Et chaque fois ça recommence

littlerebel

Inspiré par mon trajet pour aller à la fac, l'orage d'hier soir et l'inconnu qui sifflait dans le train.

Tess prenait maintenant le train tous les jours pour aller à la fac. Elle y passe plus d'une heure. Le soir il y a plus de monde, c'est l'heure où les gens rentrent du travail. Mais le matin, elle se retrouve presque seule sur le quai de la petite gare de sa ville quand le soleil ne s'est pas encore levé et la nuit est encore noire. Elle monte ensuite dans le train, se pelotonne dans un siège et ferme les yeux. Elle part tellement tôt que les wagons sont généralement déserts.
Ce jour là n'avait pas échappé à la règle. Mais alors qu'elle allait s'endormir pour de bon, elle entendit quelqu'un siffler. Oui, dans ce wagon presque vide, quelqu'un sifflait une chanson. Tess se contorsionna pour essayer d'identifier le siffleur, mais pas un des occupants du wagon ne sifflait. Et pire encore, pas un seul à part Tess ne semblait s'apercevoir du sifflement. Et pourtant il continuait, note après note.
« Mesdames et Messieurs, votre train arrive en gare de Marseille-Saint-Charles. Veuillez vous assurer de n'avoir rien oublié avant de descendre. »
Le siffleur inconnu cessa de siffler, Tess attrapa son sac et se leva. Les lampadaires encore allumés défilaient devant la vitre, des agents en gilet jaune marchaient au loin dans les voies. Le train s'arrêta et les portes s'ouvrirent sur l'agitation matinale. Tess traîna ses pieds jusqu'à la gare routière et monta dans le car pour Aix. Elle oublia le sifflement.

Tess était dans la maison de sa tante, elle cherchait ses cousins qui étaient sûrement dehors. Il n'y avait plus personne à l'intérieur. Elle allait sortir lorsqu'un coup de tonnerre éclata. Il y eut un éclair et la pluie se mit à tomber à l'intérieur.
Tess se réveilla dans son lit, au sec. Dehors un orage venait d'éclater. Elle entendait le vent qui rugissait autour de sa maison. La pluie battait contre son vasistas, les éclairs baignaient sa chambre d'une lumière vive et le tonnerre s'acharnait. Tess resta un moment allongée à écouter, l'orage devenait de plus en plus violent. Elle décida alors de se lever pour aller voir les éclairs sur la mer, c'était toujours un spectacle impressionnant.
Elle sortit de sa chambre, passa devant celle de son frère qu'un éclair illumina. Son lit était vide. Il avait dû descendre dans le salon pour regarder lui aussi. Tess descendit les escaliers et s'accouda à la fenêtre de son salon. Le tonnerre était à présent tellement fort qu'il faisait trembler sa maison. Les éclairs zébraient le ciel en permanence, ne laissant aucun répit aux yeux de Tess. Son frère n'était pas là. Elle fit rapidement le tour mais ne le trouva nulle part. Ses parents n'étaient pas dans leur lit non plus. Dehors, l'orage faisait un vacarme à réveiller les morts.

Tess enfila sa veste de survet par dessus son pyjama et se glissa pieds nus dans ses vieilles baskets. Elle allait chercher sa famille. Elle descendit les escaliers humides dont les murs ruisselaient. La fenêtre de l'escalier avait été laissée ouverte et claquait dans le vent. Tess ne prit même pas la peine de la refermer et s'élança dans l'air froid de la nuit. Les branches de l'acacia au dessus d'elle étaient violemment secouées, la pluie cinglait les voitures. Tess fut vite trempée jusqu'aux os. Elle fit le tour du parking devant chez elle, aucune trace de sa famille. La foudre tomba sur le grand if à quelques mètres d'elle. L'arbre s'enflamma mais la pluie torrentielle fit vite disparaître les flammes.
Tess marcha jusqu'à la gare, le vent mugissait et s'engouffrait sous ses vêtements, ses chaussures étaient remplies d'eau et devenaient plus lourdes à chaque pas, le tonnerre claquait de tous côtés. Lorsqu'elle arriva sur le quai, elle mit un pieds sur les rails pour traverser et soudain l'orage s'éloigna, la pluie ne fut plus qu'un murmure et les éclairs juste des flashs dans le lointain. Même le vent était retombé. C'est alors que Tess l'entendit. Le sifflement. Celui qu'elle avait entendu dans le train quelques jours auparavant. Il était haut et clair, comme si celui qui sifflait se tenait à côte d'elle. Mais il n'y avait personne. Elle avait beau fouiller l'obscurité, aucune silhouette ne dessinait. Et le sifflement continuait, persistant, presque moqueur. Tess se prit la tête entre les mains, elle ne voulait plus l'entendre, elle voulait juste retrouver sa famille et retourner chez elle.

Au petit matin, Tess se réveilla dans son lit, ses baskets trempés aux pieds et sa veste posée sur la chaise de son bureau. Elle descendit et trouva son frère attablé devant son petit déjeuner, sa mère cuisinant déjà le repas du midi, son père encore au lit. Dehors il faisait un temps magnifique. Aucun n'avait entendu l'orage de cette nuit. Le grand if était intact, les branches de l'acacia n'avaient pas perdu une seule feuille et dehors tout était désespérément sec. Seules la veste et les baskets de Tess avaient gardé le témoignage des événements de la nuit.

Le lundi, Tess retourna à la fac. Arrivée à la gare d'Aix, elle s'assit par terre pour écouter les gens jouer du piano en attendant que ses amis la rejoignent. Aujourd'hui c'était un des sans abris qui dormaient dehors qui jouait. Tess n'aurait jamais pensé qu'il savait jouer aussi bien. Elle passait devant lui tous les jours pour aller à la fac, en général il était encore emmitouflé dans son duvet avec son chien à côté quand elle passait. Et pourtant aujourd'hui, il était là, à jouer du piano. Son morceau finit, il enchaîna avec un deuxième. Au fur et à mesure que ses doigts caressaient les touches, Tess reconnu l'air. C'était le sifflement. Encore. Elle se précipita sur l'homme au piano et l'attrapa par le col de sa veste.
- C'est vous ? C'était vous tout ce temps ? C'est vous qui vous êtes amusé à jouer avec mes nerfs, à me faire croire que j'étais folle ?
Tess perdait le contrôle. Le clochard lui fit un sourire mauvais. Tess devenait hystérique, les gens dans la gare ne bougeaient pas d'un centimètre, ils semblaient figés. Tess s'arrêta, à bout de souffle et lâcha l'homme. Il s'arrangea le col de sa veste et sortit. Tess le suivit du regard à travers les portes vitrées, hébétée.
Elle ramassa son sac, sortit dans la rue. Le café d'en face était complet, les habitués y étaient rassemblés pour la tasse du matin. Des gens attendaient au feu rouge. Les taxis se succédaient devant les portes de la gare. Des étudiants descendaient la rue à vélo vers la fac, d'autres passaient à pied. Les portes automatiques de la gare s'ouvrirent pour déverser un flot de personnes avec de grosses valises à roulettes. Les amis de Tess lui firent signe au bout de la rue. L'atmosphère était lourde comme avant un orage, le ciel était gris, une goutte tomba en faisant une tâche sur le goudron et un sifflement s'éleva dans les airs.

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