je sombrais dans la passion que tu jetais négligemment à mes pieds. J'attendais cela depuis si longtemps. Je regardais les livres qui parsemaient la chambre. Il y en avait partout. Je lisais les titres avec avidité. Ils m'étaient tous familiers. J'étais submergée. La présence du Quatuor d'Alexandrie déposé négligemment au sol enracina cette idée que tu étais un cadeau que le ciel m'envoyait.

Tu me raccompagnas à la voiture. Je démarrai sur les chapeaux de roue. Je roulai dans la nuit, folle de joie.

Ce qui s'est passé dans les jours suivants, je ne m'en souviens plus vraiment. Je sais seulement que tu as réagi à l'opposé de ce que j'aurais attendu de toi.

Tu décidais de prendre le pouvoir et je te laissais faire malgré moi. Nous étions le 27 juin.

Je commis ma première erreur en t'envoyant un message à 7 heures du matin. Tu y répondais une heure plus tard. Les malentendus prenaient place.

Emmanuel qui ne voulait rien mais qui demandait ce qu'on ne voulait pas lui donner, juste par principe.

Alors que je cherchais à conserver la distance, tu commençais par me reprocher de ne vouloir qu'une relation épisodique basée sur des rencontres de 5 à 7. Tu exigeais de passer la nuit avec moi alors que je t'expliquais clairement que jamais je n'avais dormi avec un autre homme que celui que je venais de quitter malgré moi. Je luttais. Je t'aidais à choisir le film que nous irions voir. Tu ne faisais pas de phrases. Des messages lapidaires répondaient à mes propres longs messages. « Déjà vu ». « Bière ambrée ».

Après une nouvelle nuit, je t'ai envoyé quelques mots pour te souhaiter une bonne journée. Confiante, je te proposais de venir te rejoindre le soir pour un pique-nique. A dix heures, je n'avais toujours pas de réponse. A 11 h, pour la première fois, tu me demandais de me « détendre » et éludais ma demande. Je fis comme si je ne voyais pas ce que cela pouvait signifier. Pour seule réponse, tu m'envoyas un premier titre. Colette Magny. Mélocoton. Any woman's Blues. En retour, je fis une photo lamentable de mes propres CD de jazz. Mais je n'avais rien à t'apprendre. De toute façon, à la première tentative d'explication tu me projetas de nouveau dans les cordes. « Eh oh... Détends toi ! Tu n'es pas dans ta classe... ».

Ce fut comme une gifle.

Idiote, mille fois idiote. Pauvre idiote. Trois fois.

J'aurais dû te rentrer dedans. Je me contentais de détourner la conversation. J'envoyais mes messages comme autant de rafales, cherchant à déclencher ton intérêt. Une première de couverture du roman Les Vilaines sur les trans d'Argentine, une remarque sur l'accession de Yaël Braun-Pivet au poste de présidente de l'Assemblée, un titre du chanteur - Jude-  que peu connaisse en France. Je n'obtins rien en contrepartie. Je me sabordais. 

Il me fallut du temps pour comprendre que tout ce que je t'écrivais t'exaspérait. Tu me mentais et je ne le sentais pas.

Ce premier jour du premier matin de la première nuit, la conversation téléphonique aboutit à une incompréhension totale. Reflet absolu et biaisé de ce que serait notre relation. Nous avons mis fin volontairement l'échange en pensait qu'il valait mieux s'arrêter là avant de dire n'importe quoi. Je t'écrivis une dernière fois, te priant de bien vouloir m'excuser. J'étais désolée.

Je sais aujourd'hui qu'il t'agaça encore davantage.

Le pire est qu'il me semble que je te présentais mes excuses alors que c'était toi qui te comportait mal.

Le mercredi 29 juin, j'ai attendu toute la journée une réponse à mon message envoyé le matin. En fin de soirée,  je partis danser sur les quais et je t'adressai ce que tu appelas un « scud ».

Il m'était impossible de me taire.

« Je vais quand même t'écrire ma colère Emmanuel né le premier avril et qui ne respecte pas la femme qu'il a eue dans ses bras, qui n'a pas le courage de juste lui dire que cela ne lui donne pas envie d'aller plus loin. [...]  ».

J'ajoutai une photo de bord de Loire. Ta réponse fut simple : « Tu as encore de la bière au frais ? ». Et tu m'as attrapée en bas de la côte alors que je rentrais à pied  le cœur battant. J'ai continué à m'égarer en t'adressant un nouveau message le lendemain matin. Mais comment pouvais-je être aussi butée ? Tu n'y as pas répondu.



Signaler ce texte