Esquisse III

mysteriousme

Jamais 2 sans 3...

Il n'en croyait pas ses yeux. "Enora - 1 message non lu".

Son coeur battait à 20 000 à l'heure ! Instinctivement, ses doigts chauds et gourds se posèrent timidement sur l'écran. Comme s'il effleurait une mèche de ses cheveux éclatants sur son front pour mieux voir ses jolis yeux. Il avait peur d'ouvrir ce message plein de surprise.

Il se lança et lut : "Merci Igor. Je viendrai. Rdv directement sur place le 29. Ciao. E."

Elle avait dit oui. Elle avait dit oui à son invitation maladroite ! Elle lui a dit oui, à lui !

Etait-ce un signe ? Est-ce qu'elle serait vraiment là ? Est-ce qu'elle serait à l'heure ? Ou en retard comme d'habitude ? Annulerait-elle sa venue à la dernière minute ? Il ne le souhaitait pour rien au monde. Cela lui fendrait le coeur.

En ce temps où les arbres arboraient des feuilles couleur de miel, son esprit fécond ne le privait pas d'images délicieuses.

La découvrir au réveil, cheveux ébouriffés, lèvres muettes, yeux engourdis de sommeil, sa malice respirant par chaque pore de sa peau. Et son odeur... Ce parfum toujours présent, partout sur son corps.

Prendre leur premier petit-déjeuner ensemble avec toutes les questions futiles du quotidien qu'il s'imaginait prononcer, des étoiles plein les yeux : "Thé ou café ? Brioche ou croissant ?"  Est-ce que ces questions resteraient sans réponse ou bien "thé et brioche" deviendraient-elles les réponses usuelles, habituelles avec le temps ?

Il revenait à lui. Béat devant son téléphone.

Ce sentiment si soudain, si puissant, si abrupte... L'excitation de la revoir. Elle. Enora. Ce frétillement qui vous fait vibrer de l'intérieur.

Cette projection magique par la pensée d'être lové ans ses bras, d'être accueilli, sublimé, aimé et de se dire qu'un jour peut-être, on n'aurait rien d'autre à faire que cela : s'aimer.

Et toujours cet incroyable couvercle des plus fourbes qui vous assomme, qui piège vos rêves dans un étau : "La mérites-tu ? Et si elle annulait au dernier moment, sans te prévenir ?" Oui, si elle annulait, comment réagirait-il ? Lui, Igor, si grand, si beau, si fier. Serait-il détruit, en cendres ?



Elle se tenait là, bien présente. Souriante. Les pommettes rosies par le froid. L'hiver serait bientôt là.

Dans la grande salle de l'agglo aux estrades spacieuses et aux strapontins confortables, ils allèrent s'assoir ensemble, l'un à côté de l'autre. Igor ne calculait strictement rien de ce qui se passait autour de leur petit cocon.

Il aimerait tant être celui qui lui tend la main, qui l'embrasse en douceur dans le cou (surtout si elle pleurait sans bruit), sur sa nuque piquée de grains de beauté. Encore une nouvelle idylle bonne à mettre en pâture à ses rêves...

La soirée se passe. Les rétrospectives et perspectives des arts visuels le laissèrent perplexe. Qu'avait-il retenu de cette soirée, à part avoir été assis à côté d'Enora ? Pas grand chose en fait.


Plusieurs semaines plus tard, comme une confidence enfermée dans un petit coffre-fort précieusement gardé au fin fond de son âme, il inspirait très profondément en fermant les yeux et se souvenait de sa chaleur, de cette proximité intimiste inattendue. La chaleur de ce corps de petite fille et de femme fatale en même temps. Ce corps qu'il avait envie de goûter, qui s'était tenu si près du sien. Et il avait aimé sentir sa chaleur bienveillante ! Bienveillante dans le sens non galvaudé du terme : accueillante, ouverte, sans jugement. Comme un cocon tendre dans lequel on a envie de se glisser, comme la douceur d'un chaton que l'on a envie de caresser, comme le soleil fragile qui tanne la peau au coeur d'un automne givré...

Il se répétait qu'il n'avait pas été assez présent à lui-même, à la situation, à ce moment-là. Trop obnubilé à se projeter. Il épiloguait longuement tous les actes manqués, en vrac : passer son bras autour de ses épaules, déposer sa main sur sa cuisse ou frôler ton index, son pouce, la faire sourire et même rire, lui payer un drink au bar de la salle et refaire le monde jusqu'à la fermeture des lieux...

Sa culpabilité maladive le rattrapait toujours.

Culpabilité de ne pas avoir agi comme un gentleman aguerri et sûr de lui aurait décidé d'agir pour la séduire et la conquérir.

Culpabilité de continuer à ouvrir ce minuscule coffre-fort dans l'espoir qu'il prenne un jour toute la place, qu'ils y vivent tous les deux, blottis, au chaud, dans un camaïeu de couleurs variant au gré de leur humeur.

Culpabilité enfin de prendre sa douche et de s'imaginer qu'elle apparaisse, à demi-nue, un sourire intéressé sur ses lèvres et qu'elle le rejoigne pour l'embrasser sous l'eau...


Alors que faire maintenant ? D'instant en instant, son esprit inventait mille et une possibilités, comme une girouette s'agite en cas de grand vent.

L'inviter au restaurant ? L'inviter à la maison ? Ne plus la revoir qu'en cours de dessin ?

La revoir. C'était son but. Presque vital.

Il aurait voulu être un miroir pour lui montrer à quel point elle l'éblouissait, pour lui faire comprendre la puissance intuitive et enveloppante de son rayonnement !

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