Esquisse VI

mysteriousme

Pourquoi refaisaient-elles toutes surface ?

Enora lui avait dit oui. Ils s'étaient vus.

Comme convenu, un resto qu'elle ne connaissait pas dans un quartier sympa.

Si elle avait accepté, c'est qu'elle y voyait un intérêt. Ou pas. A vrai dire, tout était tombé à plat. Très vite.

Elle était arrivée en retard de 25mn au lieu de 5... Sans le prévenir.

Malgré cela, elle avait été aimable et ses yeux étaient toujours aussi pétillants, son air toujours aussi délicat et ferme.

Pendant ce temps, à échanger des banalités et quelques sourires, Igor pensait trop à ses propres sentiments. Il était embourbé dans son monde imaginaire, où les esquisses de situations improbables aux couleurs réalistes ne manquaient pas !

Ce soir-là, entre la soupe thaï et le canard laqué cuisinés devant eux, il comprit qu'il lisait en Enora quelque chose qu'elle-même ne percevait pas à son propre sujet. A son attitude, il comprit aussi qu'elle ne lisait malheureusement rien en lui qui soit déterminant pour elle. C'est ainsi qu'ils se quittèrent en bons termes mais "sans plus".

"On se voit la semaine prochaine au cour de dessin ?

- Ouais. Bon retour chez toi. Bonne fin de soirée."

Finalement, après cet événement entre quatre z'yeux, il se rendit compte que rien ne serait jamais possible entre Enora et lui. A sa grande déception... Ou pour son plus grand bien ?

Il ne l'emmena donc pas chez lui pour boire un dernier verre et l'embrasser, ou se vanter d'avoir le portrait qu'il avait fait d'elle, encadré dans son salon... Non. En rentrant, le vague à l'âme, il avait décroché le portrait, avait retiré le dessin et avait mis celui de la nature morte qu'il avait composé à partir des restes du bouquet acheté en vain, pour Enora... enfin, pour personne, il y avait de cela quelques mois.

Comment pouvait-il fantasmer autant sur une fille qui n'éprouvait strictement rien pour lui ? Ils ne s'apportaient finalement rien mutuellement, si ce n'est d'être de bons camarades de cours de dessin...Fallait-il qu'il en ait le coeur brisé ? Fallait-il brûler les idées qu'il s'était faites, créées de toute pièce par son esprit imaginatif ?

Alors qu'il se posait ces questions, il réagit et comprit que lorsqu'il visualisait le panneau "sens interdit" (la fille n'est pas intéressée), son esprit l'évacuait aussitôt des radars.
A vrai dire, il se sentait mieux en présence d'avatars et de personnages imaginaires que face aux êtres animés, bien réels, faits de chair et d'os. Est-ce que la prise de risque était trop grande ? Est-ce qu'il avait si peur du saut dans le vide ?

Et quelques temps avant, il y avait Fatou qui était revenue en pointillés dans sa vie, remuant tout un tas de sentiments et de sensations indescriptibles (car censurées sinon)... Et la veille de ce rendez-vous galant avec Enora, il avait aperçu Perrine.

Depuis plus de 5 ans ils n'étaient plus ensemble elle et lui... Et il n'eut aucun scrupule à lui tourner le dos ouvertement dès qu'elle arriva dans le vestibule du théâtre. Igor avait reçu une place grâce à un collègue, il fallait bien s'y rendre. Il n'eut pas de sentiment vif qui vous retourne le coeur en voyant la silhouette rondouillarde de Perrine. Il eut par contre toutes les peines du monde à se concentrer sur le spectacle qui se déroulait sous ses yeux. Il repensait à Perrine. Une femme fatale et maligne. Elle avait pillé son coeur et ruiné sa vie. Il se souvenait des bons moments, principalement au lit, ou lors de voyages exotiques... Après 4 ans et demi de relation, il ne restait plus rien. Plus rien que de la haine, de la colère, comme un abcès qui perce et déverse son pu. Il ressentirait pour la vie une terrifiante déception et un effroyable sentiment de gâchis lorsqu'il penserait à elle.

Incapable de dire de quoi la pièce parlait, il avait été là, passif à l'extérieur, en lutte à l'intérieur.

Quel sens donner à sa vie - sentimentale au moins ? Il resterait éternellement célibataire, c'était certain. Et était-ce finalement un mal ? Aucune fille ne voudrait jamais de lui. Il avait trop de défauts, ce "bon à rien", comme lui soufflait si bien sa petite voix maléfique.

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