Erreur (partie 3)
fragon
J'ai laissé passer du temps. Ça aide à faire avancer les choses.
Ce qui est formidable, c'est la façon dont on peut percevoir progressivement où se trouve l'erreur originelle. J'aime bien l'idée d'avoir été une proie consentante. J'aime les expériences et j'aime prendre des risques. C'est ton profil qui m'intéresse. En vérité, je réalise que je ne regrette rien. Ça m'a aidée à devenir plus aguerrie et plus libre.
Tu étais du nombre d'un genre d'homme que je ne connaissais pas. Les fragments de souvenirs sont déjà passablement dissipés. Il ne me reste pas grand-chose parce qu'il n'y aura pas eu grand-chose à mémoriser. Ce n'est donc pas un règlement de comptes personnel. Je crois bien que les conversations que nous aurons eues se réduisent à des échanges insignifiants.
Je cherchais plusieurs fois à te parler musique ou littérature, je te tendais la perche pour un peu de politique mais rien ne s'enclenchait. Mes questions restaient sans réponses. Tu t'inquiétais parce que je ne jouissais pas. Tu voulais me faire jouir. J'en étais incapable. Plus tu insistais, plus je me rétractais. Je vivais un jeu dangereux. Je te faisais croire que j'étais une affranchie alors que je savais moi, être dans une prise de risque absolue.
Tu te montrais obscène. Tu parlais tout haut dans mon appartement, dans la file d'attente du cinéma. Tétanisée et mortifiée, je me mettais à rire. Tu me mettais au défi de faire certaines choses. Je les faisais. Je voulais te plaire. Mon plaisir s'enfonçait plus profondément encore. Je me demande si tu réalisais ce que tu faisais. Plus tard, alors que je poursuivais mes expériences, j'ai rencontré un autre homme qui m'a appelée sa « femme trophée ». Ce qui l'excitait, je pense, c'était de savoir qu'une femme comme moi se laissait aimer et avilir par un homme comme lui. Il doit y avoir un peu de ça en toi.
Je te prêtais des livres qui m'étaient précieux. Tu les acceptais. Mais tu ne les lisais pas. Tu négociais pour me les rendre. J'aurais aimé savoir ce que tu pensais de La Soif de Andreï Guelassimov. Je ne le saurai jamais.
Il y a quelques jours, après le long silence de l'été, tu m'as de nouveau envoyé un message pour me demander comment s'était passée ma rentrée et comment allaient mes amours. Je t'ai dit qu'elle avait été compliquée, que je venais de perdre ma sœur d'une crise cardiaque foudroyante. J'ai ajouté que mes amours se portaient bien. Très bien même. Tu n'as pas pris la peine de me répondre. Je me demande ce qui t'intéresse.
Au fur et à mesure que notre relation évoluait et de fait - se détériorait, j'ai appris que tu menais de front plusieurs relations et que donc, tu ne m'étais en rien fidèle.
Tu as évoqué les vagues liaisons qui continuaient à t'intéresser ou qui te harcelaient
c'était selon. Il devait quand même y avoir quelque chose de l'ordre du prestige pour que toutes ces filles, quel que soit leur âge, tombent à tes pieds. Tu les rendais dingues comme tu me rendais dingue. Je crois bien me souvenir que nous étions déjà quatre à te partager. Et puis tu m'as parlé de « ton Eloïse ».
Eloïse, ton seul et unique amour, inatteignable. Eloïse enfermée dans son double deuil. Un mari, un enfant. Eloïse, qui, pourtant, poursuivait une relation à distance avec toi.
Tu as fait défiler les photos devant mes yeux. Eloïse, presque nue à la plage. Eloïse en vélo. Les seins magnifiques d'Eloïse. Tu m'as demandé ce que j'en pensais, comment je la trouvais. Je n'avais pas joui sous tes caresses. Désormais, il m'était impossible d'imaginer pouvoir le faire.