Et j'ai traversé la nuit
belles-notes
Dans la douceur de cette nuit sans étoile je laisse mes pieds me guider et le son de mes bottes me parler. Chaque pas est alors l'occasion de construire ma partition, unique, particulière et éphémère.
Je peux chanter à tue-tête personne dans les rues, nous sommes un lundi soir il est 3h du matin et même les chats sont rentrés se mettre au chaud. Je reste dehors, l'air y est plus pur. Ah il pleut. Je serai donc trempé n'ayant pas de parapluie je resterai à la merci de ces morceaux de Crystal. C'est beau une goutte de pluie éclairée par la lune. Si on regarde bien on peut y voir toute la beauté du monde. La perfection sur même pas un centimètre, sur une chose que l'on ne peut pas toucher sous peine de l'effacer. La larme a une profondeur que le plus sage d'entre nous n'aura jamais. L'œil de la terre nous observe et nous éclaire. Mince je l'ai laissé glisser et elle est venue s'écraser sur le cuir de mon soulier. Elle a salie ma chaussure cette beauté.
Maintenant je suis trempé de la tête aux pieds et j'ai froid. Glacé jusqu'à l'os. Je décide de poursuivre ma route. Je glisse sur une bouche d'égout et me retrouve en tête à tête avec deux grands yeux jaunes. Ils m'observent, me jaugent et me glacent. L'être ne bouge pas, je n'ose pas me relever. Nous restâmes ainsi un moment, combien de temps je ne saurai exactement le dire mais j'en garde un précieux souvenir. Deux billes jaunes d'un solaire profond entourées d'un drap de perles de pluie. Magnifique. Cet être de lumière vêtu de noir et n'étant pas en mesure de se tenir debout de par sa nature partit d'un coup sans crier gare, il me laissa seul avec mon pantalon déchiré, mes mains abimées et mon regard perdu dans le lointain.
Je suis à nouveau seul. Je poursuis ma route, il est maintenant 4h, il fait toujours nuit, toujours pas d'étoile à l'horizon du monde et cette pluie. A présent d'autres instruments sont venus enrichir ma partition, le fracas des gouttes, le son du vent, ma propre respiration et toujours le bruit de mes pas. Le monde m'accompagne dans mon chant, il me soutient et parfois prend le dessus. La pluie m'habille, le brouillard me protège du voyeurisme du monde et la lune éclaire mon chemin. Quel chanceux je suis. Au détour d'un recoin d'une rue je vois mon double, il imite chacun de mes gestes sur un tempo parfait à ceci près qu'il ne peut s'échapper de ce rectangle de verre et ne peux exister sans moi.
Pas intéressant je préfère lui tourner le dos et poursuivre ma route. Je remarque un vieux vélo abandonné, comment a-t-il pu finir ici entre deux bennes à ordures ? Les roues à moitié crevées, la peinture écaillée, le cuir de la selle déchiqueté mais il est toujours debout ce vélo, fier d'être encore vivant d'une certaine manière. Il a échappé aux voleurs de pièces détachées, il est resté entier et se tient droit face à moi. Tel un Pégase il m'invite à faire un tour en sa compagnie. Je pars donc non plus debout mais assis sur mon cheval d'acier. Les paysages défilent et les tambours ont disparu, une sorte de violon a pris le dessus, le grincement des roues sur le tapis d'eau est désormais ma nouvelle musique. Et chance supplémentaire j'ai le privilège de faire fit de la gravité, la lune étant désormais à mes pieds j'ai la tête dans les étoiles. Merci la nuit de m'offrir cet instant, merci la lune d'avoir abandonné ton palais pour me permettre de le visiter.
C'est beau là-haut, beau et calme. Aucun parasite, seulement l'étincelle de ces soleils morts pour ne pas qu'on les oublient et le son de mon cheval gris pour unique bande son. Un voyage que seuls ceux qui n'ont pas grandi peuvent effectuer. Je reprends ma place d'enfant du monde et je reviens au monde. Mon esprit vagabonde dans cet univers à l'envers. Je saute d'étoile en étoile sans jamais craindre de tomber dans l'immensité. Je me repose au creux d'un cratère, grimpe jusqu'au pic de l'espérance et contemple le monde étoilé de mes pensées. Magnifique voyage que celui du rêve.
Et le vent étoilé me ramène de manière délicate et confortable vers mon univers à moi fait de béton et de barbelés. Je dois maintenant me presser de rentrer afin de me cacher de la laideur du monde, le jour va bientôt se lever il se fait tard et les briseurs de rêve n'attendent pas. Je finalise ma route au travers de ruelles, d'avenues puis de boulevards. Les façades s'uniformisent, les étoiles disparaissent asphyxiées par les soleils artificiels. La nature perds ses droits, les murs sont désormais à l'horizontal et nous avalent au fil de nos pas. L'aube arrive mais pour moi il fait noir, une nuit habillée de dorures, une nuit éternellement froide. Il est vraiment temps pour moi d'aller retrouver ne serait-ce qu'en pensée mon pégase d'acier.