Et la mère efface l'amer

absolu

Soixante ans, en soi la sentence n’est pas si terrible, même s’il est vrai qu’à parti d’un certain âge on avance un peu moins vite, mais c’est le poids des bagages, et nul ne l’évite..

Le chemin qui reste à parcourir semble si court en même temps que le souffle s’amenuise, si le meilleur n’est peut-être plus à venir, c’est maintenant à nous de te l’offrir..

Ne va pas penser que je t’aime moins si je prends d’autres chemins.. quand je m‘éloigne un peu je vois mieux d’où je viens et j’aperçois mon destin.

Dans la famille on est pas très démonstratifs, on s’aime de loin dans des gestes hâtifs, mais ça n’enlève pas la force du sentiment, qu’on écrit mieux qu’on ne le dit..

Je ne veux pas avoir ce remords de n’avoir pas pu t’avouer mes torts, l’effort me coûte mais n’est rien face à la vie que je goûte.. tu m’en appris certaines saveurs, j’en ai découvert d’autres en affrontant mes peurs.. tu m’as raconté tant de fables sans vouloir me faire la morale, je me suis abreuvée à la fontaine que tu m’offrais, quand toi-même n’avais pas grand chose à boire.

Tu m’as parfois frustrée , je t’ai souvent blessée ; l’adolescente laissait peu de place aux gestes qui calment les angoisses, et châtiait son langage pour ne plus vous avoir sur le dos, alors même que j’occupai ton ventre un peu plus longtemps que prévu..

Et même si je dis parfois que je suis seule au monde, je n’oublie pas que tu m’y a mise, que vous finirez par m’y laisser, pour le pire mais surtout le bonheur, pour que j’aide la terre à rester ronde, même si je n’en suis qu’une poussière, que je n’oublie pas hier pour aller encore plus loin, que je me respecte et parle à mon voisin, que je souris à la boulangère, même si je n’achète pas son pain..

Vous m’avez fait la place dont j’avais besoin, tu m’as bercé pour que nuits soient sereines, tu n’as jamais joué les reines mais n’a jamais fui, ni tes convictions ni ton mari et a toujours nourri tes enfants. Et à l’approche du temps qui court plus vite qu’avant, aucune ride ne vient contredire cet esprit pas décidé à faire son âge..

Vous m’avez laissé faire mes choix, en moi vous avez placé beaucoup d’espoir, quand je tombais ça vous faisait mal, il me fallait voir la vie d’en bas, et vous m’avez tendu les bras à chaque fois…

T’as consacré un bout de ta vie à garder les enfants des autres, pour que j’aille étudier quelques cellules, mais les miennes n’étaient pas sur la bonne voie. Je me suis jetée dans les pages des auteurs d’un autre siècle mais auprès d’eux je ne trouvai le diplôme escompté. Je compris plus tard que j’avais hâte de leur rendre hommage pour toutes ces échappées belles vers d’autres sphères…

Tu n’as pu toujours m’abriter sous ton aile, face à la vie si cruelle, face à la lie qu’on boit quand on cherche un emploi mais tu m’as toujours dit que j’avais ma place, un rôle à jouer dans cette grande farce. Je devais me souvenir de mes blessures, pour mieux parer les coups à venir ; celles que tu n’as pu soigner cicatrisent tant bien que mal, mais le mâle blesse quoiqu’on y fasse et ça j’en ferai mon affaire… Je vous priverai des détails inutiles, de certaines tuiles qui me sont tombées dessus, parce que vous m’avez offert un toit, parce qu’il est des choses qui ne regardent que moi…

Depuis quelques temps j’essaie de prendre mon envol, malgré des ailes pas très déployées, c’est pas un manque de volonté, non, si je n’ai pas encore vraiment décollé, c’est peut-être le vent qui n’a pas soufflé encore du bon côté. Je me raccroche souvent aux branches de votre jardin, mais vous verrez, un jour, j’vous lâcherai la grappe, pour vous ramener plus tard le vin que j’en aurai obtenu. Je vous ferai goûter mon meilleur cru, avant que les anges ne prennent leur part…

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