Escales…

expirations

... et pages cornées le long du "Voyage au bout de la nuit" (1932).

Il existe pour le pauvre en ce monde deux grandes manières de crever, soit par l’indifférence absolue de vos semblables en temps de paix, ou par la passion homicide des mêmes en la guerre venue.

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Les indigènes ne fonctionnent guère en somme qu’à coup de trique, ils gardent cette dignité, tandis que les blancs, perfectionnés par l’instruction publique, ils marchent tout seuls.

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Vicieux, on se mouillait et remouillait les lèvres pour la conversation des âmes.

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Tout devient plaisir dès qu’on a pour but d’être seulement bien ensemble, parce qu’alors on dirait qu’on est enfin libres. On oublie sa vie, c'est-à-dire les choses du pognon.

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Vivre tout sec, quel cabanon ! La vie c’est une classe dont l’ennui est le pion, il est là tout le temps à vous épier d’ailleurs, il faut avoir l’air occupé, coûte que coûte, à quelque chose de passionnant, autrement il arrive et vous bouffe le cerveau. Un jour, qui n’est rien qu’une journée de 24 heures ça n’est pas tolérable.                                                                     Ca ne doit être qu’un long plaisir presque insupportable une journée, un long coït une journée, de gré ou de force. Il vous en vient ainsi des idées dégoutantes pendant qu’on est ahuri par la nécessité, quand dans chacune de vos secondes s’écrase un désir de mille autres choses et d‘ailleurs.

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Une longue fille puissante et pâle c’était. Tout de suite nous devînmes confidents. En deux heures je connus tout de son âme ; pour le corps j’attendis encore un peu.

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Les amours contrariées par la misère et les grandes distances, c’est comme les amours de marin, y a pas à dire c’est irréfutable et  c’est réussi. D’abord, quand on a pas l’occasion de se rencontrer souvent, on peut pas s’engueuler, et c’est déjà beaucoup de gagné. Comme la vie n’est qu’un délire tout bouffi de mensonges, plus qu’on est loin et plus qu’on peut en mettre dedans des mensonges et plus alors qu’on est content, c’est naturel et c’est régulier. La vérité c’est pas mangeable.                                                                                        Par exemple à présent c’est facile de nous raconter des choses à propos de Jésus-Christ. Est-ce qu’il allait aux cabinets devant tout le monde Jésus-Christ ? J’ai l’idée que ça n’aurait pas duré longtemps son truc s’il avait fait caca en public. Très peu de présence, tout est là, surtout pour l’amour.

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Les riches n’ont pas besoin de tuer eux-mêmes pour bouffer. Ils les font travailler les gens comme ils disent. Ils ne font pas le mal eux-mêmes, les riches. Ils payent. On fait tout pour leur plaire et tout le monde est bien content. Pendant que leurs femmes sont belles, celles des pauvres sont vilaines. C’est un résultat qui vient des siècles, toilettes mises à part. Belles mignonnes, bien nourries, bien lavées. Depuis qu’elle dure la vie n’est arrivée qu’à ça. 

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Que de chichis puants ! C’est barbouillé d’une crasse épaisse de symboles, et capitonné jusqu’au trognon d’excréments artistiques que l’homme distingué va tirer son coup…

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Etre seul c’est s’entraîner à la mort. «Il faudra mourir que je lui dis encore, plus copieusement qu’un chien et on mettra mille minutes à crever et chaque minute sera neuve quand même et bordée d’assez d’angoisse pour vous faire oublier mille fois tout ce qu’on aurait pu avoir de plaisir à faire l’amour pendant mille ans auparavant…                                                                                                                                        Le bonheur sur terre ça serait de mourir avec plaisir, dans du plaisir…Le reste c’est rien du tout, c’est de la peur qu’on n’ose pas avouer, c’est de l’art…»

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