Espoir né d’un œuf
lise-rose
Je me suis réveillée un matin venteux en sachant enfin ce que j'allais faire de ma vie. Il m'aura fallu plus de 30 ans pour trouver ma voie. Je ne sais même pas expliquer comment je suis arrivée à la conclusion que je devais devenir peintre sur œufs creux. Je n'avais jamais peint de ma vie avant. L'idée m'est apparue comme ça. En un éclair. J'ai ouvert les yeux et j'ai vu des œufs, creux, légers, colorés.
J'aurais pu choisir d'être peintre sur toile : trop monotone. Ou peintre sur corps : trop vulgaire. Peintre sur faïence ? Trop désuet. Mais peintre sur œufs creux c'est rare. Ca sonne bien. Le petit côté fragile me fait fondre.
On ne naît pas peintre sur œufs creux. On le devient. Il m'a fallu avaler plusieurs omelettes pour en arriver là. Heureusement que j'aime les omelettes. Ca aurait été très pénible sinon.
Il m'a fallut apprivoiser les pinceaux, la peinture, le support courbe asymétrique. Un véritable challenge. Et je ne vous raconte pas le casse tête pour faire sécher les coquilles sans abîmer mes dessins. Tout un art. Il faut allier dextérité et synchronisation. Pire que l'équilibriste qui se retrouve perché sur son fil !
J'ai dû patienter deux ans pour que ma technique soit irréprochable. Je vous cacherai mes trucs et astuces. Je les garde jalousement. Peintre sur œuf creux, ça fait rêver. Pas question d'aider la concurrence.
Pour ma première exposition, ma collection dénombrait 56 œufs. Un tiers de mon œuvre était dédié au monde sauvage. Elle faisait la part belle aux félins. Le deuxième tiers exprimait toute la luminosité de la couleur jaune. Une recherche pointue sur les différents tons de jaune passant de l'ocre au jaune canari m'avait occupé de longues heures. Quelle quantité de pigment jaune il y a-t-il dans l'orange carotte ? Le dernier tiers était plus personnel et laissait place à l'imagination des admirateurs.
La veille j'étais allée placer les décors pour que tout soit prêt pour l'ouverture. J'avais spécialement demandé la clé à la responsable de la salle qui ne travaillait normalement pas le vendredi. Elle pestait mais je voulais que tout soit parfait. L'installation m'avait mis un peu plus d'une heure.
Le jour J, j'étais heureuse. La consécration de mon art allait enfin arriver. Je n'avais plus qu'à sortir les œufs des cartons. C'est en un coup que mon cœur s'est brisé en mille morceaux. Un crétin s'était assis sur mes œufs creux ! Moi qui les avais tant couvés. Ne restait que des écailles écrasées, brouillées sous le poids de la chair humaine. C'est ce jour là que j'ai compris qu'on ne naît pas peintre sur œufs creux et qu'on ne le devient pas non plus.
Il ne vous reste plus qu'à essayer sur des œufs durs...
· Il y a plus de 4 ans ·chaleur